•  Brunschvicg , dans "Héritage de mots héritage d'idées", nous livre quelques clés pour comprendre ce que nous appelons idéalisme rationnel et mathématisant et qui ne désigne rien d'autre que ce que nous avons compris de la philosophie de cet auteur, qui est notre boussole, voire notre "lampe", si j'en crois ce passage tiré de "Contrainte de lumière" de Paul Celan :

    "Je peux encore te voir : un écho,

    palpable avec des mots

    tactiles, à l'arête

    de l'adieu.

    Ton visage s'effarouche doucement,

    quand soudain fait une clarté de lampe

    en moi, à l'endroit

    où l'on dit le plus douloureusement Jamais."

    cette lumière intérieure, que nous cherchons dans la philosophie, elle n'a rien à voir avec la lumière physique, celle du dehors; elle réclame une contrainte de fer, un effort, une conversion de tous les instants, nous forçant à nous tourner vers "cet endroit où l'on dit le plus douloureusement Jamais".

    Elle est la lumière des idées : née de notre effort honnête pour nous éclairer à nous même nos idées, puis intensifiée en retour par celles ci, si du moins nous trouvons la juste approche de ce qui est notre "être véritable", car Brunschvicg dit quelque part que "nous sommes nos idées", ce qui ne diminue en rien l'exigence d'action qui est le propre de la lumière occidentale, car le propre des idées véritables est d'être directement agissantes, sinon ce ne sont que des vains rêves. Il dit aussi (dans l'introduction à "Héritage de mots héritage d'idées")

    "C’est en nous transportant dans l’intérieur de l’idée comme les microphysiciens ont pénétré à l’intérieur de l’atome, que nous aurons chance de parvenir au contact des questions véritables qui plongent par leurs racines dans l’histoire de l’esprit humain."

    ( http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/heritage_de_mots_idees/avant_propos )

    or  cette phrase, qui nous ouvre tout un monde, est beaucoup plus qu'une belle image, chez le philosophe qui voit dans l'émergence de la physique mathématique au 17 ème siècle un "changement daxe de la vie religieuse", et nous allons ici brièvement expliquer pourquoi.

    "comme les microphysiciens ont pénétré à l'intérieur de l'atome", cela sonne un peu comme une boutade, mais c'est justement ce qui doit nous mettre sur la voie : cela prend une tournure "réaliste" pour consommer justement la ruine du réalisme, qui n'est autre que la compréhension naîve et vulgarisée, de la physique, au profit de l'idéalisme.

    Car nous savons bien que les physiciens, même lorsqu'ils utilisent leurs microscopes ou leurs accélérateurs de particules, n'ont pas pénétré "réellement" au coeur du monde "subatomique", sinon nous serions dans un film de science fiction : "L'homme qui rétrécit".

    Ils y ont pénétré "en esprit", au moyen de leurs équations et de leurs groupes de symétries, qui sont autant d'organes (spirituels) pour mettre en évidence d'autres symétries, invisibles à l'oeil nu.

    Or c'est exactement ce qu'affirme une nouvelle conception de la physique qui fait son chemin : celle de la nature informationnelle des entités de la physique.

    Ainsi par exemple John Weeler, cité page 263 du livre extraordinaire de R W Carroll : "Fluctuations, information, gravity and the quantum potential":

    "toutes les entités physique trouvent leur origine dans la théorie de l'information, notre univers est un univers de participation; la participation de l'observateur donne lieu à l' information, et celle ci à la physique".

    Bien entendu, l'information dont il est parlé ici est de nature mathématique, définie selon des notions rigoureuses qui sont par exemple l'information de shannon ou de fisher, elle n'a rien à voir avec les informations, ou plutôt pseudo-informations, que nous donnent les journaux ou le JT du soir.

    Mais c'est justement pourquoi je vois là comme une "échelle" féconde pour nous élever à la compréhension supérieure de ce que dit Brunschvicg quand il parle de la philosophie et de l'idéalisme, et qu'il retrouve chez des penseurs aussi différents que Descartes, Malebranche, Spinoza , Kant ou Fichte (et , ajouterai je, Husserl).

    C'est d'ailleurs chez Malebranche, et sa fameuse théorie de la "vision en Dieu", que nous en trouvons les formulations les plus frappantes.

