• Quelques mots à propos de l'anecdote immémoriale de Thalès et de la servante thrace, qui forme le thème du titre de ce blog (qui s'appelait auparavant, pompeusement : "Dieu des philosophes et des savants")....ce blog qui prend la suite des blogs "Mathesis universalis", "Principia toposophica", etc...qui ont tous lamentablement échoué..

    Le grand philosophe-mathématicien-physicien-astronome  Thalès de Milet , l'un des premiers grands philosophes présocratiques, à l'origine du théorème de Thalès , le premier à avoir prédit une éclipse de soleil, ou à avoir expliqué la couleur de la Lune par le reflet de la lumière solaire, celui qui a élaboré la théorie selon laquelle le monde dérive d'un élément unique, l'eau ("tout est eau"), se promenait un jour, le regard fixé comme à l'habitude sur le ciel et les étoiles (Kant distinguait deux merveilles : le ciel étoilé au dessus de nos têtes et la loi morale dans l'intimité de notre coeur).

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Thal%C3%A8s_de_Milet

    Comme il gardait les yeux fixés vers le ciel, il ne pouvait voir en même temps le chemin où se dirigeaient ses pas....et ce qui devait arriver arriva : il tomba dans un puits profond (est ce là le puits de la vérité ? je ne sais..).

    Survint alors une servante thrace (pour le secourir ? je veux le croire) qui éclata de rire en disant quelque chose comme : "Ah ces sages ! tous les mêmes ! il veut sonder les mystères de l'Univers et il n'est même pas capable de faire trois pas sans se casser la figure ! eh pépé, tu ferais mieux de regarder devant toi et de te soucier des autres , au lieu de te perdre dans tes théories fumeuses !"

    Telle est l'une des formes de l'anecdote, qui en a revêtu au cours des siècles de nombreuses différentes.

    Voici ma façon à moi d'imaginer la suite : la servante, qui était jeune et jolie, avait aussi très bon coeur dans le fond...elle remonte notre philosophe tout trempé , le conduit dans sa chaumière, fait un bon feu de bois, le déshabille pour sécher ses vêtements et....là encore ce qui devait arriver arrive....je ne vais pas vous faire un dessin quand même !

    et le vieux sage tombe amoureux de la belle servante , il l'épouse, lui fait des enfants, elle réchauffe ses vieux ans glacés, et surveille sa maison, le laissant vaquer en paix à ses théories...

    ou bien elle se révèle au bout de quelques années une horrible mégère, et le pousse au suicide....

    bref !

    mais laissons là mes rêveries idiotes...

    Le philosophe Hans Blumenberg a écrit un livre philosophique et passionnant à propos de cette anecdote : "Le rire de la servante de Thrace" (Ed de l'Arche).

    Voici quelques liens à propos de (ou mentionnant) ce livre :

    http://www.alapage.com/-/Fiche/Livres/2851814559/le-rire-de-la-servante-de-thrace-hans-blumenberg.htm?id=169811231336179&donnee_appel=GOOGL

    http://www.cairn.info/revue-multitudes-2007-3-page-177.htm (article in extenso de Charles Wolfe : "Le rire matérialiste")

    http://www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/gely.html

    http://www.univ-paris-diderot.fr/DocumentsFCK/clam/File/Verite_fond_puits.pdf (page 12 sur l'anecdote)

    http://editionsdelabibliotheque.bpi.fr/resources/titles/84240100829810/extras/philobis.pdf (page 21, où J P Faye parle de l'anecdote comme de la première histoire philosophique, signalant le début de la pensée coïncidant avec une erreur)

    et l'on en trouve de nombreuses autres avec Google. Je ne vais pas commenter ces liens, ce n'est pas mon propos, je veux juste m'expliquer sommairement sur mes pensée à propos de cette fable qui m'obsède depuis toujours...

    Thalès personnifie la philosophie comme recherche de la vérité (du Dieu des philosophes) par le biais de la science et donc de la rupture avec le sens commun dans la connaissance du second genre  (la science est née en Grèce). La servante personnifie le sens commun, l'opinion, la connaissance du premier genre de Spinoza.

    Je ne vais donc évidemment pas me joindre au rire de la servante, bien que j'apprécie le plaisir de rire (ainsi que les autres plaisirs d'ailleurs). Mais qu'il me soit permis de dire que je n'ai aucun mépris pour la servante, bien au contraire...en fait, j'ai omis de révéler plus haut la nature exacte de mes rêveries, notamment à l'époque ou je méditais sur Raymond Abellio et ses développements sur la "femme ultime". 

    Selon Abellio (i e Georges Soulès le polytechnicien), par exemple dans "La structure absolue", la femme ultime , qui doit advenir à l'époque de la fin de l'apogée occidentale et du cycle actuel, dépassera l'homme sur le terrain de l'intelligence analytique et sera capable de "jouir sexuellement" dans un orgasme ontologiquement nouveau, "supérieur" à celui de la "femme primitive" (orientale), contrairement à la femme phallique occidentale actuelle qui en est incapable.

    Mais selon Abellio, seul un homme (lui, Abellio ) est capable de "faire advenir" cette femme ultime en la convertissant au nouveau paradigme, alliance de la sexualité véritable et de la pensée véritable.

