• La philosophie de l'esprit est un petit recueil de leçons qu'a données Léon Brunschvicg en Sorbonne en 1921 et 1922; il s'agit d' un travail préparatoire au grand oeuvre qu'est le Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale.

    J'en tire ces lignes admirables, extraites de la treizième leçon : La conversion à l'humanité

    « ce qui s'oppose avec Socrate à la force matérielle du passé social, c'est l'humanité idéale que portent en soi la découverte et le développement de la raison pratique, c'est une sorte de Médiateur tel que sera le Verbe selon Malebranche dans les Méditations chrétiennes, ou le Christ selon Spinoza dans le Tractatus theologico-politicus.

    Le Médiateur est présent chez Galilée devant le Saint Office, comme plus tard, devant la violence acharnée des critiques, chez Lavoisier ou chez Cauchy, chez Pasteur ou chez Einstein. C'est lui aussi qui est, devant les condamnations prononcées par les autorités sociales, présent chez le Pascal des Provinciales et chez le Voltaire de l'affaire Calas, chez le Rousseau de l'Emile et chez le Kant de la “Religion dans les limites de la simple raison”.

    Cette présence est ce qui rend heureux le modèle de justice que Platon a dépeint dans le second livre de la République:

    «il sera fouetté, torturé, mis aux fers, on lui brûlera les yeux; enfin, après lui avoir fait souffrir tous les maux, on le mettra en croix, et par là on lui fera sentir qu'il faut se préoccuper non d'être juste mais de le paraître»

    Or le juste parfait, quelle que soit sa destinée, du point de vue physique ou social, est heureux non en songeant à l'avenir, par l'espoir d'un temps où serait matériellement compensé et récompensé le sacrifice actuel, mais par une joie immédiate, intérieure et pleine qui ne laisse place à aucune idée de sacrifice, où il s'exalte au contraire dans le sentiment d'incarner la justice éternelle et universelle »

    j'ajouterai bien sûr tout de suite, ce que Brunschvicg ne pouvait pas dire de lui même,  que le plus parfait exemple de ce Médiateur ( qui est aussi le Logos endiathetos ou le Verbum ratio du Progrès de la conscience) est.... Brunschvicg lui même. Et la mise en croix n'a pas consisté dans son cas en une mise au ban sociale (puisqu'il était l'une des sommités, l'un des Mandarins de la philosophie française, au moins dans les années 30) mais dans la parfaite incompréhension, ignorance (et mise sous silence, ou presque,  depuis 1945 ) du sens de sa pensée...ceci pour ne pas parler des affreux malheurs qu'il a dû subir à la fin de sa vie lors de  l'invasion allemande de 1940 et après, malheurs qu'il a endurés avec le calme parfaitement stoïque qui signalent le Sage, et prouvent , vérifient, qu'il a réalisé, comme Spinoza, «non pas le meilleur système philosophique, mais la vraie philosophie».

    Brunschvicg appelle aussi quelque part cette "vraie philosophie" de Spinoza (qui est en fait , non pas la prétendue "philosophia perennis" de pseudo-philosophes  vrais mystiques, mais LA philosophie tout court, ou aussi LA religion tout court, seule propre à relier et unir les hommes au moyen de ce qui seul peut les réunir : la Raison, par opposition à l'instinct et au sentiment) : un christianisme de philosophes.

    Il est évident qu'il n'aurait pas pu dire "christianisme" tout court, concernant un juif de naissance qui s'il s'est volontairement laissé expulser de la "nation juive", n'a pas cherché la conversion, ou plutôt pseudo-conversion, à un autre culte, même si certains groupes protestants jouent un rôle dans son évolution spirituelle.

    Un christianisme de philosophes, cela pourrait tout aussi bien être appelé : un "Islam des philosophes et des savants", ou bien un "Islam des Lumières" (mais ayant fort peu à voir avec les montages et trucages de Bernard Henri Lévy, qui d'ailleurs a su se lier, pour la plus grande gloire de Mammon, avec Michel Houellebecq Mort de rire), ou encore un "Islam spirituel", mais ayant là aussi fort peu à voir avec les élucubrations d'Henry Corbin ou Christian Jambet inspirés, ou mieux enivrés, de Sohravardi et des "néo-platoniciens de Perse" (qui n'ont rien retenu de Platon).

