• Le hasard et la nécessité, le Royaume et les ténèbres

    Les dernières lignes , prodigieuses et bouleversantes, du livre "Le hasard et la nécessité" de Jacques Monod n'ont pas pris une ride :

    «l'ancienne alliance est rompue ; l'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers, d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part. A lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres"

    Athéisme ? que non pas ! mais plutôt hymne au Dieu des philosophes et des savants ! ceci nécessite quelques explications....

    L'ancienne alliance, c'est aussi ce que Monod appelle l'animisme, l'état des sociétés humaines d'avant la science moderne, où la cohésion du groupe, de la tribu, primait sur toute autre considération, dans le combat quotidien contre la Nature, pour arracher les ressources nécessaires à la survie, et contre les autres tribus ou "groupes", toujours sources potentielles d'affrontements et donc de destruction plus ou moins complète.

    Nous avons hérité de ces hommes, nos ancêtres, l'exigence d'une "explication totale" (celle promise par les mythes) , et le souci, l'angoisse de "chercher le sens de l'existence".

    Le monothéisme hébreu, puis chrétien et enfin islamique, s'est présenté comme rupture avec les "idolâtries animistes". Mais il n'a pas permis une telle rupture, tout simplement parce que la science véritable n'était pas encore née. Il a fallu à celle ci deux étapes : celle de la Grèce antique, de sa géométrie et de sa statique (chez Archimède), puis, après un intervalle de près de 20 siècles où les mythes orientaux ont étouffé tout libre essor de la recherche rationnelle, celle, définitive, de la science copernicienne et galiléenne, émergeant en concomitance avec une science du mouvement, une dynamique, qui a rendu possible l'apparition d'une mécanique enfin complète , rendant compte des phénomènes cosmiques (de Copernic à Galilée et Newton).

    Mais le progrès scientifique s'avère destructeur des "anciens équilibres", ceux assurés par l'ancienne alliance, à cause de l'explosion démographique, de la destruction des espèces, causées par la suppression de la "sélection naturelle" dans les sociétés développées, puis dans le monde entier. Ces observations sont devenues banales depuis quelques années, pas une journée sans qu'on nous mette en garde contre le réchauffement climatique, et qu'on nous demande instamment de "sauver la planète".

    Mais Monod met en garde contre un mal beaucoup plus profond, parce que beaucoup plus difficile à combattre, un "mal de l'âme" selon lui. Ce "mal", appelé par d'autres (pour s'en plaindre, généralement) désenchantement du monde, consiste en ce que l'humanité a accepté les pouvoirs fantastiques que lui a donné la science, pouvoirs et richesses bien supérieurs à ceux que promettait l'ancienne "magie" (qui d'ailleurs ne tenait pas ses promesses, pour ce que nous en savons en tout cas de ceux qui à l'heure actuelle se prétendent encore magiciens, ou sorciers, ou marabouts), mais a refusé d'en adopter le code de "valeurs", diamétralement opposé à celui de l'ancienne alliance animiste.

    Un tel diagnostic est juste, et peut être vérifié quotidiennement : on est un virtuose de l'informatique, ou du "trading" mais on croit encore à l'astrologie, ou aux sociétés occultes, ou à que sais je encore en fait de nunucheries...

    Le nouveau code de valeurs , celui proposé par la science, et qu'elle demande d'adopter si l'on accepte les pouvoirs qu'elle donne, est selon Monod très simple, il l'appelle "éthique de la connaissance" : il consiste à s'en tenir, pour ce qui est de la connaissance véritable (c'est à dire : susceptible d'être démontrée vraie ou fausse, ayant une valeur de vérité), au postulat d'objectivité (qui prend, de nos jours, la forme de l'axiomatique mathématique).

    Ce qui implique d'établir une séparation stricte entre le domaine de la connaissance et celui de l'éthique :

     "la connaissance est exclusive de tout jugement de valeur tandis que l'éthique, par définition non objective, est à jamais exclue du champ de la connaissance. C'est cette distinction radicale, posée comme un axiome, qui a créé la science".

    Seulement, il faut aller plus loin que cette séparation : car l' imposture de l'humanité moderne (de nous tous) s'inscrit bien, dans une certaine mesure, dans ce schéma de "séparation stricte", analogue à celle qui avait cours entre sacré et profane dans les anciennes alliances (y compris l'hébraïque).

    Cette imposture, source de tous nos malheurs et du "gouffre qui se creuse sous nos pieds" (cette formule de Monod prend tout son sens en ce début d'année 2009) consiste à accepter le postulat d'objectivité scientifique pour le domaine de la connaissance, mais pour ce qui est de la base de la  morale à continuer de gober  un «écoeurant mélange de religiosité judéo-chrétienne, de progressisme scientiste, de croyance en des droits "naturels" de l'homme et de pragmatisme utilitariste».