    J'ai longtemps vu en la servante thrace une possibilité de femme ultime : donc elle épouse Thalès, elle le convertit aux joies du sexe et de la famille, mais lui en échange la convertit à la "conscience intellectuelle" et donc à la rupture avec la mentalité commune, obnubilée par les "Mystères" et soumise aux superstitions religieuses (païennes, "astrobiologiques"). Pour le dire sommairement : il la convertit de l'astrologie à l'astronomie ! de la mentalité orientale, soumise aux prestiges des rites et des Mystères, à la sagesse occidentale naissante à cette époque..

    comme on le voit : il y a encore du travail (si j'en crois la place laissée de nos jours aux astrologues et aux horoscopes)! Thalès a dû échouer...

    Mais quittons là ce terrain dangereux car politiquement-sexuellement incorrect !

    de toutes façons Abellio ne m'obsède plus du tout...depuis que j'ai fait la connaissance de Brunschvicg grâce à la lecture de Badiou, et que j'ai quitté les sombres parages de la Kabbale et de l'arithmosophie pour la clarté intellectuelle de la mathématique et de la théorie des nombres...

    le second lien que j'ai cité plus haut ("Le rire matérialiste") cite Spinoza :

    "Si ce célèbre Ancien qui riait de tout vivait de notre temps, il mourrait de rire, sans doute. Pour ma part, ces troubles ne m'incitent ni au rire, ni, non plus, aux larmes ; ils m'engagent plutôt à philosopher et à mieux observer ce qu'est la nature humaine. Car je n'estime pas avoir le droit de me moquer de la nature, et bien moins encore de m'en plaindre, quand je pense que les hommes, comme les autres êtres, ne sont qu'une partie de la nature..."
     
    Spinoza, lettre XXX, à Oldenbourg
     
    Il y a quand même un paradoxe, sinon un mystère, dans cette histoire : c'est que la servante thrace symbolise la superstition commune, plus habituée à craindre (les dieux, les esprits, les astres) qu'à rire....c'est plutôt le philosophe qui rit des superstitions du vulgaire ...
     
    mais la citation de Spinoza est là pour nous garder, et nous éviter de tomber dans l'aporie comme dans un puits. Le seul sens possible de cette petite histoire doit être de nous convier à philosopher, c'est à dire à quitter l'Egypte du sens commun et de la superstition du vulgaire...et l'on ne peut philosopher , en évitant les perplexités du gouffre (du puits sans fonds) et de la désorientation que si la philosophie science de l'UN, de l'Absolu, est UNE, malgrès et même en raison de ses divergences et "différences".
    Or voici comment le livre de Blumenberg est résumé dans l'un des liens que j'ai cités plus haut :
     
    «Il arrive ainsi à saisir l'exceptionnel succès de l'anecdote comme forme de la conscience que la philosophie a d'elle-même : "En fait, on ne peut rire des philosophes que si on se considère soi-même comme leur faisant exception. Et dans cette discipline chacun se considère apparemment comme l'exception de tous les autres." »
     
    On ne peut donc rire des philosophes (si l'on est un "traitre", c'est à dire quelqu'un qui a en apparence quitté le sol natal et tribal du sens commun pour de mauvaises raisons, liées à l'orgueil et au mépris des autres) que si l'on commet le péché contre l'esprit et contre la philosophie : tenter de détruire l'unité de la philosophie en se considérant comme un novateur génial, qui va enfin fonder la "vraie philosophie".
     
    Mais la vraie philosophie, elle est déjà là, et depuis toujours ! c'est à dire qu'elle est depuis toujours "en train de se faire" ! c'est celle des présocratiques, Xénophane en particulier, de Socrate, Platon, Descartes, Spinoza, fichte, Brunschvicg...
     
    Et Brunschvicg, notre Maitre, ne cesse de nous mettre en garde contre le danger d'être imbu de soi même et de son individualité, de sa spécificité. Si nous voulons réellement philosopher, alors nous devons absolument renoncer aux fanfares médiatiques ou à leurs succédanés !
     
    mais c'est aussi un autre article de Brunschvicg, "Spiritualisme et sens commun", qui nous  invite à philosopher, et qui nous réconcilie aussi avec la servante thrace et avec nos semblables, nous mettant en garde contre ce qui serait "antiphilosophique" par excellence : le mépris des autres, qui n'est jamais que le signe de la crainte des autres, et une attitude vaniteuse...et donc vaine.
    Cet article est paru dans la Revue de métaphysique et de morale (fondée par Brunschvicg et Xavier Léon en 1893) de 1897, A5, pages 531 à 545, voici le lien sur Gallica :
     
     
    cet article admirable mérite un commentaire plus long (qui de toutes façons n'arrivera pas à sa hauteur, quasiment infinie), je me bornerai aujourd'hui à préciser ceci :
    si nous voulons éviter le péché par excellence, qui jamais ne sera pardonné, selon les paroles même de Notre Seigneur , contre l'esprit et la philosophie, qui est de matérialiser l'esprit en l'assimilant à une "chose", à un objet, nous devons reconnaitre que l'esprit ne peut être que parcours (infini), passage, processus, acheminement de l'âme vers Dieu, "progrès de la conscience dans l'histoire"...
    or, pour qu'il y ait acheminement réel, il faut bien partir de quelque part, du sol natal, et le quitter.
    Il faut donc bien que le sens commun existe pour que l'on puisse le dépasser. Et celui ci est ainsi réhabilité à jamais. Comme le rire de la servante thrace est beau !
    sinon l'esprit serait....sur le mode d'une "substance". C'est là le péché, le "puits" d'où l'on ne remonte pas. Et nous n'y tomberons pas. Pas aujourd'hui tout au moins. Et demain est un autre jour....
    Je terminerai sur cette explicitation par Badiou (au début de "l'Etre et l'évènement") du Parménide de Platon , qui pourrait d'ailleurs résumer toute la philosophie de Brunschvicg, c'est à dire toute la philosophie :
     
    "L'UN n'est pas"

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  • La guerre s'embrase de nouveau à Gaza, sans que l'on sache bien encore si ce sera un nouvel épisode qui prendra fin (après d'horribles tueries) au bout de quelques temps, où s'il s'agit de l'étincelle qui allumera l'incendie final, où parait il, d'après les anciens poètes, doit s' abîmer le monde...