    Oui, la religio philosophica, l'acheminement de l'âme vers le Dieu des philosophes et des savants, doit se garder, non seulement d'être édifiante, comme le notait Hegel, mais aussi et surtout de reprendre à son compte pour les régler les vieilles querelles entre chapelles qui ne sont que de vieilles lunes....même si elles menacent de faire succomber l'humanité dans une "guerre de religions" finale.

    L'Islam ou le christianisme des philosophes dont nous parlons et parlerons ici est un culte sans livres sacrés (et surtout pas la Bible ou le Coran, ces fatras de supercheries et de superstitions), sans promesses, sans prières et sans "communauté de vrais croyants" (oumma)...tant il est vrai que l'on n'est le vrai fidèle que par rapport à l'infidèle, celui qu'il faut exterminer, celui que "Dieu reconnaitra " une fois que les pieux croyants l'auront égorgé !

    la clarté dans la confusion, la confusion dans la clarté....tel était le programme que donnait à notre post-modernité chancelante Claude Lelouch en 1973, dans son film somptueux "L'aventure c'est l'aventure" (et dans lequel Lino Ventura et Jacques Brel, prémonitoires, nous annonçaient que "le capital c'est foutu" Horreur !).

    Nous nous accorderons bien volontiers avec lui sur ce programme....mais s'il restait encore un peu de confusion non clarifiée, cédons encore une fois la parole à Brunschvicg : le Maitre dissipera sans aucun doute mieux que nous tout malentendu :

    Dira-t-on
    que nous nous convertissons à l'évidence du vrai lorsque
    nous surmontons la violence de l'instinct, que nous refu-
    sons de centrer notre conception du monde et de Dieu
    sur l'intérêt du moi ? ou sommes-nous dupes d'une ambi-
    tion fallacieuse
    lorsque nous prétendons, vivants, échapper
    aux lois de la vie, nous évader hors de la caverne, pour
    respirer dans un monde
    sans Providence et sans prières,
    sans sacrements et sans promesses ?


    La clarté de l'alternative explique assez la résistance à
    laquelle se heurte une conception entièrement désocialisée
    de la réalité religieuse. Un Dieu impersonnel et qui ne fait
    pas acception des personnes, un
    Dieu qui n'intervient pas
    dans le cours du monde et en particulier dans les événe-
    ments de notre planète, dans le cours quotidien de nos
    affaires,
    « les hommes n'ont jamais songé à l'invoquer ».
    Or, remarque M. Bergson, « quand la philosophie parle
    de Dieu, il s'agît si peu du Dieu auquel pensent la plupart
    des hommes que, si, par miracle, et contre l'avis des
    philosophes. Dieu ainsi défini descendait dans le champ
    de l'expérience, personne ne le reconnaîtrait»


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  • "Il ne s'agit plus pour l'homme de se soustraire à la condition de l'homme. Le sentiment de notre éternité intime n'empêche pas l'individu de mourir, pas plus que l'intelligence du soleil astronomique n'empêche le savant de voir les apparences du soleil sensible. Mais, de même que le système du monde est devenu vrai le jour où la pensée a réussi à se détacher de son centre biologique pour s'installer dans le soleil, de même il est arrivé que de la vie qui fuit avec le temps la pensée a fait surgir un ordre du temps qui ne se perd pas dans l'instant du présent, qui permet d'intégrer à notre conscience toutes celles des valeurs positives qui se dégagent de l'expérience du passé, celles là même aussi que notre action réfléchie contribue à déterminer et à créer pour l'avenir. Rien ici qui ne soit d'expérience et de certitude humaines. Par la dignité de notre pensée nous comprenons l'univers qui nous écrase, nous dominons le temps qui nous emporte; nous sommes plus qu'une personne dès que nous sommes capables de remonterà la source de ce qui à nos propres yeux nous constitue comme personne".

    Ces lignes sont extraites de "Raison et religion" de Léon Brunschvicg, qui est, avec "De la vraie et de la fausse conversion", son ouvrage le plus important du point de vue de la conversion religieuse qui est celui de ce blog (par contre pour ce qui est de la philosophie stricto sensu, ce sont plutôt les Etapes de la philosophie mathématique, le Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale ou la thèse initiale "Modalité du jugement" qui doivent être privilégiés).

