• Marcel Gauchet: «Le gouvernement est en train de trucider la recherche»

    Dans le cadre de l'opération «Changeons le programme», le philosophe Marcel Gauchet a tenu des propos virulents contre la réforme universitaire, pourfendant «la gravité de ces pseudo réformes irresponsables imaginées par l¹actuel gouvernement et ses sbires du monde universitaire».

    Marcel Gauchet à l'EHESS

    Durant une longue conférence de près de deux heures à l¹Ecole des hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Marcel gauchet a prononcé un réquisitoire argumenté contre le programme de réforme gouvernemental des universités.

    L¹auteur du désenchantement du monde s¹estimant en « état de légitime défense pour une certaine idée du savoir et de la réflexion » a énuméré les motifs de l¹anesthésie de la pensée de notre monde. Anesthésie dont le néolibéralisme est la théorisation de l¹inutilité d¹un certain savoir, phénomène paradoxal de désintellectualisation par l¹avènement d¹une société du savoir : « Le néolibéralisme accompagne un mouvement profond de nos sociétés qui les détournent de l¹ambition de se penser au nom d¹une connaissance qui se substituerait avantageusement à cette exigence ». Marcel Gauchet décrit ainsi une indigence intellectuelle, une forme de placidité végétative qui se révélera  peu efficace face à la situation difficile traversée par nos sociétés.

    Une réforme profondément « toxique »

    Revenant sur la réforme des universités, Gauchet ne retient pas ses coups, la qualifiant de profondément « toxique ». S¹attardant sur la question de l¹évaluation des travaux des chercheurs, il estime que la « crise financière témoigne d¹une crise du jugement. Du point de vue des instruments de calculs et d¹évaluations des différents acteurs financiers, tout allait bien, sauf qu¹il existait d¹énormes failles dans le paysage pas du tout impossibles à discerner puisque quelques bons observateurs en avaient fait le diagnostic. Sauf que ces instruments de calculs interdisaient de prendre en compte ces réalités, d¹où le souverain mépris des économistes officiels pour ces avertissements ».

    Du vandalisme politique

    Sans nier les dysfonctionnements du système universitaire français (massification de l¹accès aux universités), le rédacteur en chef de la revue Le Débat dénonce le réformisme de l¹actuel président de la République, l¹absence de diagnostic préalable, et le fétiche brandi de « l¹autonomie ».

    Dans cette méconnaissance des sujets traités par nos politiques, il discerne une forme de cynisme, de méconnaissance et même de vandalisme : « le gouvernement entreprend de démanteler le CNRS mais sans aucune analyse de ce qui ne marche pas, et sans la moindre réflexion stratégique sur les conditions d¹une recherche féconde et efficace. Nous avons affaire à une alliance du lobby industrialo-universitaire de la recherche appliquée et de l¹administration centrale pour installer un système de pilotage de la recherche. Or la recherche, cela s¹aide mais cela ne se pilote pas, ce qui est exigé c¹est la souplesse, la réactivité. Nous avons affaire à une administration qui ne rêve que de trucider la recherche.  L¹important c¹est le mot réforme, ce qu¹elle recouvre, n¹a aucune importance. Cette fois-ci on l¹appelle autonomie ».

    Le chassement de Shanghaï : traumatisme pour nos élites de bons élèves

    Le philosophe s¹amuse alors d'un événement burlesque, « un séisme pour nos élites de bons élèves qu¹a provoqué la publication du classement de Shanghai en 2003. Traumatisme que de découvrir que les établissements, dont ils étaient fiers d¹avoir été, occupaient des places pitoyables. Nous subissons le choc de cette découverte. Les politiques universitaires sont entièrement guidés par l¹obsession de laver l¹affront et de remonter dans le classement de Shanghai sans la moindre réflexion publique sur la signification de ce classement, sur ses biais et les problèmes posés par ce classement ».

    Le système le plus performant du mondeŠ

    Marcel Gauchet n¹hésite d¹ailleurs pas à affirmer que le système universitaire français est le plus performant du monde « parce qu¹il produit le plus avec le moins de moyens, ce qui ne veut pas dire que la performance finale est optimale mais nous soutenons très honorablement la comparaison avec nos collègues américains alors qu¹en termes de moyens nous devrions être quelque part au niveau du Burkina Fasso. Il demeure donc une vraie compétitivité de ce système quels que soient ses défauts ».

    Avant de conclure en pointant l¹un des défauts majeurs du système américain, souvent présenté en exemple par ces élites surdiplômées. « Il est incapable de se reproduire par lui même mais ne survit que par le débauchage d¹élites étrangères ».

    CONFERENCE AUDIO : http://www.marianne2.fr/Marcel-Gauchet-Le-gouvernement-est-en-train-de-trucider-la-recherche-_a175017.html?preaction=nl&id=5908147&idnl=25602 <http://www.marianne2.fr/Marcel-Gauchet-Le-gouvernement-est-en-train-de-trucider-la-recherche-_a175017.html?preaction=nl&id=5908147&idnl=25602>

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  • Université: les fainéants et les mauvais chercheurs, au travail!