    Il serait absurde, politiquement et humainement parlant, de renvoyer les deux camps dos à dos dans une même exécration de "l'extrémisme" : d'un côté un Etat fragile, vieux de 60 ans, qui joue sa survie, et de l'autre une mouvance d'illuminés qui certes exploite de justes colères, mais vise , bien au delà de la défense des "opprimés, humiliés et offensés", à la "victoire" eschatologique d'une religion.

    Ce serait absurde mais c'est pourtant ce que l'on va faire ici, dans l'optique de ce blog qui cherche à s'élever au dessus des contingences historiques et ethniques (et , donc, religieuses).

    Car, en définitive, quelle est l'origine de cette inimitié séculaire entre , non pas juifs et arabes comme on le dit très souvent et trop vite, mais entre juifs israéliens d'une part, chrétiens arabes et musulmans (arabes ou non arabes) d'autre part ?

    La réponse est dans la question : cette origine, c'est évidemment la différence de religions. Et pas de n'importe quelles religions, mais de ces trois religions, visant à l'universalité exclusive et jalouse (ce qui est d'ailleurs une contradiction dans les termes).

    Et pourtant, disent les simplets, juifs, chrétiens et musulmans sont tous "fils d'Abraham" (cher Marek Halter), ils sont les "trois anneaux" d'une même chaîne unique (la parabole de l'anneau dans "Nathan le Sage" de Lessing), ou encore : ils adorent le même Dieu ... forcément, si ce "Dieu" est le Dieu unique, par opposition aux dieux du panthéon païen.

    Là encore, c'est Brunschvicg qui dans "De la vraie et de la fausse conversion", a trouvé la formule qui fait mouche : ce Dieu prétendûment "unique", commun aux trois religions du Livre , c'est le Dieu des guerres de religion ! notons d'ailleurs qu'il apparait dans la Bible, sous l'appellation de "Dieu des armées" (Elohim Tsebaoth).

    Ce Dieu "UN" exclusiviste, Peter Sloterdijk le caractérise, dans "La Folie de Dieu", comme le Dieu des zélotes (et il y a des zélotes aussi bien parmi les juifs que parmi les chrétiens ou les musulmans..... ainsi d'ailleurs, reconnaissons le, que parmi les hindouistes, les bouddhistes, les athées, et même parmi les philosophes, ou plutôt ceux qui se prétendent philosophes).

    Il vaut la peine de citer complètement le passage de Brunschvicg, il se trouve dans le chapitre "Transcendance et religion", qui est paru originellement dans la Revue de métaphysique et de morale , année 1932, A39 N1, pages 17 à 46, lisible sur Gallica ici :

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11278w/f19.table

    (la citation incriminée se trouve pages 18-19).

    "nous voyons tous les jours de graves théologiens appliquer à un écrivain les qualificatifs de croyant ou d'incroyant,dans cette même acception d'absolu où, à huit ans, les sujets de M. Piaget, péripatéticiens sans le savoir, emploient les mots de léger et de lourd, comme si un prédicat pouvait exprimer autre chose qu'une relation, comme si leur propre crédulité pouvait s'ériger immédiatement en critère objectif des valeurs et leur donnait droit à décider, selon leur fantaisie, du sentiment religieux et de la destinée spirituelle d'autrui en s'attribuant les bénéfices contradictoires d'une élection particulière et d'une vérité universelle"

    Dans les années 30, Brunschvicg, en parlant de "théologiens graves", entendait : des théologiens lourds, imbus de leur importance et de leur sérieux....mais on pourrait tout aussi bien employer ce qualificatif au sens des "jeunes" de maintenant, quand ils disent de quelqu'un : "il est grave", ou bien au sens des guignols de l'Info quand ils parlent d'un "candidat grave" à l'élection présidentielle.

    D'autre part il serait malvenu d'attribuer aux juifs seulement une "élection particulière", ou plutôt le sentiment d'être élus.... mais poursuivons..

    "il semble bien que nous nous heurtons ici à un stade de mentalité archaïque, exactement celui d'où a surgi jadis un débat comme la querelle des antipodes.Et dès lors, nous devons nous demander ce qui arriverait à l'adepte d'un culte déterminé s'il entreprenait un voyage de circumnavigation autour des religions terrestres.il pourrait encore se servir de sa montre,à condition qu'il la remît sans cesse à l'heure sur le soleil. De l'autre côté de la Mediterranée on entend parler d'infidèles et de fidèles, de schismatiques et d'orthodoxes; seulement, la distribution des rôles est inverse comme inverse apparaît, une fois franchie la ligne de l'Equateur, la relation des mois et des saisons. L'application du vocabulaire aura donc changé mais non le vocabulaire lui même, qui se rapporte à un même niveau d'évolution psychique. Quand ils cherchaient à s'exterminer parce qu'ils niaient leurs antipodes religieux, Croisés et Mahométans, plus tard Catholiques et Protestants, comme à l'heure actuelle, si on les laissait faire, Hindous et Musulmans, se sont révélés voués à un même Dieu : le Dieu des guerres de religion"

    ces lignes ont été écrites vers 1930, mais nous qui vivons après 1947, nous savons que finalement "on a laissé faire" Hindous et Musulmans, et que cela s'est traduit par des massacres effrayants, et par la partition entre Inde et Pakistan qui n'a d'ailleurs rien réglé, comme en témoignent les récents évènements de Bombay et la guerre larvée à propos du Cachemire.