    Ces deux livres, et ce passage de quelques lignes qui en constitue l'un des moments cruciaux, prennent toute leur importance en cette période d'angoisse mortifère où l'humanité se demande où elle va....et surtout si elle va quelque part.

    oui, nous vivons bien cette incarnation du "dernier homme qui sautille en clignant de l'oeil" tel que le décrivait Nietzsche de façon prémonitoire à la fin du 19 ème siècle.

    Et la lecture de Nietzsche, comme celle d'autres "fracasseurs d'idoles", est absolument nécessaire comme préparation à la philosophie en tant que religion, en tant qu'acheminement de la conscience vers le Dieu des philosophes...tant il est vrai que "nous n'aurons pas tout détruit si nous ne démolissons même les ruines".

    Car, en fin de compte, quelle est la cause réelle de tout ce désordre où nous sommes presque noyés, de tout ce nihilisme , ce "convive le plus inquiétant" ?

    elle est d'ordre religieux !

    C'est parce que l'humanité n'a pas su, ni pu, ni d'ailleurs voulu, se libérer du culte des idoles vermoulues, comme l'y invitait Marx, Freud ou Nietzsche, et même à sa façon Husserl, qu'elle s'est enlisée dans un mixte inédit de naturalisme utilitariste et de sentimentalisme humanitaire...le tout bien sûr sous la surveillance, ou complicité, des métaphysiques de la transcendance.

    Redresser l'esprit, rendre au "roseau pensant" sa dignité d'être raisonnable, c'est refuser cet enlisement en réassumant la tâche infinie de l'autonomie de la conscience par la vérité de la science.

    Le Dieu des philosophes et des savants est inconciliable avec les anciens dieux parce que seul il respecte cette dignité de l'esprit, en ceci notamment qu'il ne promet aucun "post mortem" : l'éternité brunschvicgienne ou spinoziste est promise, mais surtout acquise dès "ici bas", là où les concepts de transformation ont un sens.

    il ne s'agit pas de réalisation illusoire dans un "coucouville des nuées" religieux, mais par une compréhension philosophique de ce qu'est le temps.


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  • Dans son mémorial du 23 Novembre 1654, Pascal oppose Dieu des philosophes et Dieu d'Abraham en ces termes:

    "L'an de grâce 1654,

    Lundi 23 novembre, jour de Saint Clément, pape et martyr, et autres au Martyrologue,

    Veille de saint Chrysogone, martyr, et autres,

    Depuis environ dix heures et demie du soir jusqu'à environ minuit et demie.

    FEU

    Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob,

    non des philosophes et des savants.

    Certitude. Certitude. Sentiment, Joie, Paix. "

    (texte complet ici : http://www.bibleetnombres.online.fr/memorial.htm )

    Brunschvicg, lors d'une fameuse séance de la Société de philosophie en Mars 1928, intitulée "Querelle de l'athéisme", reprend l'opposition pascalienne mais d'une façon inversée pourrait on dire, voire symétrique, en affirmant l'impossibilité de toute synthèse, de toute conciliation entre le Dieu des philosophes et le Dieu d'Abraham.

    Le titre de "Querelle de l'athéisme" renvoie bien sûr à une autre "mésaventure", survenue au 19 ème siècle à Fichte avec des conséquences bien plus redoutables... autre temps autres moeurs ! et ceci évoque aussi les "péripéties" connues par Spinoza un peu plus d' un  siècle avant Fichte.

    mais, philosophiquement parlant, il importe avant tout de quitter le terrain de l'anecdote et d'essayer de caractériser un peu plus précisément "ce qui fâche", et ce qui apparemment fâche les tenants du Dieu des croyants, du Dieu d'Abaraham, qui est pourtant parait il le Dieu de miséricorde ?

    Fichte, dans l'ouvrage "Querelle de l'athéisme", accuse ses accusateurs en les vilipendant comme "idolâtres". Selon lui, toute conception de "Dieu" comme "substantiel", comme une entité distribuant des récompenses et des punitions sous forme de bien être ou de mal être, doit être écartée comme idolâtre.