    L'esprit n'a pas affaire à des corps, mais à des sensations, et au niveau le plus élevé à des idées...

    en aucun cas les entités dont parle la physique n'existent "réellement" dans le monde, sinon où serait le progrès par rapport au réalisme naïf du sens commun qui croit que l'arbre que voici là bas existe "absolument", (pas seulement pour nous autres humains, mais aussi pour "Dieu", dans l'absolu).

    eh non ! cet "arbre" est ma représentation, il apparait pour moi, et pour les humains, constitués comme moi, pour m'indiquer que je peux effectuer certains actes le visant: mais il n'existe pas pour des êtres différents, minuscules, comme les fourmis...

    Et, en généralisant, nous arrivons à la fameuse citation de Schopenhauer, qui forme le début du "Monde comme volonté et comme représentation", et qui est rigoureusement vraie : "Le monde est ma représentation".

    C'est à dire : le monde dont nous sommes entourés n'existe que comme représentations dans son rapport avec un être percevant, qui est l'homme lui même... tel est l'idéalisme absolu qui est celui de Schopenhauer, comme de tout philosophe véritable... mais il y a des nuances, et nous laisserons là le grand Schopenhauer, auquel nous préférons le criticisme mathématisant de l'école française...

    donnons quelques références pour illustrer de manière plus claire la manière dont la conception informationnelle de la physique illumine ces questions...

    Dans ce papier : "From information geometry to Newtonian dynamics" : http://arxiv.org/abs/0710.1071 ,

    Caticha et Cafaro dérivent toute la théorie newtonnienne non pas de prétendues "lois de la Nature", mais de l'inférence statistique et de la dynamique de l'entropie fondée qur le principe de "maximisation de l'entropie". ainsi (page 2) les notions familières comme masse, temps, énergie, sont dérivées des lois de l'inférence, qui est une activité spirituelle humaine. Le Temps absolu de Newton perd ainsi immédiatement son "absoluité", et Newton aurait compris son erreur s'il avait pu, de son temps, utiliser cette approche.

    Les équations bien connues de la dynamique newtonienne pour une particule élémentaire sont dérivées page 6 (equations 20 et 21),et le paramètre temps trouve son explication dans l'equation 19,  et page 7 les auteurs déclarent :

    "si Newton, Lagrange et Jacobi avaient connu moins de physique et plus de théorie de l'inférence statistique, ils auraient donné à leurs théories la forme qui est illustrée ici"...

    Dans cet autre papier : "Metric on a statistical space-time" : http://arxiv.org/abs/math-ph/0403043

    Jacques et Xavier Calmet dérivent l'espace temps de Minkowski de la relativité restreinte, à trois dimensions d'espace et une de temps, des mêmes principes de l'inférence.

    Comme dans l'article précédent, et comme dans tous les travaux de cette nature, la "géométrie" ordinaire, euclidienne ou minkoskienne, voit ses "points" remplacés par des distributions de probabilité, ce qui correspond au caractère "flou" ou "aléatoire" (fuzzy, random) de l'univers "participatif", et les varitétés différentielles de la géométrie riemanienne deviennent des "variétés informationnelles" (statistical manifolds).

    Celles ci ne sont rien d'autres que des "modèles statistiques", c'est à dire des familles de distributions de probabilités indexées par un paramètre , qui joue le rôle des coordonnées de la variété.

    Sur ces variétés l'information de Fisher  joue le rôle du tenseur métrique dans les géométrie riemanniennes. Et l'article dérive (page 5) la métrique lorentzienne de la relativité restreinte à partir de distributions de probabilités complexes, et non plus réelles.

    Ainsi espace, temps, tout comme les notions de la physique ordinaire : masse, énergie, gravité, etc... s'avèrent comme de nature ultime "informationnelle", ce qui est la marque du caractère philosophique idéaliste de la physique mathématique.

    ainsi s'explique la conception de Brunschvicg, qui voyait une signification religieuse dans l'émergence de la physique mathématique moderne.

    La philosophie, qui est la "science des idées", se situe alors dans la continuité de la physique : les entités mathématiques de l'information cèdent simplement la place à des entités plus "difficiles à saisir", abstraites si l'on veut, mais tout aussi bien spirituelles : les idées.