    "On", c'est à dire l'Angleterre puissance coloniale, sur laquelle pèse et pèsera encore très longtemps la culpabilité de ces atrocités, ainsi d'ailleurs qu'une partie de celles qui se déroulent en Palestine. Mais, en élargissant un peu la perspective, nous pouvons sans mauvaise foi aucune mettre en accusation les "puissances" victorieuses en 1945, à savoir l'URSS communiste et l'Occident sous tutelle américaine, en y ajoutant l'ONU, avec un chef d'accusation déroulant une longue liste de crimes contre l'humanité : partition de l'Inde, abandon irresponsable de la Palestine en 1948 (par l'Angleterre là aussi), complicité dans la shoah puisque les photos aériennes permettaient de savoir ce qui se passait dans les camps d'extermination dès 1942-1943, holocauste nucléaire du Japon en 1945 alors qu'il aurait été possible de s'entendre avec la Russie pour une victoire "classique" , refus d'ouverture des frontières européennes et américaines pour les réfugiés juifs en provenance des camps après 1945, etc... la liste est longue !

    Le stade de mentalité archaïque où en sont restés les attardés qui ont sans arrêt à la bouche les mots de "fidèles" et "infidèles", "croyants" et "incroyants", est finalement le même que celui qui prévalait avant la révolution scientifique du 17 ème siècle européen, avec son géocentrisme, son "système du ciel" orienté par les sphères et leurs "archanges", les "fixes" , le Premier moteur, bref l'aboutissement de l'astrobiologisme qui a été relégué aux oubliettes par la science moderne et sa cosmologie

    en définitive, quelle est elle, cette différence , cette incompatibilité radicale dont parle Brunschvicg entre le Dieu des philosophes et des savants et le Dieu d'abraham, entre le Dieu de la raison et le Dieu de la foi ? peut elle être explicitée, comme on le fait couramment, comme celle qui sépare un Dieu théorique, un Dieu qui se définit, c'est à dire un dieu mort, et le Dieu vivant ? entre le Dieu des croyants, et le Dieu des métaphysiciens, qui d'après Badiou n'est qu'une "machine de guerre" contre le Dieu de la foi ? et certes Badiou parle au nom d'un athéisme radical , et entend réécrire la formule nietzchéenne : "Dieu est mort". Mais seul un Dieu vivant peut mourir, et le Dieu de la métaphysique est donc "immortel", puisqu'il n'a jamais été vivant...

    mais ce n'est aucunement notre manière de voir....

    les religions, toutes les religions, datent de l'époque d'avant la science, caractérisée par cette mentalité archaïque dont parle Brunschvicg. Et le Dieu des philosophes, qui est le thème des travaux de ce blog, n'est certes pas le "Dieu de la science", mais il est la source de la vie spirituelle, qui ne "coule" vraiment qu'à partir de l'époque où la science véritable est née, soit le 17 ème siècle. Sans se confondre bien sûr avec la science.

    C'est en ce sens que Brunschvicg parle de l'émergence de la physique mathématique (venant prendre la place de la physique aristotélicienne) comme d'un "changement d'axe de la vie religieuse". Expression qui se situe dans le même registre que l'image des antipodes et de la "circumnavigation autour des religions" décrite plus haut.

    Au fond, la science (et la philosophie, d'ailleurs) ne vaut pas une heure de peine si elle se borne à nous donner plus de pouvoirs techniques, plus de richesses, si elle n'aboutit pas à une amélioration, un progrès de la conscience qui est aussi  d'ordre moral. Ce progrès moral se rattache à l'éthique de la connaissance dont parle Monod.

    Le Dieu des philosophes et la religion philosophique est aussi attaché de manière absolue à la liberté de conscience. Là réside aussi sa différence radicale d'avec le Dieu des religions, qui s'hérite par la naissance.

    Car il est bien facile de parler de la "liberté de croyance religieuses", mais où est cette liberté pour le petit enfant à qui l'on impose des croyances ou des rites qu'il n'a pas encore l'âge d'examiner par sa libre raison ?

    Ces observations assez simples nous permettent de situer dans sa  juste portée la suite du texte de Brunschvicg:

    "ainsi se précise le point où apparaissent aux prises, depuis des siècles, théologiens et philosophes : le Dieu des guerres de religion peut il être le Dieu de la religion ?

    pas plusque des sacrifices joyeusement consentis, héroïquement offerts, dans l'exaltation de la foi, nous n'avons à détourner les yeux des souffrances violemment imposées par ce que cette même exaltation a impliqué, en contrepartie, de fureurs sanglantes, de crimes soi-disant charitables. Et là dessus va t'on bâtir une théorie de la Providence divine ?"

    Nous répondrons quant à nous sans hésitation aucune, et nous n'avons plus besoin à ce propos des "confirmations" que sont les épisodes de Gaza ou de bombay, que le Dieu de LA religion (philosophique) ne peut être ni avoir rien de commun avec le "Dieu" DES religions.