    On est là bien proche de la pensée de Brunschvicg, qui dans "Raison et religion", commence son apporche en opposant "moi vital" et "moi spirituel". Ce livre "Raison et religion", l'un des plus importants sans doute pour la question religieuses, qui est centrale chez Brunschvicg tout comme pour nous ici même, est accessible online à l'adresse web suivante :

    http://www.archive.org/details/MN40150ucmf_7

    Le Dieu des philosophes est atteint au terme d'un "renversement de perspective" qui rappelle celui du cogito, ou bien celui de la révolution copernicienne:

    "le Discours de la méthode de Descartes marque dans l'histoire de l'esprit humain la ligne de partage des temps, il s'agit d'un traité de la seconde naissance, non plus du tout le rite de passage , la cérémonie d'initiation qui voue l'enfant à l'idole de la tribu, mais bien l'effort viril qui l'arrache au préjugé des représentations collectives, à la tyrannie des apparences immédiates, qui lui ouvre l'accès d'une vérité susceptible de se développer sous le double contrôle de la raison et de l'expérience"

    "ce renversement de perspectives, qui transporte du plan de l'institution au plan de la conscience l'idée même de la régénération et du salut, qui met en regard le Dieu de la tradition et le Dieu de la réflexion, Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob comme dira Pascal et Dieu des Philosophes et des Savants, est préparé de loin dans l'histoire religieuse de l'Occident"

    ce "loin" renvoie à la prodigieuse histoire de l'esprit occidental telle qu'elle est fixée par Brunschvicg dans le "Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale" : il nous fait remonter loin efectivement, jusqu'à Xénophane de Colophon, auquel Karl Popper rend aussi hommage:

    http://fr.wikipedia.org/wiki/X%C3%A9nophane_de_Colophon

    ce Xénophane étant le premier à combattre et renverser les "dieux tribaux à nom propre" (dont font partie le dieu de l'Islam et celui du judaïsme), ce qui n'est pas le cas d'Abraham contrairement à ce que prétendent les tenants du Dieu de Pascal, du Dieu des croyants, du Dieu d'Abraham justement.

    Voici l'hommage que lui rend Brunschvicg au premier chapitre de "L'esprit européen", série de conférences données en Sorbonne de Décembre 1939 à Mars 1940 (un des seuls livres qui semble t'il ne sera pas mis en ligne sur le site des "Classiques" : http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/brunschvicg_leon.html )

    "après Thalès de Milet, précurseur de la physique, après Pythagore de Samos émigré dans la Grande Grèce, c'est, avec Xénophane de Colophon, le premier nom de l'école éléatique, un troisième souffle qui, parti des rives d'Asie mineure, va contribuer à déterminer le sens dans lequel l'esprit européen devait s'engager... un aède original et profond qui rompt avec les moeurs de sa corporation, qui est le véritable héros d'une piété sincère. Grâce à lui, et dès la première leçon de ce cours, nous avons gravi le sommet d'où nous aperçevons la Terre promise de la spiritualité européenne"

    ces lignes sont le résultat d'un travail spirituel d'une précision inouïe,  ce qui est habituel chez Brunschvicg, mais prend ici une portée inusitée puisque le ton de ces conférences, prononcées pendant la "drôle de guerre", était d'une gravité singulière. Le "juif universaliste" Brunschvicg, face aux hitlériens démoniaques, y revendique en termes "mosaïques" (la "terre promise") la pleine spiritualité européenne, à l'exemple d'autres philosophes "juifs" comme Cassirer et Husserl. Et pour ces "juifs" qui vont jusqu'au bout de la "réalisation" du "programme juif", c'est à dire jusqu'à la rupture complète, c'est la Grèce antique de Xénophane, des physiciens Ioniens et de Platon qui est la source primordiale de la spiritualité européenne, et non pas  le judeo-islamo-christianisme : le premier  "casseur d'idoles" est Xénophane le philosophe historique, pas le mythique Abraham.


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  • le site des "Classiques" a entrepris semble t'il de mettre à disposition gratuite des internautes l'oeuvre complète de Léon Brunschvicg :

    http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/brunschvicg_leon.html

    Après "Héritage de mots héritage d'idées",  c'est au tour d'un autre ouvrage fascinant et bouleversant datant de la fin de la vie de Brunschvicg : "Descartes et Pascal lecteurs de Montaigne", d'être rendu accessible.