    Par Pierre Jourde, écrivain et universitaire
    (http://bibliobs.nouvelobs.com/blog/pierre-jourde/20090210/10490/
    universite-les-faineants-et-les-mauvais-chercheurs-au-travail)

    Une poignée de mandarins nantis qui ne fichent rien de leurs journées
    et refusent d'être évalués sur leur travail, manifeste contre la
    réforme Pécresse pour défendre des privilèges corporatistes et une
    conception rétrograde de l'université. Au travail, fainéants!
    L'ignorance et les préjugés sont tels que c'est à peu près l'image que
    certains journalistes donnent du mouvement des chercheurs, des
    universitaires et des étudiants qui se développe dans toute la France.
    Au Monde, Catherine Rollot se contente de faire du décalque de la communication
    ministérielle, en toute méconnaissance de cause. Le lundi 9
    février, Sylvie Pierre-Brossolette, sur l'antenne de France Info,
    défendait l'idée brillante selon laquelle, comme un chercheur ne
    produit plus grand-chose d'intéressant après quarante ans («c'est
    génétique»!), on pourrait lui coller beaucoup plus d'heures
    d'enseignement, histoire qu'il se rende utile.
    Il aurait fallu mettre Pasteur un peu plus souvent devant les
    étudiants, ça lui aurait évité de nous casser les pieds, à 63 ans,
    avec sa découverte du virus de la rage. Planck, les quantas à 41 ans,
    un peu juste, mon garçon! Darwin a publié L'Evolution des espèces à 50
    ans, et Foucault La Volonté de savoir au même âge. Ce sont des livres
    génétiquement nuls. Aujourd'hui, on enverrait leurs auteurs
    alphabétiser les étudiants de première année, avec de grosses potées
    d'heures de cours, pour cause de rythme de publication insuffisant. Au
    charbon, papy Einstein! Et puis comme ça, on économise sur les heures
    supplémentaires, il n'y a pas de petits profits.
    Mais que Sylvie Pierre-Brossolette se rassure: le déluge de réformes
    et de tâches administratives est tel que son vœu est déjà presque
    réalisé. On fait tout ce qu'il faut pour étouffer la recherche. Les
    chercheurs et les enseignants-chercheurs passent plus de temps dans la
    paperasse que dans la recherche et l'enseignement. Ils rédigent les
    projets de recherche qu'ils auraient le temps de réaliser s'ils
    n'étaient pas si occupés à rédiger leurs projets de recherche. La
    réforme Pécresse ne fera qu'accroître cela.
    Les journalistes sont-ils suffisamment évalués au regard de leurs
    compétences et de leur sérieux? Est-ce que c'est génétique, de dire
    des bêtises sur les antennes du service public?
    On enrage de cette ignorance persistante que l'on entretient
    sciemment, dans le public, sur ce que sont réellement la vie et le
    travail d'un universitaire. Rien de plus facile que de dénoncer les
    intellectuels comme des privilégiés et de les livrer à la vindicte des
    braves travailleurs, indignés qu'on puisse n'enseigner que 7 heures
    par semaine. Finissons-en avec ce ramassis de légendes populistes. Un
    pays qui méprise et maltraite à ce point ses intellectuels est mal
    parti.
    La réforme Pécresse est fondée là-dessus: il y a des universitaires
    qui ne travaillent pas assez, il faut trouver le moyen de les rendre
    plus performants, par exemple en augmentant leurs heures
    d'enseignement s'ils ne publient pas assez. Il est temps de mettre les
    choses au point, l'entassement de stupidités finit par ne plus être
    tolérable.

    a) l'universitaire ne travaille pas assez

    En fait, un universitaire moyen travaille beaucoup trop. Il exerce
    trois métiers, enseignant, administrateur et chercheur. Autant dire
    qu'il n'est pas aux 35 heures, ni aux 40, ni aux 50. Donnons une idée
    rapide de la variété de ses tâches: cours. Préparation des cours.
    Examens. Correction des copies (par centaines). Direction de mémoires
    ou de thèses. Lectures de ces mémoires (en sciences humaines, une
    thèse, c'est entre 300 et 1000 pages). Rapports. Soutenances. Jurys
    d'examens. Réception et suivi des étudiants. Elaboration des maquettes
    d'enseignement. Cooptation et évaluation des collègues (dossiers,
    rapports, réunions). Direction d'année, de département, d'UFR le cas
    échéant. Réunions de toutes ces instances. Conseils d'UFR, conseils
    scientifiques, réunions de CEVU, rapports et réunions du CNU et du
    CNRS, animations et réunions de centres et de laboratoires de
    recherche, et d'une quantité de conseils, d'instituts et de machins
    divers.
    Et puis, la recherche. Pendant les loisirs, s'il en reste. Là, c'est
    virtuellement infini: lectures innombrables, rédaction d'articles, de
    livres, de comptes rendus, direction de revues, de collections,
    conférences, colloques en France et à l'étranger. Quelle bande de
    fainéants, en effet. Certains cherchent un peu moins que les autres,
    et on s'étonne? Contrôlons mieux ces tire-au-flanc, c'est une
    excellente idée. Il y a une autre hypothèse: et si, pour changer, on
    fichait la paix aux chercheurs, est-ce qu'ils ne chercheraient pas
    plus? Depuis des lustres, la cadence infernale des réformes multiplie
    leurs tâches. Après quoi, on les accuse de ne pas chercher assez.
    C'est plutôt le fait qu'ils continuent à le faire, malgré les
    ministres successifs et leurs bonnes idées, malgré les humiliations et
    les obstacles en tous genres, qui devrait nous paraître étonnant.
    Nicolas Sarkozy, dans son discours du 22 janvier, parle de recherche
    «médiocre» en France. Elle est tellement médiocre que les publications
    scientifiques françaises sont classées au 5e rang mondial, alors que
    la France se situe au 18e rang pour le financement de la recherche.
    Dans ces conditions, les chercheurs français sont des héros. Les voilà
    évalués, merci. Accessoirement, condamnons le président de la
    république à vingt ans de travaux forcés dans des campus pisseux, des
    locaux répugnants et sous-équipés, des facs, comme la Sorbonne, sans
    bureaux pour les professeurs, même pas équipées de toilettes dignes de
    ce nom.