    Et, contrairement à ce que croit le sens commun, le Dieu des philosophes n'est pas le Dieu qui se prouve ou qui se définit dans un concept ; c'est plutôt le Dieu d'Abraham qui cherche à devenir le Dieu des preuves,( "fides quaerens intellectum").

    Mais la seule "preuve", si l'on peut dire, du Dieu qui est la source intime de la vie spirituelle et unitive, ce ne peut être que le jaillissement ininterrompu de celle ci (la "joie ininterrompue" de Spinoza).

    Et c'est à l'approfondissement de cette "vie intime de la conscience", qui est liberté absolue, que nous voulons nous consacrer ici....


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  • Depuis "Barton Fink" , qui a obtenu la palme d'or en 1991 si je me souviens bien, le cinéma de Joel et Ethan Coen (qui est celui qui compte le plus, voire est le seul à compter, parmi les films américains contemporains, disons des années post- 1980) va dans le sens d' une "nihilisation" croissante qui semble aborder une étape définitive avec le dernier film : "Burn after reading". Nihilisation et non nihilisme : si l'on sait le lire et l'aborder, ce cinéma est salutaire...

    encore que j'ai quelques doutes après avoir vu "Burn after reading" deux fois : c'est certes un film absolument hilarant, la deuxième vision confirme voire renforce le diagnostic de la première, mais c'est aussi et surtout un film glaçant.

    J'avais commenté "No country for old men" ici :

    http://www.blogg.org/blog-69347-billet-no_country_for_old_men___joel_et_ethan_coen__-745341.html

    Dans Barton fink les Coen introduisent, pour la première et la dernière fois, parmi les personnages, celui du créateur, qui seul justifie l'existence du monde. Barton Fink est cet artiste new-yorkais engagé comme scénariste de "films de catch" à Hollywood, qui est (on le comprend sans peine) en "panne sèche d'écriture" dans sa chambre d'hôtel; ce n'est que lorsqu'il aura compris que son voisin de la chambre à côté est un tueur psychopathe, qui lui a "légué", semble t'il, la tête sanguinolente d'une femme dans un carton, qu'il verra l'inspiration descendre du ciel en terre sur lui et qu'il élaborera un de ses plus grands chefs d'oeuvre, qui sera bien sûr refusé et méprisé par les producteurs. Le tueur, qui est en quelque sorte le "golem" de ce film (il y en a un dans chacun de leurs films) personnifie la violence et l'absurdité du monde; le créateur "met à distance" cette violence en l'objectivant (en la "mettant" dans une boîte, qui n'est pas "à lui", et dont il ne sait d'où elle vient). L'esprit est "dépassement" de l'humain-mondain (du "On" de la quotidienneté de Heidegger), par objectivation scientifique ou création artistique.

    Le créateur est le frère du fou et du criminel, disait Thomas Mann.

    Or, dans les films suivants, mettant en scène une galerie d'imbéciles, de monstres ou de minables qui fait concurrence à l'enfer , balzacien ou non, le créateur n'apparait plus du tout !

    c'est cela que j'appelle "nihilisation croissante" !

    jusqu'à ce "stade final" de "Burn after reading", dont je ne vois pas très bien comment ils pourraient encore le "dépasser" !

    Ce qui est glaçant, c'est que nous comprenons que ce n'est aucunement une "sous-humanité" de monstres ou de tarés qui est dépeinte : la portée de cette "réduction" est ontologique, elle vise l'humain au coeur même. Le "dernier homme" de Nietzsche sautille devant nous, sur la Terre devenue trop étroite (d'où le générique de "Burn after reading", montrant une vision satellite des USA).

    Ce n'est guère un hasard si le personnage d'Osbourne Cox, l'analyste de la CIA, magistralement interprété par John Malkovitch, qui personnifie l'intellect analytique, est alcoolique, et finit par commettre un meurtre, à cause de sa rage impuissante contre "l'idiotie de l'époque" !

    L'alcoolisme doit être conçu (tout au moins s'il s'agit réellement d'alcoolisme, ce qui exclut les fêtards du genre festivus et autres abrutis de comptoirs ou de stades) comme une tentative désespérée et donc avortée de "quitter le pays natal des croyances tribales" pour la haute mer de la recherche de la vérité.

    Or il arrive que celui qui a le courage de quitter les certitudes rassurantes du groupe connaît immédiatement les glaces de la solitude....qu'il est toujours tentant de remplacer par les glaçons dans le verre de vodka !

    Le principe du "désespoir" promu par le film est assez simple à comprendre : si l'homme est cet être purement animal mais pourvu d'une intelligence spéciale, qui se borne à l'utiliser pour augmenter le confort de sa vie propre, alors quel peut être le sens de tout ceci ?

    C'est bien l'aporie devant laquelle nous laisse la scène finale !

    J'employais plus haut le terme husserlien de "réduction" en pensant à Jean-Luc Marion, ce grand philosophe chrétien qui dans le "Phénomène érotique", parle d'une "troisième réduction", venant si je me souviens bien après les réductions eidétiques et transcendantale de Husserl.

    Cette réduction de Marion est "érotique", et correspond en gros à l'ordre de la charité de Pascal : tombe sous cette troisème réduction tout ce qui est de l'ordre de la vie, mais aussi de l'esprit (de l'intelligence), qui est frappé de nullité et d'insignifiance si l'amour de Dieu pour moi (pour nous tous) ne vient pas le "racheter".