    Bouleversant parce qu'il a été terminé en 1942, année où Brunschvicg était dans la clandestinité totale, soutenu heureusement par des amis comme Maurice Blondel, mais séparé pour toujours des ses enfants qui étaient en Angleterre. Ses enfants qu'il ne reverra pas, puisqu'il est mort le 18 Janvier 1944, sans voir la libération de la France et la chute du nazisme, évènements qu'il avait cependant pressentis, ou plutôt prévus avec la certitude totale qui est celle de la Raison, qui peut douter de tout sauf d'elle même et de sa supériorité intrinsèque sur l'obscurantisme irrationnel des idolâtries "magiques" du "sang et du sol" comme de celles des "religions" des "dieux à nom propre".

    On lira avec une attention toute particulière la préface qui retrace tout l'itinéraire de pensée de celui qui fut  l'un des maitres de la philosophie d'avant-guerre , pour tomber dans un complet oubli après 1945 :

    http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/descartes_et_pascal/descartes_et_pascal_preface.html

    L'oubli total et volontaire de celui qui fut l'un des "mandarins" des années 30, après la libération, y est bien expliqué. Cet oubli , qui est d'ailleurs plutôt un étouffement, dure encore à ce jour, même si le travail du site des "classiques" permet de reprendre espoir.

    Mais il faut ajouter que si la rupture avec l'idéalisme critique d'avant-guerre peut s'expliquer par la déception devant son impuissance à prévoir et à combattre la Bête nazie "montant de l'Abîme", cette accusation manque son objet.

    En effet ce n'est pas à cause de l'idéalisme  prétendûment abstrait et "alimentaire" (critique faite notamment par Nizan dans les "chiens de garde", où il voit Brunschvicg comme "s'alimentant" de toute adversité  pour en nourrir sa pensée) mais bien par impuissance de l'humanité ordinaire à se hausser au niveau de cette pensée et de son exigence, que la totalitarisme a pu s'exercer sans véritable résistance jusqu'en 1944.

    Et aussi après cette date d'ailleurs, mais là nous parlons du totalitarisme stalinien, dont Sartre s'est rendu complice jusqu'en 1956 (alors que Céline l'antisémite l'avait dénoncé dès 1936), puis du totalitarisme maoïste qui a bénéficié en France de l'admiration des "grandes consciences" droit de l'hommistes que nous connaissons bien, et qui se sont racheté depuis une virginité démocratique.

    Cete intéressante préface au livre de Brunschvicg s'étend aussi sur la nature nouvelle et spéciale de "Descartes et Pascal lecteurs de Montaigne" : Brunschvicg, ébranlé par les évènements de 1940 à 1942, y aurait pour la première fois fait place au "doute" à propos de son "système rationaliste fondé sur la science".

    Mais cela me semble inexact, en ce que la pensée de Brunschvicg s'est toujours, et depuis les débuts, "nourri" des pensées adverses et "opposées" (ou "différentes") en les accueillant et les discutant. Et l'on peut ici, bien sûr, arguer de son admiration pour Pascal ou Bergson, deux penseurs pourtant très éloignés de lui philosophiquement parlant.

    Il est d'ailleurs à souligner que Bergson est une autre sommité d'avant-guerre qui n'a pas connu après 1945 le mùême destin d'oubli : c'est sansdoute que le bergsonisme fait place au mysticisme, qui est et sera toujours à la mode... mais je partage au demeurant l'admiration de Brunschvicg pour ce géant de la pensée qu'est Bergson.

    La thèse du livre est donc que la modernité (initiée par Descartes) dérive du scepticisme de Montaigne, qui se trouve donc ainsi accorder une importance cruciale...

    mais , tout en étant d'accord bien sûr avec ce verdict, il ne faudrait pas en rester là, et je voudrais ici simplement citer une réflexion de Brunschvicg tirée d'un autre texte  ("L'humanisme de l'Occident", introduction au premier tome des "Ecrits philosophiques") à propos de Montaigne et Descartes:

    " Mais depuis Descartes on ne peut plus dire que la vérité d'Occident tienne tout entière dans la critique historique et sociologique des imaginations primitives (qui est la  première perspective de la sagesse occidentale, de laquelle nous sommes redevables à Montaigne).

    sortir de la sujétion de ses précepteurs, s'abstenir de lire des livres ou de fréquenter des gens de lettres, rouler ça et là dans le monde, spectateur plutôt qu'acteur en toutes les comédies qui s'y jouent, ce ne seront encore que les conditions d'une ascétique formelle.