    b) l'universitaire n'est pas évalué

    Pour mieux comprendre à quel point un universitaire n'est pas évalué,
    prenons le cas exemplaire (quoique fictif) de Mme B. Elle représente
    le parcours courant d'un professeur des universités aujourd'hui.
    L'auteur de cet article sait de quoi il parle. Elle est née en 1960.
    Elle habite Montpellier. Après plusieurs années d'études, mettons
    d'histoire, elle passe l'agrégation. Travail énorme, pour un très
    faible pourcentage d'admis. Elle s'y reprend à deux fois, elle est
    enfin reçue, elle a 25 ans. Elle est nommée dans un collège «sensible»
    du Havre. Comme elle est mariée à J, informaticien à Montpellier, elle
    fait le chemin toutes les semaines. Elle prépare sa thèse. Gros
    travail, elle s'y consacre la nuit et les week-ends. J. trouve enfin
    un poste au Havre, ils déménagent.
    A 32 ans, elle soutient sa thèse. Il lui faut la mention maximale pour
    espérer entrer à l'université. Elle l'obtient. Elle doit ensuite se
    faire qualifier par le Conseil National des Universités. Une fois
    cette évaluation effectuée, elle présente son dossier dans les
    universités où un poste est disponible dans sa spécialité. Soit il n'y
    en a pas (les facs ne recrutent presque plus), soit il y a quarante
    candidats par poste. Quatre années de suite, rien. Elle doit se faire
    requalifier. Enfin, à 37 ans, sur son dossier et ses publications,
    elle est élue maître de conférences à l'université de
    Clermont-Ferrand, contre 34 candidats. C'est une évaluation, et
    terrible, 33 restent sur le carreau, avec leur agrégation et leur
    thèse sur les bras. Elle est heureuse, même si elle gagne un peu moins
    qu'avant. Environ 2000 Euros. Elle reprend le train toutes les
    semaines, ce qui est peu pratique pour l'éducation de ses enfants,
    et engloutit une partie de son salaire. Son mari trouve enfin un poste
    à Clermont, ils peuvent s'y installer et acheter un appartement. Mme B
    développe ses recherches sur l'histoire de la paysannerie française au
    XIXe siècle. Elle publie, donne des conférences, tout en assumant
    diverses responsabilités administratives qui l'occupent beaucoup.
    Enfin, elle se décide, pour devenir professeur, à soutenir une
    habilitation à diriger des recherches, c'est-à-dire une deuxième
    thèse, plus une présentation générale de ses travaux de recherche.
    Elle y consacre ses loisirs, pendant des années. Heureusement, elle
    obtient six mois de congé pour recherches (sur évaluation, là encore).
    A 44 ans (génétiquement has been, donc) elle soutient son
    habilitation. Elle est à nouveau évaluée, et qualifiée, par le CNU.
    Elle se remet à chercher des postes, de professeur cette fois. N'en
    trouve pas. Est finalement élue (évaluation sur dossier), à 47 ans, à
    l'université de Créteil. A ce stade de sa carrière, elle gagne 3500
    euros par mois.
    Accaparée par les cours d'agrégation, l'élaboration des plans quadri
    ennaux et la direction de thèses, et, il faut le dire, un peu épuisée,
    elle publie moins d'articles. Elle écrit, tout doucement, un gros
    ouvrage qu'il lui faudra des années pour achever. Mais ça n'est pas de
    la recherche visible. Pour obtenir une promotion, elle devra se
    soumettre à une nouvelle évaluation, qui risque d'être négative,
    surtout si le président de son université, à qui la réforme donne tous
    pouvoirs sur elle, veut favoriser d'autres chercheurs, pour des
    raisons de politique interne. Sa carrière va stagner.
    Dans la réforme Pécresse, elle n'est plus une bonne chercheuse, il
    faut encore augmenter sa dose de cours, alors que son mari et ses
    enfants la voient à peine. (Par comparaison, un professeur italien
    donne deux fois moins d'heures de cours). Ou alors, il faudrait
    qu'elle publie à tour de bras des articles vides. Dans les repas de
    famille, son beau-frère, cadre commercial, qui gagne deux fois plus
    qu'elle avec dix fois moins d'études, se moque de ses sept heures
    d'enseignement hebdomadaires. Les profs, quels fainéants.
    ***
    Personnellement, j'aurais une suggestion à l'adresse de Mme Pécresse,
    de M. Sarkozy et accessoirement des journalistes qui parlent si
    légèrement de la recherche. Et si on fichait la paix à Mme B? Elle a
    énormément travaillé, et elle travaille encore. Elle forme des
    instituteurs, des professeurs, des journalistes, des fonctionnaires.
    Son travail de recherche permet de mieux comprendre l'évolution de la
    société française. Elle assure une certaine continuité intellectuelle
    et culturelle dans ce pays. Elle a été sans cesse évaluée. Elle gagne
    un salaire qui n'a aucun rapport avec ses hautes qualifications. Elle
    travaille dans des lieux sordides. Quand elle va faire une conférence,
    on met six mois à lui rembourser 100 euros de train. Et elle doit en
    outre subir les insultes du président de la république et le mépris
    d'une certaine presse. En bien, ça suffit. Voilà pourquoi les
    enseignants-chercheurs manifestent.