    Mais l'on ne s'étonnera pas si , nous qui refusons l'ordre pascalien de la charité, et ne reconnaissons que l'ordre de l'esprit comme "au dessus" de l'ordre de la vie , nous ne pouvons admettre cet "amour de Dieu pour la créature".

    Car même cet amour ne pourrait "sauver" de la médiocrité et de la vanité qui sourd de toutes les scènes du film ! et qui, reconnaissons le, est notre apanage à tous !

    et une petite voix diabolique vient encore nous murmurer à l'oreille que même le Créateur génial ne peut nous sauver : car que seront devenues les grandes oeuvres d'art universelles, les grandes théories scientifiques qui nous admirons tant, dans.... 1000 ans ? 10 000 ans ? cent millions d'années ?

    Mais, il faut bien "répondre" (si toutefois nous éprouvons sincèrement ce désespoir) : cette réponse ira dans le sens de l'amor intellectualis Dei spinoziste.

    non pas amour venant de Dieu vers nous (un Dieu rencontré en face à face qui est de l'ordre de l'illusion, du "recours"), mais amour "ascétique" émanant de nous, suprême activité intellectuelle,  "faisant exister" (si elle est assez intense) Dieu, le Dieu des philosophes, un Dieu "Idée"  qui n'a plus rien à voir avec les superstitions religieuses qui ont finalement abouti à notre présente détresse.....

     


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  • Le web abonde en petits bijous cachés mais que peut débusquer une exploration patiente, et il est par là même justifié quand même .

    En voici un nouvel exemple avec ce recueil "La tradition philosophique et la pensée française" qui regroupe des cours donnés à l'Ecole des hautes études en sciences sociales dans les années 1920 :

    http://www.archive.org/details/latraditionphilo00pariuoft

    (la version "djvu" semble la plus pratique à visionner, je n'arrive pas à lire la version pdf).

    Les articles sur le néoplatonisme, Maine de Biran, Ravaisson et Boutroux, Cournot ou Hamelin retiennent bien sûr l'attention du "chercheur cheminant sur le chemin de la spiritualité véritable", mais ce seront évidemment les articles du Maître sur Descartes (page 48) et Spinoza (page 59) qui nous intéresseront au premier chef. Quand les pépites d'or paraissent, l'argent devient semblable au plomb...

    Brunschvicg n'a jamais voulu dissocier Spinoza de Descartes, et c'est l'une de ses spécificités , notamment par rapport aux "spinozistes" influencés par Constantin Brunner qui voudraient ne pas jeter le bébé (spinoziste) avec l'eau cartésienne du bain , ou plutôt savourer l'amande spinoziste en jetant l'écorce cartésienne.

    Bien sûr Brunschvicg est d'abord spinoziste, voyant dans la "vraie philosophie" de Spinoza la pure doctrine de l'unité à laquelle Descartes a été empêché de parvenir par... par quoi au fait ? sans doute par les préjugés qui lui restaient du christianisme, et là nous ne parlons pas du "christianisme de philosophes" qu'est selon Brunschvicg la philosophie de Spinoza mais du christianisme tout court, auquel Descartes est toujours resté fidèle, et  non pas par peur des persécutions comme on le dit souvent à tort...

    mais il est clair que sans Descartes pas de Spinoza ! les deux doivent être unis dans la même vénération par toutes les générations de chercheurs en spiritualité. Et Brunschvicg ne manque jamais à cette double fidélité...

    On cite souvent, pour s'en moquer, l'aveu de Descartes qu'il "est toujours resté fidèle à la religion de sa nourrice", à savoir le catholicisme, en réponse à un protestant qui le pressait de se convertir. Mais cette citation apparait comme une énigme, si toutefois l'on considère que Descartes, le symbole même du rationalisme pur et dur, ne parlait jamais pour ne rien dire, et manifestait dans toutes ses paroles une exigence de cohérence et de clarté.

    Car Descartes est aussi le philosophe, "héros de la pensée pure" selon Hegel, qui a tracé avec le plus de force la nécessité absolue de rompre avec tous les "préjugés inculqués pendant l'enfance par les précepteurs et les nourrices" (ce qui est, soit dit en passant, une nette condamnation des religions sociologiques et de l'illusoire liberté de croyances religieuses si chère au relativisme politiquement correct actuel).

    Comment concilier ces deux exigences ? fidélité à la religion de sa nourrice d'un côté ; rupture avec les préjugés inculqués par la nourrice de l'autre côté !

    Je ne vois qu'une seule solution, si encore une fois Descarters doit être absous de toute accusation de pusillanimité et d'incohérence.

    C'est que les religions, ou plutôt les contes de nourrice, qui enchantent notre enfance, et la pensée virile et adulte de la philosophie, qui est aussi LA religion universelle, le spiritualisme religieux indissolublement uni (par Dieu ? ) au rationalisme scientifique, ne se situent pas au même "niveau", et ne sauraient donc se trouver en opposition , en concurrence ou en comparaison. Les religions "sociologiques" (dont on hérite à la naissance) c'est pour tout le monde, y compris d'ailleurs la "religion" se caractérisant par une absence à peu près totale de pensée que l'on appelle "athéisme", et qui se résume à "sexe bouffe vacances bon temps et après moi le déluge" (mais il y a un athéisme philosophique, celui de Kojève par exemple); l'effort viril de la pensée de se démarquer des attaches du groupe tribal, cela est réservé à ceux qui veulent bien se donner la peine de ce travail et d'endurer la solitude qui en découle à peu près automatiquement. C'est à dire, en droit, réservé à tout le monde.