    A quoi bon avoir conquis la liberté de l'esprit si l'on n'a pas de quoi mettre à profit sa conquête ? Montaigne est un érudit, ou, comme dira Pascal, un ignorant; dans le réveil de la mathématique, il ne cherche qu'un intérêt de curiosité, qu'une occasion de rajeunir les arguties et les paradoxes des sophistes. L'homme intérieur demeure pour lui l'individu, réduit à l'alternative de ses goûts et de ses humeurs, penché, avec une volupté que l'âge fait de plus en plus mélancolique, sur la «petite histoire de son âme».

    Or, quand Descartes raconte à son tour «l'histoire de son esprit», une tout autre perspective apparaît: la destinée spirituelle de l'humanité s'engage, par la découverte d'une méthode d'intelligence. Et grâce à l'établissement d'un type authentique de vérité, la métaphysique se développera sur le prolongement de la mathématique, mais d'une mathématique renouvelée, purifiée, spiritualisée par le génie de l'analyse".

    On pourrait lire dans ces lignes, sans se tromper de beaucoup, une conception quasi-prophétique de Descartes, et aussi trouver l'explication du dédain affiché par nombre d'intellectuels, anglo-saxons mais aussi français, pour Descartes : c'est que notre époque n'aime les prophètes que religieux, environnés d'éclairs, de crainte et de tremblement, et de phénomènes surnaturels. Et surtout elle les aime de loin : pour la vie quotidienne, on préfère la "petite histoire de l'âme" , mais ici les mots de Brunschvicg peuvent sembler trop sévères pour Montaigne, que sa culture des nobles sages de l'antiquité met à l'abri des divagations "nunuches" des  contemporains narcissiques obsédés de leur "belle âme" (que ne l'introduisent ils en bourse !!? cela règlerait sans dout leurs problèmes de "pouvoir d'achat").

     La "mission prophétique" de Descartes existe bel et bien et débute historiquement dans la nuit "de la Saint Martin" du 10 au 11 novembre 1618 avec les trois rêves de Descartes, qu'il interprète lui même dès le réveil (et même pendant la durée du songe pour le dernier) et qui lui semblent inspirés par l'Esprit de Vérité, autre nom de Dieu des philosophes.

    Celui qui est aussi, et simplement, "la Vérité", d'après le "Court Traité" de Spinoza.

    Parmi les autres livres ou articles de Brunschvicg, on trouvera "Les étapes de la philosophie mathématique" (sans doute son ouvrage le plus important, le plus commenté en tout cas, et qui n'a pas pris une ride) à cette adresse du site de l'université du Michigan:

    on trouvera aussi un grand nombre d'articles parus dans la "Revue de métaphysique et de morale" (qu'il avait fondée en 1893 avec Xavier Léon) sur le site de la bibliothèque nationale Gallica:

    http://gallica.bnf.fr

    (taper "Brunschvicg" en mot clé dans le cadre "recherche libre" ou "auteur", ou bien cliquer sur "périodiques" pour trouver la Revue de m'étaphysique et de morale).

    Un autre livre important de lui, "De la vraie et de la fausse conversion", a paru sous forme d'articles dans plusieurs numéros de la revue à partir de 1930, voici les adresses de différents morceaux du livre:

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k112646/f1.item (chapitre 1,  aller pages 279-297)

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11271g.item (chapitre 2, aller aux pages 187 à 235)
     
    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11278w (chapitre 3, aller pages 17 à 46)
     
    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k112797.item (fin du chapitre 3, aller page 153 pour le début du texte de Brunschvicg)).