    "les idées, qui définissent les condtions du vrai et du juste, font à celui qui les recueille et qui s'abandonne à elles , une âme de vérité et de justice; la philosophie, qui est la science des idées, doit au monde de telles âmes, et il dépend de nous qu'elle les lui donne".

    Ces lignes qui constituent la fin de "L'idéalisme contemporain", datant du début du 20 ème siècle, définissent et balisent encore aujourd'hui la tâche des "hommes de bonne volonté.


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  • Brunschvicg, dans les pages consacrées à Platon au tome 1 du "Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale", pose en termes clairs le problème du platonisme, qui coïncide avec une aporie , une impasse où s'est enlisée toute la civilisation occidentale , c'est à dire toute la civilisation:

    http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/progres_conscience_t1/brunschvicg_progres_conscience_t1.rtf

    Le problème de la société athénienne , qui marque le début de la civilisation, est aussi le nôtre, tel que l'analyse par exemple de façon géniale un romancier comme Hermann Broch  : dissolution et déclin des normes et des valeurs, intellectuelles-morales, sous les coups de boutoir de l'appétit pour les biens sensibles, les richesses, les honneurs, les plaisirs;

    "Tel est le problème qui donne naissance à l’œuvre platonicienne. Les termes en sont admirablement précisés par un texte central de l’Apologie : « Quoi, cher ami, ne cesse de répéter Socrate à chacun de ses concitoyens, tu es Athénien, tu appartiens à une cité qui est renommée la première pour sa science (σοφία) et sa puissance ; et tu n’as pas honte de consacrer tes soins à ta fortune pour l’accroître le plus possible, et à ta réputation et à tes honneurs, tandis que la pensée (φρόνησις), la vérité, tandis que l’âme qu’il s’agirait d’améliorer sans cesse, tu ne leur donnes aucun soin, tu n’y penses même pas. » (29 d e.)

     Ce problème, seul Platon le pose de façon juste et en termes rigoureux, et  c'est là la grandeur éternelle du platonisme, sa force d'impact encore aujourd'hui, et plus que jamais aujourd'hui (et Badiou a bien eu raison de consacrer encore cette année son séminaire à Platon). Les contemporains et les "suiveurs" de Platon régressent dans le mythe et la théologie d'inspiration militariste:

    "C’est à quoi les socratiques ne pouvaient réussir. Chez Antisthène comme chez Aristippe, l’aspiration à l’autonomie se retourne, contre l’intention de Socrate, jusqu’à ébranler et l’autorité de la loi scientifique qui établit entre les esprits une liaison interne et solide, et le crédit de la loi politique qui maintient l’ordre dans les communautés établies, tandis que Xénophon rétrograde jusqu’au stade théologico-militaire, dont l’empire perse lui avait offert l’image, abaisse le jugement de la raison sous le double conformisme de la tradition religieuse et de l’institution sociale."

    Les forces de discipline et de dévouement auxquelles Athènes avait dû sa prospérité d’ordre intellectuel et d’ordre matériel, elle les a laissées se dissoudre par l’effet même de cette prospérité, dans l’appétit de jouissance et d’ambition qui s’est développé avec la victoire sur l’Asie. Ce qu’il faut donc, c’est susciter dans la cité un amour fervent pour les valeurs spirituelles : φρόνησις, αληθεια, ψυχή, sans pourtant accentuer le divorce entre la vie politique, livrée par l’affaissement des mœurs démocratiques aux intrigues des tribuns ou des tyrans, et la vie morale, fondée sur la conscience que l’individu prend de sa puissance d’affranchissement intérieur.

    Platon se refuse à poser ainsi l’alternative. Au point de départ de sa pensée, il y a cette intuition profonde et prophétique : le salut d’Athènes et l’intérêt de la civilisation sont inséparables. Athènes ne peut être régénérée que par des homme capables de faire servir aux disciplines de la vie collective la certitude incorruptible de la méthode scientifique "

    Mais, comme il arrive souvent, comme il arrive toujours, Platon est (ou plutôt devient) l'ennemi de Platon, en ce qu'il s'arrête "au milieu du gué" :

    "La pensée platonicienne semble ainsi achever son cycle en se retournant contre elle-même. Elle avait eu pour ressort initial le souci de rigueur, le scrupule d’intelligence, que crée la réflexion sur les sciences exactes.....