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  • Les dernières lignes , prodigieuses et bouleversantes, du livre "Le hasard et la nécessité" de Jacques Monod n'ont pas pris une ride :

    «l'ancienne alliance est rompue ; l'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers, d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part. A lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres"

    Athéisme ? que non pas ! mais plutôt hymne au Dieu des philosophes et des savants ! ceci nécessite quelques explications....

    L'ancienne alliance, c'est aussi ce que Monod appelle l'animisme, l'état des sociétés humaines d'avant la science moderne, où la cohésion du groupe, de la tribu, primait sur toute autre considération, dans le combat quotidien contre la Nature, pour arracher les ressources nécessaires à la survie, et contre les autres tribus ou "groupes", toujours sources potentielles d'affrontements et donc de destruction plus ou moins complète.

    Nous avons hérité de ces hommes, nos ancêtres, l'exigence d'une "explication totale" (celle promise par les mythes) , et le souci, l'angoisse de "chercher le sens de l'existence".

    Le monothéisme hébreu, puis chrétien et enfin islamique, s'est présenté comme rupture avec les "idolâtries animistes". Mais il n'a pas permis une telle rupture, tout simplement parce que la science véritable n'était pas encore née. Il a fallu à celle ci deux étapes : celle de la Grèce antique, de sa géométrie et de sa statique (chez Archimède), puis, après un intervalle de près de 20 siècles où les mythes orientaux ont étouffé tout libre essor de la recherche rationnelle, celle, définitive, de la science copernicienne et galiléenne, émergeant en concomitance avec une science du mouvement, une dynamique, qui a rendu possible l'apparition d'une mécanique enfin complète , rendant compte des phénomènes cosmiques (de Copernic à Galilée et Newton).

    Mais le progrès scientifique s'avère destructeur des "anciens équilibres", ceux assurés par l'ancienne alliance, à cause de l'explosion démographique, de la destruction des espèces, causées par la suppression de la "sélection naturelle" dans les sociétés développées, puis dans le monde entier. Ces observations sont devenues banales depuis quelques années, pas une journée sans qu'on nous mette en garde contre le réchauffement climatique, et qu'on nous demande instamment de "sauver la planète".

    Mais Monod met en garde contre un mal beaucoup plus profond, parce que beaucoup plus difficile à combattre, un "mal de l'âme" selon lui. Ce "mal", appelé par d'autres (pour s'en plaindre, généralement) désenchantement du monde, consiste en ce que l'humanité a accepté les pouvoirs fantastiques que lui a donné la science, pouvoirs et richesses bien supérieurs à ceux que promettait l'ancienne "magie" (qui d'ailleurs ne tenait pas ses promesses, pour ce que nous en savons en tout cas de ceux qui à l'heure actuelle se prétendent encore magiciens, ou sorciers, ou marabouts), mais a refusé d'en adopter le code de "valeurs", diamétralement opposé à celui de l'ancienne alliance animiste.

    Un tel diagnostic est juste, et peut être vérifié quotidiennement : on est un virtuose de l'informatique, ou du "trading" mais on croit encore à l'astrologie, ou aux sociétés occultes, ou à que sais je encore en fait de nunucheries...

    Le nouveau code de valeurs , celui proposé par la science, et qu'elle demande d'adopter si l'on accepte les pouvoirs qu'elle donne, est selon Monod très simple, il l'appelle "éthique de la connaissance" : il consiste à s'en tenir, pour ce qui est de la connaissance véritable (c'est à dire : susceptible d'être démontrée vraie ou fausse, ayant une valeur de vérité), au postulat d'objectivité (qui prend, de nos jours, la forme de l'axiomatique mathématique).

    Ce qui implique d'établir une séparation stricte entre le domaine de la connaissance et celui de l'éthique :

     "la connaissance est exclusive de tout jugement de valeur tandis que l'éthique, par définition non objective, est à jamais exclue du champ de la connaissance. C'est cette distinction radicale, posée comme un axiome, qui a créé la science".

    Seulement, il faut aller plus loin que cette séparation : car l' imposture de l'humanité moderne (de nous tous) s'inscrit bien, dans une certaine mesure, dans ce schéma de "séparation stricte", analogue à celle qui avait cours entre sacré et profane dans les anciennes alliances (y compris l'hébraïque).

    Cette imposture, source de tous nos malheurs et du "gouffre qui se creuse sous nos pieds" (cette formule de Monod prend tout son sens en ce début d'année 2009) consiste à accepter le postulat d'objectivité scientifique pour le domaine de la connaissance, mais pour ce qui est de la base de la  morale à continuer de gober  un «écoeurant mélange de religiosité judéo-chrétienne, de progressisme scientiste, de croyance en des droits "naturels" de l'homme et de pragmatisme utilitariste».

    (sous d'autres cieux, la religiosité prendra la forme islamique, ou hindouiste, ou bouddhiste...encore que selon Monod, "de toutes les grandes religions, le judéo-christianisme est sans doute la plus primitive par sa structure historiciste, directement attachée à la geste d'une tribu bédouine avant d'être enrichie par un prophète divin".