    On trouvera aussi "Raison et religion" et "Spinoza" sur "Archive" :

     http://www.archive.org/search.php?query=Brunschvicg%20AND%20mediatype%3Atexts


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  • L'article de 13 pages paru dans la "Revue de métaphysique et de morale" A42 N1 : "Religion et philosophie" constitue le texte à peine modifié d'une communication cruciale de Brunschvig au congrès international de Pragues en 1934. Cet article est lisible sur Gallica, voici l'url de la première page :

    Communication cruciale parce qu'en 1934 le monde effaré assistait aux premiers "pas de danse" du démon hitlérien, sur lesquels un sage de l'envergure de Brunschvicg ne pouvait avoir aucun doute...et popurtant la lecture des Mémoires de Raymond Aron (élève admiratif de Brunschvicg )pourrait donner l'idée contraire, puisqu'il y raconte qu'en Mars 1936, rencontrant Brunschvicg "au bas du Boulevard Saint Michel" peu après l'épisode de Rhénanie (invasion des troupes de hitler, contre tous les traités signés) , celui ci lui déclare : "heureusement les britanniques nous ont stoppés cette fois...la paix est sauvée".

    Ce fut à Aron, plus au fait des "petites circonstances de la vie politique et diplomatique", de lui expliquer que ce n'était qu'une vengeance mesquine des anglais pour le manque de soutien français face aux agissements de Mussolini en Ethiopie...vengeance qui devait se révéler catastrophique quelques années plus tard, puisqu'elle interdit aux occidentaux de voler au secours de la Tchécoslovaquie, et donc mena à l'invasion de la Pologne et à la guerre en Septembre 1939.

    Mais Brunschvicg luttait à un niveau bien plus élevé, proprement philosophique, et cette communication de 1934 en donne un bon aperçu.

    Ces pages sont importantes en ce qu'elles entreprennent de définir la raison qui doit en quelque sorte s'identifier au "Dieu des philosophes".
     
    Page 3 : "de même nous ne devrons pas discuter des rapports entre la raison et la religion sans cette précaution courtoise de définir soigneusement celle des interprétations de la raison à laquelle nous renvoyons notre interlocuteur"
    Brunschvicg a montré par une analyse aussi serrée que lumineuse (dans les pages 1 à 5) que la raison d'avant la science semble vouée à tourner dans un cercle sans fin entre dogmatisme et scepticisme; c'est alors qu'il aborde au "troisième chemin entièrement soustrait à l'arbitraire des principes, au préjugé des systèmes, atteignant le réel par l'accord toujours plus minutieusement contrôlé du calcul et de l'expérience".
    La science moderne, de Copernic et Galilée jusqu'à Einstein et la mécanique quantique... a progressivement révélé la vérité du monde.
    Et cette idée de la vérité doit demeurer, si elle est philosophique, une et indivisible.
    La vérité religieuse doit être la vérité tout court...
    les lignes qui suivent sont admirables, même si elles sont moquées par un critique comme Bremond qui accuse Brunschvicg de copier ce qui lui semble utile dans le christianisme et de laisser ce qui le gêne...
    (on trouvera une critique acerbe par Bremond de l'article de Brunschvicg dans le cahier numéro 4 des "Archives de philosophie" de 1935, aller à :
    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k31721q et lire le chapitre 7 page 165, intitulé "le dernier message de Mr Brunschvicg")
     
    mais c'est le contraire qui est vrai : Brunschvicg départage entre ce qui est philosophique dans le "mixte" qu'a été la philosophie occidentale, et ce qui est chrétien-fabulatoire...
    "La notion religieuse par excellence, c'est le Verbe que la Grèce a reçu d'Egypte puis transmis à la théologie et la philosophie judeo-chrétienne.
    Le Verbe est "la lumière intérieure éclairant tout homme venant en ce monde et dont, à mesure qu'il étend et coordonne ses pensées, il éprouve l'universalité bienfaisante et la fécondité illimitée"
     
    La religion philosophique de la Raison affirme "notre certitude intime irrécusable qu'il y a en chacun de nous une présence grâce à laquelle notre intelligence est autre chose qu'une accumulation passive d'images, notre amour autre chose que la poussée égoïste de l'instinct, de telle sorte qu'il n'est pas besoin de nous séparer de nous même pour nous unir par la racine de notre être intérieur à la communauté des esprits"

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