    A l’Idée du Bien qui est la divinité en esprit et en vérité, selon la science et selon la philosophie, va  s’opposer le Dieu de la dialectique synthétique, le Démiurge, fabricant du monde, qui est lui-même de fabrication mythologique."

    Platon se met à mythologiser (par exemple dans République avec la fable d'Er, dans Timée...).  Pourquoi ?

    on pourrait ici invoquer la notion d'entropie appliquée à la philosophie, souvenons nous des phrases bouleversantes de Nietzsche à la fin d'Aurore, quand il décrit le destin des "aéronautes de l'esprit", cédant à la fatigue au milieu de leur traversée de l'Océan et heureux de trouver un récif où se reposer : "à toi aussi cela arrivera, comme à moi".

    Mais c'est aussi, et d'abord, parce que la science de son temps n'est pas assez développée pour permettre l'édification d'une mathesis universalis : il faudra pour cela attendre Descartes.

    "Mais, une fois que le philosophe a pris conscience des conditions qui lui permettent d’affirmer la validité d’un raisonnement ne lui devient-il pas impossible de passer par-dessus ces conditions pour présenter comme rigoureusement établi ce qui en réalité ne l’est point ? Savoir et dire qu’en s’appuyant sur les méthodes infaillibles de la géométrie on a fondé le progrès ascendant d’une dialectique, qui d’antithèse en antithèse, parvient à l’Unité de la thèse inconditionnelle, c’est savoir en même temps que ces mêmes méthodes font défaut lorsqu’il s’agit de retourner le sens de la dialectique, et de faire concourir l’intelligible à l’explication du sensible. Or, ce que Platon sait, il le dit. La physique véritable doit être une physique mathématique, capable de résoudre effectivement l’intuition mécaniste de Démocrite en combinaisons de rapports géométriques qui affronteraient victorieusement l’épreuve de la réalité. En utilisant « par un raisonnement assez insolite » les maigres ressources de la science de son temps, Platon fait œuvre de prophète plus que de précurseur : il délimite du dehors le terrain où s’élèvera l’édifice de la pensée moderne. Mais précisément la forme mythique du Timée atteste à quel point Platon a eu la claire conscience des exigences inhérentes à la méthode scientifique, et de la distance qu’elles mettaient entre l’esquisse d’une solution et la solution elle-même."

    Seulement, il semble que cette explication, assez rassurante, ne suffise pas : il s'agit dd'avoir le courage de regarder la réalité en face, et cette réalité, la nôtre, celle de ces derniers jours, mois, ou années, est rien moins que rassurante ou exaltante: depuis l'imbécilité galopante de ces foules abjectes qui pleurent le "pauvre, si pauvre Mickael Jackson" jusqu'à la révélation de l'escroquerie généralisée sur laquelle est fondé le capitalisme financier américain, et donc mondial..

    Posons une bonne fois la question :

    comment se fait il que l'intelligence de la science moderne, qui quoiqu'on en dise est accessible, en Occident tout au moins, à tous ceux qui veulent bien faire l'effort d'y accéder (ce qui certes représente un effort considérable), que cette intelligence donc ait produit autant de bêtise et de "passions tristes" ?

    C'est ici à mon sens que doit se situer la nécessaire et difficile prise de conscience de l'aporie de la condition humaine, de toute condition humaine qui est, puisque l'homme est un être social, celle de toute vie en société : l'inadéquation de la politique de masse et de la philosophie rationnelle. Brunschvicg la dépeint, de manière implicite , dans les développements regroupés sous le titre "philosophie et politique" (27-28-29  sq ):

    "29. Mais voici, au-dessous du plan idéaliste, une question qui, tout étrangère qu’elle est à la pure philosophie, va s’imposer au patriotisme de Platon, pour infléchir la courbe de sa carrière et de sa pensée. La sagesse du philosophe qui s’est retiré du monde pour vivre dans l’imitation de Dieu a, comme contre-partie inévitable, la maladresse et la gaucherie qui le mettent hors d’état de s’appliquer aux affaires de la vie pratique, qui font de lui, comme jadis de Thalès, la risée d’une servante thrace. (Théétète, 174 a.) Est-il légitime de se résigner à cette séparation de la vertu philosophique et de la réalité sociale, qui s’est traduite, dans l’histoire d’Athènes, par des événements tels que la condamnation de Socrate ? N’est-ce point manquer à l’intérêt de l’humanité que de l’abandonner aux opinions absurdes et aux passions désordonnées de la multitude ? et la misanthropie n’est-elle point, en définitive, un péché contre l’esprit, au même titre que la misologie ? (Phédon, 89 b.)"