    Or l'authenticité selon Monod, différente de celle à laquelle appelle Heidegger, réclame de jeter aux orties (ou au feu) cette écoeurante bouillie réchauffée de la Bible (ou du Coran) mélangée et touillée avec du positivisme façon 19 ème siècle et des droits de l'homme style "Nouvel Obs" , mais certainement pas toute valeur éthique.

    Car choisir (librement) le postulat d'objectivité comme base de la recherche de la connaissance véritable (c'est à dire vérifiée, c'est à dire toujours revérifiable, ou réfutable) est un choix éthique (libre) et un axiome de valeur, non pas un axiome de connaissance (puisque par définition , toute connaissance véritable ne peut venir qu'en aval de ce choix).

    De manière bien proche, la thèse généralisée de Hume dit que "de ce qui est" on ne peut dériver par voie logique "ce qui doit être". Et ceci a été démontré, rigoureusement , dans un livre de logique mathématique et philosophique intitulé : "The is-ought thesis", paru aux éditions Kluwer (maintenant Springer) dans la collection "Studia logica".

    Monod dit : "Dans l'éthique de la connaissance, c'est le choix éthique d'une valeur primitive qui fonde la connaissance. Par là elle diffère radicalement des éthiques animistes, qui toutes se veulent fondées sur la «connaissance» de lois immanentes, religieuses ou naturelles, qui s'imposeraient à l'homme".

    des "lois"  «connues» non pas de par une recherche rationnelle, mais en écoutant un prophète inspiré des dieux, ou de Dieu, ou en lisant le livre Saint de la tribu....expliqué par "ceux qui savent", car peu clair.

    Même Platon, retombé du mathème au niveau du mythe, commence le traité des "Lois" par "qui a le premier dit les lois, un homme ou un dieu ? un dieu, assurément !".

    On jugera si cette phrase de Monod témoigne d'un athéisme :

    " Par la hauteur même de son ambition, l'éthique de la connaissance pourrait peut être satisfaire l'exigence de dépassement (qui est au coeur de l'homme). Elle définit une valeur transcendante, la connaissance vraie, et propose à l'homme non pas de s'en servir, mais désormais de la servir, par un choix délibéré et conscient".

    Quant au discours inauthentique, consistant à amalgamer et confondre les deux catégories de "connaissance" et de "valeur", ou de "ce qui est " et de "ce qui doit être", "il ne peut conduire qu'aux non-sens les plus pernicieux, aux mensonges les plus criminels".

    Bref à nous.....à notre situation de détresse, en cet An I de la "Grande Crise".

    Nonobstant les différences de formulation, qui peuvent paraitre quelquefois radicales, je suis convaincu que Monod plaide ici pour la "religion philosophique" et le Dieu des philosophes et des savants, qui n'a rien à voir avec les livres sacrés et les anciennes alliances, celles d'avant la science, d'avant Copernic.

    Il n'y a qu'un seul Dieu, le Dieu des philosophes et des savants, et Copernic est son seul Prophète.

     Un "Dieu" qui n'est pas "avec nous" dans l'épreuve, ou "face à nous" dans les conditions mystiques de la prière ou de la méditation supra-rationnelle; un Dieu qui n'intervient pas dans le cours de l'Histoire , qui effectivement nous laisse dire que "nous savons enfin que nous sommes seuls dans l'immensité indifférente de l'Univers".

    parce que c'est un "Dieu" qui n'est pas, mais qui "doit être" de par notre libre choix et notre libre acte, acte et choix libre qui se nomme "raison" et ascension infinie vers la Pensée Infinie qui est Dieu (à la fois l'ascension et le "terme" inaccessible si nous savons ce qu'infini veut dire)

    Et d'ailleurs Monod associe explicitement le "libre choix" du code de valeur de ce qu'il appelle "éthique de la connaissance" au Discours de la Méthode de Descartes :

    «L'éthique de la connaissance ne s'impose pas à l'homme ; c'est lui au contraire qui se l'impose, en en faisant axiomatiquement la condition d'authenticité de tout discours et de toute action. Le Discours de la méthode (de Descartes) propose une épistémologie normative, mais il faut le lire aussi et avant tout comme méditation morale, comme ascèse de l'esprit»

    ce Discours de la méthode dont Brunschvicg qu'il est le traité de la seconde naissance, pour toute l'humanité.....


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  • Nous poursuivons ici par quelques rappels techniques le travail d'évaluation des formalismes "standard" de la mécanique quantique , dûs à Von Neumann. Le but étant de s'acheminer vers la physique des topos. 

    Le cadre mathématique général est un espace de Hilbert complexe H, à dimension infine et séparable (c'est à dire qu'il existe un ensemble dénombrable dense dans H);

    on a donc un produit scalaire, noté (Dirac) ‹φ ι ψ›, linéaire en ψ et linéaire conjugué en φ.

     B(H) désignera l'espace des opérateurs bornés de H

    Si  X ∈ B(H) son opérateur adjoint X* est défini par :  ‹φ ι X*ψ› = ‹Xφ ι ψ›

    X est dit hermitien, ou auto-adjoint, si X = X* , isométrique si X* X = I (opérateur identité) ; si de plus XX* = I X est dit unitaire.

    Une projection est un opérateur auto-adjoint et idempotent : X = X*  = X2 ; les projections sont bornées, l'ensemble des projections est noté P(H), des projections particulières sont 0 et I, et si A est un projection non nulle elle est de norme 1.