    Mais il y a plus dans les réflexions de Descartes : car s'il vaut mieux "rester fidèle à la religion de sa nourrice" (ou, disons, de sa naissance) c'est qu'il n'y a aucun sens à se convertir à une autre. Toutes se situent sur le même plan, celui des rites, des prières, des traditions, des cultes, des cérémonies de pseudo-initiation.

    Un plan qui n'a aucune attache, aucun passage au plan de la vérité, qui est celui propre à la pensée, c'est à dire à LA religion, qui n'a rien de commun avec les religions (ethniques).

    Descartes nous dit ainsi que les conversions religieuses (de la religion dont on a hérité à la naissance vers une autre ) sont de fausses conversions, et s'opposent totalement à la "conversion véritable" dont parle Brunschvicg : conversion à la philosophie et à la science, conversion à la Raison, au Dieu des philosophes et des savants.

    On comprend ainsi que Brunschvicg revient toujours, tout au long de sa longue vie philosophique, à Descartes et à Spinoza, à ces deux là plus qu'à tout autre, même à Malebranche et Fichte, dont il souligne par ailleurs l'importance cruciale.

    Ces deux cours de Brunschvicg, qui datent si je ne me trompe de la même époque que "Philosophie de l'esprit" (1922), ouvrage capital s'il en fût, mérite une lecture attentivie et un commentaire détaillé. aujourd'hui, pris par le temps, je me contenterai de passer des citations du début de l'article sur Descartes à celle de la fin de celui sur Spinoza, qui mettent une nouvelle fois en lumière le cycle de procession -conversion :

    «Avec le cartésianisme, on ne peut plus parler de tradition au sens propre du mot. Nous rentrons chez nous, suivant la parole de Hegel»

    «ainsi, après Spinoza, et provoquées par la divulgation de la pensée cartésienne, se poseront les questions d'où devaient surgir les progrès ininterrompus de la réflexion critique et de la science positive. Mais ces progrès même ont maintenu inébranlable, ont rendu plus éclatante peut être, l'intuition de vérité dont nous sommes redevables à Descartes et Spinoza, et qui demeure pour nous juge de toutes les vérités et de toutes les intuitions : l'unité intime, indissoluble, et sans laquelle la philosophie ne vaudrait pas une heure de peine, entre le rationalisme scientifique et le spiritualisme religieux»

    L'importance de cette dernière phrase pour le chercheur de spiritualité véritable (ce qui exclut les mystiques aaussi bien que les occultismes et pseudo-ésotérismes) ne saurait être surestimée : car nous disposons ici, sinon d'un juge, en tout cas d'un critère pour mettre en ordre et évaluer tout ce qui pourra se présenter comme "vérité". Un tel critère est sans commune mesure avec ce que l'on appelle un axiome : il juge les axiomes et les différents systèmes axiomatiques.

    Et il permet en particulier la démarcation vis à vis des "positivistes" à la Sokal et Bricmont.

    Car si nous adhérons pleinement à la destruction féroce (et humoristique) des faux savoirs pseudo-philosophiques qui se donnent un air mathématique et une fausse autorité, comme d'ailleurs à la contamination des sciences par les sectes ou les pseudo-spiritualités, il reste que nous ne saurions nous associer à la condamnation sans appel (et sans procès) de toute union du rationalisme scientifique avec LE spiritualisme religieux. Car si l'union véritable et indissoluble de ces deux domaines, qui est celle montrée par Brunschvig et réalisée par lui tout au long de son oeuvre, est empêchée ou refusée , alors se produit ou se reproduit ce qui s'est passé au 18 ème siècle, et qui aboutit aux monstres déchaînés du matérialisme (dogmatique et métaphysique aussi bien que "dialectique"), puis du nihilisme ou du fanatisme religieux qui menacent actuellement l'humanité d'une complète ruine, d'un destin d'anéantissement spirituel : je veux parler de la catastrophe de la séparation de la technoscience devenue complètement autonome et de la philosophie.

     


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  • Le beau film de Christian Carion, sorti en 2005 :

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Joyeux_No%C3%ABl_(film)

    permet d'illustrer certains propos qui ont été tenus ici sur le christianisme, en particulier dans le message précédent.

    Car il ne fait aucun doute qu'une certaine atmosphère "religieuse" imprègne le film dans ce qu'il a de plus "enchanteur" : ces soldats allemands, écossais, français, qui ont "fraternisé" pendant le nuit de Noel 1914, au milieu du "no man's land" des premières tranchées, le font, en tout cas dans le film, "poussés" moins par les vapeurs du champagne que par les chants de Noel , soit cette  "musique sacrée" qui était encore, jusqu'à l'avènement du magnétophone et du disque "commercial", la culture musicale commune. Que l'on songe aux oeuvres de Bach, Haydn ou Mozart, indicutablement d'inspiration chrétienne.

    Et d'ailleurs, toujours dans le film, après les timides accolades de "fraternisation" et les "tournées de champagne" prises en commun, c'est bien une messe , célébrée par le prêtre anglican qui partage la vie de ces soldats, qui réunit tout le monde, à part certes deux ou trois réfractaires.

    L'action se passe en 1914, ce qui rend plausible cet épisode qui replacé dans les temps actuels ferait rire tout le monde. Il y a un siècle les populations d'Europe étaient encore massivement chrétiennes, sinon dans le "coeur", en tout cas extérieurement.