    (sous d'autres cieux, la religiosité prendra la forme islamique, ou hindouiste, ou bouddhiste...encore que selon Monod, "de toutes les grandes religions, le judéo-christianisme est sans doute la plus primitive par sa structure historiciste, directement attachée à la geste d'une tribu bédouine avant d'être enrichie par un prophète divin".

    Or l'authenticité selon Monod, différente de celle à laquelle appelle Heidegger, réclame de jeter aux orties (ou au feu) cette écoeurante bouillie réchauffée de la Bible (ou du Coran) mélangée et touillée avec du positivisme façon 19 ème siècle et des droits de l'homme style "Nouvel Obs" , mais certainement pas toute valeur éthique.

    Car choisir (librement) le postulat d'objectivité comme base de la recherche de la connaissance véritable (c'est à dire vérifiée, c'est à dire toujours revérifiable, ou réfutable) est un choix éthique (libre) et un axiome de valeur, non pas un axiome de connaissance (puisque par définition , toute connaissance véritable ne peut venir qu'en aval de ce choix).

    De manière bien proche, la thèse généralisée de Hume dit que "de ce qui est" on ne peut dériver par voie logique "ce qui doit être". Et ceci a été démontré, rigoureusement , dans un livre de logique mathématique et philosophique intitulé : "The is-ought thesis", paru aux éditions Kluwer (maintenant Springer) dans la collection "Studia logica".

    Monod dit : "Dans l'éthique de la connaissance, c'est le choix éthique d'une valeur primitive qui fonde la connaissance. Par là elle diffère radicalement des éthiques animistes, qui toutes se veulent fondées sur la «connaissance» de lois immanentes, religieuses ou naturelles, qui s'imposeraient à l'homme".

    des "lois"  «connues» non pas de par une recherche rationnelle, mais en écoutant un prophète inspiré des dieux, ou de Dieu, ou en lisant le livre Saint de la tribu....expliqué par "ceux qui savent", car peu clair.

    Même Platon, retombé du mathème au niveau du mythe, commence le traité des "Lois" par "qui a le premier dit les lois, un homme ou un dieu ? un dieu, assurément !".

    On jugera si cette phrase de Monod témoigne d'un athéisme :

    " Par la hauteur même de son ambition, l'éthique de la connaissance pourrait peut être satisfaire l'exigence de dépassement (qui est au coeur de l'homme). Elle définit une valeur transcendante, la connaissance vraie, et propose à l'homme non pas de s'en servir, mais désormais de la servir, par un choix délibéré et conscient".

    Quant au discours inauthentique, consistant à amalgamer et confondre les deux catégories de "connaissance" et de "valeur", ou de "ce qui est " et de "ce qui doit être", "il ne peut conduire qu'aux non-sens les plus pernicieux, aux mensonges les plus criminels".

    Bref à nous.....à notre situation de détresse, en cet An I de la "Grande Crise".

    Nonobstant les différences de formulation, qui peuvent paraitre quelquefois radicales, je suis convaincu que Monod plaide ici pour la "religion philosophique" et le Dieu des philosophes et des savants, qui n'a rien à voir avec les livres sacrés et les anciennes alliances, celles d'avant la science, d'avant Copernic.

    Il n'y a qu'un seul Dieu, le Dieu des philosophes et des savants, et Copernic est son seul Prophète.

     Un "Dieu" qui n'est pas "avec nous" dans l'épreuve, ou "face à nous" dans les conditions mystiques de la prière ou de la méditation supra-rationnelle; un Dieu qui n'intervient pas dans le cours de l'Histoire , qui effectivement nous laisse dire que "nous savons enfin que nous sommes seuls dans l'immensité indifférente de l'Univers".

    parce que c'est un "Dieu" qui n'est pas, mais qui "doit être" de par notre libre choix et notre libre acte, acte et choix libre qui se nomme "raison" et ascension infinie vers la Pensée Infinie qui est Dieu (à la fois l'ascension et le "terme" inaccessible si nous savons ce qu'infini veut dire)

    Et d'ailleurs Monod associe explicitement le "libre choix" du code de valeur de ce qu'il appelle "éthique de la connaissance" au Discours de la Méthode de Descartes :

    «L'éthique de la connaissance ne s'impose pas à l'homme ; c'est lui au contraire qui se l'impose, en en faisant axiomatiquement la condition d'authenticité de tout discours et de toute action. Le Discours de la méthode (de Descartes) propose une épistémologie normative, mais il faut le lire aussi et avant tout comme méditation morale, comme ascèse de l'esprit»

    ce Discours de la méthode dont Brunschvicg qu'il est le traité de la seconde naissance, pour toute l'humanité.....


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