    Deux projections A,B sont dites orthogonales (ou disjointes) si AB = BA = 0

    Les quantités Q observables ou mesurables du système étudié sont représentées par les opérateurs auto-adjoints Q  de H, qui peuvent être non bornés.

    Les valeurs possibles pour Q parcourent le spectre de Q , σ(Q), qui est défini comme C \ R(Q) où R(Q) est la résolvante de Q, soit l'ensemble des nombres complexes q ∈ C tels que l'opérateur (Q - qI) a un inverse borné dans B(H). Si Q est auto-adjoint , donc si c'est un observable, le spectre est un sous-ensemble de R (valeurs mesurées réelles donc : ouf !). Le nombre q est une valeur propre de Q s'il existe un u non nul dans H tel que :

                        Qu = qu

    Si q est une valeur propre alors évidemment q  ∈ σ(Q) mais l'inverse n'est pas vrai.

    Ainsi par exemple les opérateurs de position et de moment (analogue de la quantité de mouvement) dans l'espace des fonctions complexes de carré intégrable sur R , L2(R) , n'ont pas de valeurs propres mais ont comme spectre (donc comme "valeurs possibles)  le corps R : les variables correspondantes peuvent donc être mesurées, contrairement à l' objection de Rosinger dans l'article précédent. Mais cela ne remet pas en cause les doutes de Von Neumann !

    L'opérateur de position  Q : L2(R)  → L2(R)  envie une fonction f sur Qf avec : Qf(x) = xf(x) (son domaine de définition est donc l'ensemble des fonctions de carré intégrable telles que xf(x) soit aussi de carré intégrable).

    L'opérateur de moment P envoie f sur Pf avec :  Pf(x) = -i (d/dx)f(x)

    Les opérateurs P et Q se correspondent par la transformation de Fourier, ainsi que par la commutation de Heisenberg (meant aux fameuses relations d'incertitude):

                  (QP - PQ) f = if

    Théorème spectral pour les opérateurs hermitiens.

    (article technique, en transformation et élaboration perpétuelle)


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  • Je recopie ici un article que j'avais écrit à propos de Taslima Nasreen sur un autre blog, "Conversion spirituelle", que je n'ai plus le temps de continuer, et qui se poursuit...ici !

    http://conversionspirituelle.wordpress.com/2008/08/20/taslima-nasreen/

    il faudra bien d'ailleurs réfléchir sur le cas de quelqu'un qui se réclame sans cesse de l'unité mais commence des tas de blogs en passant de l'un à l'autre, etc...la psychanalyse aurait sans doutes des choses intéressantes à nous dire sur ce cas  (lire notamment ce que j'écris sur cette "haute science" dans l'article cité supra)

    J'ai assez tapé sur la France actuelle (qui aime bien châtie bien, comme on dit, et aussi : corruptio optimi pessima) pour reconnaître une "belle action" par laquelle notre pays se distingue : je veux parler du droit d'asile offert à cette femme admirable, Taslima Nasreen, qui était en fuite, passant de pays en pays, pourchassée par la vindicte de monstres (se réclamant de "Dieu" mais assimilables à des bêtes féroces), et que les puissances "démocratiques" n'avaient pas le courage de défendre et de protéger, en particulier cette Angleterre si tolérante (notamment pour les islamistes lançant des appels au meurtre) , si empressée d'expulser le "raciste islamophobe" Geert Wilders ou de laisser les manifestants "pro Hamas" injurier sa police aux cris de "porcs ! sales mécréants !" :

    http://www.bivouac-id.com/2009/02/14/londres-janvier-2009-la-police-britannique-insultee-et-humiliee-par-la-foule-mahometane-la-video-sous-titree-en-francais/

    http://www.bivouac-id.com/2009/02/12/alerte-le-depute-neerlandais-wilders-arrete-a-londres-va-etre-renvoye-aux-pays-bas/

    Taslima Nasreen va enfin pouvoir "poser ses valises", se reposer un peu, protégée par des policiers en civil (oui ça coûte cher à notre pays déjà surendetté, mais il y a tellement de choses qui coûtent très cher, notamment des montres de luxe, 250 000 francs soit presque 38000 euros me suis je laissé dire ); puis elle pourra, dans la Ville-Lumière, espérons le, reprendre ses activités de création artistique.

    Cette femme est d'une beauté "intérieure" et intemporelle, qui la place sur le même plan que les "Madones" des grands peintres italiens (NB : ceci n'est pas une déclaration d'amour ni une petite annonce ).

    Nous nous trouvons tous , nous autres français, grandis et enrichis par sa présence sur le sol de notre pays, et je doit lui dire un grand "Merci" d'avoir accepté de s'installer parmi nous.... cela nous tire, pour un court délai, hors du Néant de la "fosse de Babel" où Paris est entraînée, comme les autres capitales occidentales....comme le dit Goethe à la fin du "Second Faust" :

    "L'Eternel Féminin nous entraîne vers les hauteurs" (Das Ewige-Weiblich ziegt uns hinan )

    et nul doute que Taslima Nasreen ne représente cet Eternel Féminin, tout comme ce Médiateur auquel fait allusion Brunschvicg, et qui n'est autre que le Christ, ce Christ qui n' a rien à voir avec le christianisme (qui s'est montré infidèle à ses principes universalistes ), qui n'est pas lié pour l'éternité à un individu historique (Jésus ou un autre) mais que tout homme et toute femme peut "réaliser" en lui en se convertissant dans l'immanence du coeur et de l'esprit à l'humanité véritable, c'est à dire aussi en se déifiant, selon les termes même de Brunschvicg dans l'article évoqué ici : "Spiritualisme et sens commun".