    Il serait peut être impossible de tourner, aujourd'hui en 2008, une telel scène, tellement les choses vont vite : des ligues islamiques ou "anti-racistes" ne risqueraient elles pas de s'insurger au nom de cette inacceptable "discrimination" conisistant à suggérer une intolérable "identité chrétienne de l'Europe" ? au nom bien sûr des "indigènes" musulmans venus d'Afrique, et qui ont largement versé leur sang pour la France.

    Mais peu importe ces futilités, car le film , tel du moins que je le comprends, est bien au delà d'une quelconque tentative de prosélytisme.

    Au fond, ce qui réunit pour quelques minutes, ces malheureux avant qu'ils ne recommencent à s'entretuer, ce n'est pas le Christ "chrétien" si je puis dire : c'est le "Christ" dont nous parlons ici, à savoir le Logos, le Verbe intime au coeur de tout homme, quelle que soit par ailleurs sa religion "sociologique" ou ethnique.

    Ce que nous reprochons, à la suite de Brunschvicg (voir article précédent) au christianisme, c'est son impuissance historiquement avérée à être véritablement chrétien !

    et telle semble bien être aussi l'avis du réalisateur de ce film, puisqu'à la suite de cette "nuit de fraternisation", les autorités, alertées par l'espinooage du courrier des soldats, envoient des plénipotentiaires, militaires ou "religieux", pour remettre de l'ordre dans ces consciences perturbées...pensez donc ! dès fois que la boucherie s'arrêterait prématurément !

    c'est ainsi que le "Supérieur" du prêtre écossais "coupable" d'avoir dit la messe cette nuit là vient prononcer une "homélie", à l'intention des troupes plus fraiches qui viennent "remplacer" les traitres, digne de G W Bush et du combat , ou plutôt de la Croisade, de la civilisation anglo-saxonne contre la barbarie teutonne (à cette époque là)...si je me souviens bien, il va jusqu'à dire que "les allemands ne sont pas des enfants du Seigneur comme nous".

    Trente ans plus tard, le général Eisenhower, commandant en chef de l'opération "Overlord" (toute une formule, un peu comme l'éphémère "Infinite justice"), reprendra les mêmes accents dans sa harangue aux paras américains le soir du 5 juin 1944, lorsqu'il les appelle à prendre part sans faiblir à "the great Crusade".

    Le christianisme de philosophes qu'est selon Brunschvicg le spinozisme , qui doit être émondé de tous ses aspects "démodés" ( le lourd appareillage euclidien de l'Ethique, notamment) pour devenir la "doctrine du Verbe" , l'idéalisme de la science, "l'activité intelelctuelle prenant conscience d'elle même" ou encore la "science des idées" qu'est la philosophie si elle est fidèle à elle même, ne saurait être identifié avec le christianisme historique, dont le "péché qui ne sera pas pardonné" est moins l'entreprise des premières croisades (justifiées par le fait que l'Islam interdisait en pratique le pèlerinage des chrétiens vers les Lieux Saints) que d'avoir ensanglanté l'Europe lors des multiples guerres de religions.

    Et je dirais même que l'émergence de l'Islam, au 7 ème siècle, signe l'échec chrétien : car si la religion universelle, rapprochant tous les hommes dans la compréhension intellectuelle du Verbe, avait été le christianisme, il n'y aurait eu aucune possibilité pour une religion "universelle concurrente" d'apparaitre.

    Au fond, ce tragique échec de 2000 ans d'histoire mène à la première guerre mondiale, et donc à Hitler et à la seconde. Puis à la création d'Israel, et à la guerre larvée qui éclate au grandjour médiatique le 11 septembre 2001.

     On ne peut bien sûr pas regretter la victoire des alliés sur les nazis le 6 juin 1944 (car si le débarquement n'avait pas réussi, rien n'aurait été gagné en Europe, ni d'ailleurs en Orient). Mais doit on pour autant donner un blanc seing à la puissiance qui a régi les 60 ans qui suivirent, les USA ? certainement pas, et il n'est pour en être persuadé que de prendre conscience que les attaques nucléaires contre hiroshima et Nagasaki, qui resteront pour l'éternité comme deux crimes contre l'humanité à jamais impunis, auraient pu être évités si Truman avait accepté de s'entendre avec Staline pour terminer la guerre avec le Japon.

    Bien sûr, il n'y a plus eu de guerre "chaude" en Occident depuis 1945. Mais la guerre ne continue t'elle pas par d'autres moyens, sur le terrain économique et financier, et ne devient elle pas peu à peu la guerre de tous contre tous qu'annonce l'Apocalypse ? car qu'est ce d'autre que les "conquêtes de nouveaux marchés pour nos produits au détriment de ceux des concurrents" ?

    tout ceci jusqu'à la crise mondiale actuelle, dont on ne discerne pas quelle sera l'issue.

    C'est tout ce destin funeste qu'entend éviter le "christianisme des philosophes", (que l'on peut d'ailleurs appeler tout aussi bien un "Islam des philosophes" , puisque dans la doctrine du Verbe aucun schisme sectaire n'est possible) : l'union indissoluble du rationalisme scientifique et du spiritualisme religieux.

    Et la messe du 24 décembre 1914 retracée dans le film de Carion doit selon nous être interprétée en ce sens. Car si le rationalisme scientifique ne reste pas uni pour le meilleur au spiritualisme religieux, il se mue, pour le pire, en le technicisme sans frein  des canons, des bombes thermonucléaires et....des chambres à gaz.


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