    Bien sûr, il est regrettable que ce mot de "médiateur" ait été depuis souillé, en étant utilisé pour d'autres usages : cela semble être en particulier une nouvelle lubie de notre cher "président" d'affubler ses ministres ou secrétaires d'Etat en difficulté (Yves Jego, Valérie Pécresse, etc..) de médiateurs et de médiatrices, chargés d'arrondir les angles, et bientôt sans doutes de médiateurs de médiatrices, etc...comme ce monde moderne devient compliqué !

    On notera aussi que le livre de Brunschvicg "La philosophie de l'esprit", cité dans cet article, est maintenant accessible sur le site des "Classiques" :

    http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/philosophie_de_esprit/philosophie_de_esprit.html

    Voici donc le texte de l'ancien article que j'avais écrit, j' ai cru bon d'en retrancher les vociférations contre la psychanalyse et Freud auxquelles je m'étais livré, qui n'ont rien à voir avec le sujet, qui ne porte pas sur les viennois barbus forcenés, morphinomanes,  et pseudo-rationalistes mais sur cette "Grande Dame" de la Pensée : Taslima Nasreen.

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    «La philosophie de l'esprit» est un petit recueil de leçons qu'a données Léon Brunschvicg en Sorbonne en 1921 et 1922; il s'agit d' un travail préparatoire au grand oeuvre qu'est le «Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale».

    J'en tire ces lignes admirables, extraites de la treizième leçon : La conversion à l'humanité

    « ce qui s'oppose avec Socrate à la force matérielle du passé social, c'est l'humanité idéale que portent en soi la découverte et le développement de la raison pratique, c'est une sorte de Médiateur tel que sera le Verbe selon Malebranche dans les Méditations chrétiennes, ou le Christ selon Spinoza dans le Tractatus theologico-politicus.

    Le Médiateur est présent chez Galilée devant le Saint Office, comme plus tard, devant la violence acharnée des critiques, chez Lavoisier ou chez Cauchy, chez Pasteur ou chez Einstein. C'est lui aussi qui est, devant les condamnations prononcées par les autorités sociales, présent chez le Pascal des Provinciales et chez le Voltaire de l'affaire Calas, chez le Rousseau de l'Emile et chez le Kant de la Religion dans les limites de la simple raison.

    Cette présence est ce qui rend heureux le modèle de justice que Platon a dépeint dans le second livre de la République:

    il sera fouetté, torturé, mis aux fers, on lui brûlera les yeux; enfin, après lui avoir fait souffrir tous les maux, on le mettra en croix, et par là on lui fera sentir qu'il faut se préoccuper non d'être juste mais de le paraître

    Or le juste parfait, quelle que soit sa destinée, du point de vue physique ou social, est heureux non en songeant à l'avenir, par l'espoir d'un temps où serait matériellement compensé et récompensé le sacrifice actuel, mais par une joie immédiate, intérieure et pleine qui ne laisse place à aucune idée de sacrifice, où il s'exalte au contraire dans le sentiment d'incarner la justice éternelle et universelle »

    j'ajouterai bien sûr tout de suite, ce que Brunschvicg ne pouvait pas dire de lui même,  que le plus parfait exemple de ce Médiateur ( qui est aussi le Logos endiathetos ou le Verbum ratio du «Progrès de la conscience») est.... Brunschvicg lui même. Et la mise en croix n'a pas consisté dans son cas en une mise au ban sociale (puisqu'il était l'une des sommités, l'un des Mandarins de la philosophie française, au moins dans les années 30) mais dans la parfaite incompréhension, ignorance (et mise sous silence, ou presque,  depuis 1945 ) du sens de sa pensée...ceci pour ne pas parler des affreux malheurs qu'il a dû subir à la fin de sa vie à partir de l'invasion allemande de 1940, malheurs qu'il a endurés avec le calme parfaitement stoïque qui signalent le Sage, et prouvent , vérifient, qu'il a réalisé, comme Spinoza, «non pas le meilleur système philosophique, mais la vraie philosophie».

    Ceci est d'ailleurs une réponse aux critiques d'un Martial Guéroult (critiques qui doivent être prises en considération venant de l'un des plus grands historien de la philosophie) qui croit réfuter l'oeuvre de Brunschvicg en observant que celle ci fait sans cesse appel à l'exigence de vérification, mais omet de vérifier ses axiomes de départ (ce qui est impossible d'après les conceptions de Guéroult d'ailleurs). Mais la vérification est ici la personne même de Brunschvicg (ou de Spinoza) dont TOUS les commentateurs, même les plus critiques, reconnaissent l'immense valeur , ainsi que  la parfaite bonté et humilité et pour tout dire la parfaite humanité...

    Mais je voudrais ici reconnaitre un nouvel avatar (mot choisi exprès ici) du Médiateur   en la personne de cette femme admirable et sublime qu'est Taslima Nasreen.

    Je ne veux certainement pas jeter la pierre à Ayaan Hirsi Ali ni à Theo Van Gogh, dont j'admire l'immense courage (que Theo Van Gogh a payé de sa vie) face au fanatisme qui en ce siècle menace l'humanité dans son existence même, mais il me semble que Taslima Nasreen se situe, comme d'ailleurs Salman Rushdie dont elle partage les origines et le génie littéraire, à un niveau supérieur.

    Je n'en veux pour preuve que son livre Lajjâ , cause de tous ses ennuis, livre insupportable pour les islamistes comme pour les autorités politiques puisqu'elle y fait une place à l'autre , Autre qu' est pour elle, la musulmane par la naissance,  l'hindou qui est le héros du livre et dont elle raconte les persécutions qu'il subit de la part de la majorité musulmane du Bangladesh:

    http://www.republique-des-lettres.fr/10280-taslima-nasreen.php

    Cette femme d'un talent et d'une noblesse de caractère exceptionnels est soumise depuis des années à des menaces de mort, harcèlement et persécutions de la part de groupes islamistes, et obligée de mener une vie errante en changeant régulièrement de pays et de continent. L'Inde, pays où pourtant les musulmans ne sont qu'une minorité (mais une minorité très agissante) est embarrassée par son cas : craignant que le fragile équilibre communautaire ne soit rompu, et que des émeutes inter-ethniques n'ensanglantent le pays, les divers pouvoirs politiques des états de l'Inde où elle se réfugie se croient obligés de l'exfiltrer , cédant aux exigences des islamistes. L'Europe ou les USA pourraient lui accorder un visa de réfugiée (mais là aussi , les agitateurs islamiques feraient tout ce qu'ils peuvent pour qu'elle soit expulsée), mais Taslima Nasreen considère que c'est l'Inde qui est son cadre naturel, et ne veut vivre que là bas.

    J'extrais du site suivant :

    http://www.chiennesdegarde.org/article.php3?id_article=32

    la réaction, en 1999, de la première ministre bengladaise de l'époque à un livre de Taslima:

    « Taslima Nasreen vient de littéralement tuer son père et sa mère dans son dernier livre. Ce qu'elle écrit, ce n'est ni plus ni moins que de la pornographie, ajoute-t-elle en rappelant que l'écrivain a été trois fois divorcée. Et de conclure : Son livre, je viens de le faire interdire !»

    ces propos sont glaçants et terrifiants !

    C'est ici que les lignes de Brunschvicg citées plus haut, et qui ont été écrites en 1921-1922, prennent tout leur sens !

    Quel est il , ce Dragon, qui semble Tout Puissant et éternel, auquel Taslima Nasreen doit faire face comme en leur temps Socrate à ses juges ou Galilée (ou Giordano Bruno) à ses inquisiteurs ? il s'appelle fanatisme bien sûr, ou intégrisme, ou extrémisme , catégories dont sont friands nos medias occidentaux politiquement corrects, qui rappellent (et ils ont raison) que Taslima Nasreen pourrait trouver un refuge où personne ne viendrait chercher à l'expulser dans un état , celui du Gujarath par exemple, gouverné par les extrémistes hindouistes qui par haine de l'Islam sont prêts à l'accueillir les bras ouverts.

    Mais Taslima Nasreen refuse, et pour une bonne raison qu'ignorent nos medias occidentaux si corrects : c'est qu'elle est une nouvelle incarnation, un nouvel avatar du Médiateur dont parle Brunschvicg, et que comme l'avait vu Brunschvicg elle ne fait pas face seulement au dragon fanatisme, mais à un monstre bien plus puissant sans lequel le premier n'aurait aucune force  : le conformisme social et religieux. Car sont ils des hommes de foi, ces gouvernants qui expulsent (oh pardon : exfiltrent ) une femme qui est un écrivain de génie, et qui pourrait apporter au pays où elle résiderait un gain culturel considérable, juste pour éviter des émeutes sanglantes en cédant aux exigences des islamistes ? sont ils des hommes de foi ces leaders religieux qui déclarent que l'on peut parler de tout, y compris du port du voile, mais que ce qui est insupportable est la manière indécente dont Taslima (comme Theo Van gogh en son temps) a osé parler du Prophète de l'Islam ?

    mais pourtant le Prophète Mahomet n'est qu'un homme comme les autres (faillible donc !), c'est là l'une des bases de l'Islam, qui entend se démarquer du mythe chrétien de l'incarnation divine ou des mythes hindouistes des Avatars... mais il semble que certains sont plus hommes que d'autres, puisque toute critique du Prophète est interdite sous peine de mort, et que ce prophète semble jouir de droits spéciaux (avoir treize épouses notamment, et d'innombrables concubines, alors que l'Islam interdit d'en avoir plus de quatre).

    Ici encore c'est Brunschvicg qui nous prévient en opposant le prophétisme, propre aux mentalités primitives d'Orient, à la Raison qui est aussi la spiritualité véritable propre à l'Occident (l'  Occident véritable là aussi, dont l'Occident actuel n'est qu'une pâle copie non conforme), raison attachée au scrupule de l'incessante vérification, contre le dogmatisme oriental qui assène : «C'est Moi la Vérité !». Voici la citation de Brunschvicg qui correspond si bien là encore au sujet traité :

    Léon Brunschvicg évoquait « la nécessité psychologique qui fait que le soit-disant prophète ne peut emprunter sa figuration de l'avenir qu'aux ombres du passé ». Il opposait « le positivisme de raison » au « positivisme d'Église fondé tout entier sur le sentiment de confiance qu'un homme éprouve (et fait partager) dans la valeur unique de sa pensée et où il puise l'illusion de pouvoir créer la méthode et dicter à l'avance les résultats des disciplines qui ne sont pas encore constituées à l'état de science. » .


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