    En d'autres termes: comment aider la foule à quitter les dieux des religions tribales, ethniques, populaires, pour le Dieu-Raison des philosophes et des savants , sans non plus courir le risque de les faire tomber dans les rets de l'athéisme et du nihilisme (qui est celui de l'Occident actuel) ?

    Or Platon n'a pas la réponse....et Brunschvicg non plus... pas plus que Confucius, Bouddha, Badiou, Mao, Lénine, Mussolini, Sarkozy  ou Obama....personne ne l'a !

    "Mais ici encore intelligence oblige : la rigueur de la méthode sur laquelle Platon avait fondé l’ensemble de ses vues théoriques lui interdisait de fermer les yeux sur l’exacte portée des applications dont elles étaient encore susceptibles. De même que l’arithmétique et la géométrie de son temps ne lui paraissaient pas en état de porter le poids d’une physique positive, même de limiter à sa zone de positivité le système des mathématiques, qu’elles l’obligeaient à le prolonger en une dialectique des Idées, de même il a été le premier à reconnaître qu’une doctrine sociale, fondée sur une discipline de la raison, ne pouvait pas devenir d’elle-même populaire, en raison des caractères internes qui en conditionnent la structure et en justifient la vérité. La pédagogie platonicienne, de par la nature même de son problème, est au rouet, puisqu’elle demande à s’appuyer sur les instruments qu’elle à pour tâche de créer.

    Dès lors, s’il est décevant d’attendre que la justice procède spontanément de la sagesse, et s’il est pourtant interdit de désespérer du salut de l’humanité, il faudra, bon gré, mal gré, consentir à se placer en dehors du centre lumineux de l’intelligence, et se résigner à escompter les moyens de fortune grâce auxquels peut-être on verra converger vers l’hégémonie de la sagesse les conditions de la réalité physique et de la réalité sociale. « Toutes les grandes choses sont hasardeuses, ou, comme on dit, toutes les belles choses sont difficiles dans la réalité. » (Rép., VI, 497 d.) A moins que les souverains ne se trouvent convertis à la philosophie véritable par une inspiration venue des Dieux, l’avènement de l’État juste suppose qu’une nécessité (νάγκη) s’exerce sur le sage, mais cette fois de bas en haut, et pour opérer comme une conversion à rebours. Il ne s’agira de rien moins que de le contraindre à devenir ouvrier divin (δημιουργός) de tempérance, de justice, de vertu politique en général. (VI, 500 d.)"

    Or, si du moins nous choisissons le Dieu des philosophes plutôt que le Dieu d'Abraham (puisque nous savons après avoir lu Brunschvicg qu'ils sont inconciliables) nous savons (et non pas nous croyons) qu'il est vain d'attendre une inspiration venue des Dieux : c'est à nous de faire tout le travail, c'est à nous de "faire être" le Dieu véritable, c'est à dire le Dieu qui est la Vérité, par notre travail infini de recherche de la Vérité qui s'appelle philosophie véritable, ou mathesis universalis.
    Car souvenons nous de la formule "magique" (il faut bien une magie quelque part, même chez les rationalistes impénitents) de Brunschvicg, que nous gagnerions à nous répéter tous les matins au lever et tous les soirs au coucher :
     
    "la vérité est, le bien est, Dieu est" : telel est la triple formule du scepticisme, de l'immoralisme et de l'athéisme

    Si nous comptions sur l'inspiration et l'aide divine c'est que Dieu serait : or Dieu n'est pas, il doit être (de par notre travail infini).

    L'acheminement vers le Dieu des philosophes et des savants, qui est pure lumière intellectuelle et pure intériorité, ne peut se faire que par un choix libre : le libre choix entre raison et violence.

    C'était déjà la prémisse-axiome d'Eric Weil dans "Logique de la philosophie".

    La liberté, ce n'est pas le libre arbitre, ce n'est pas la liberté de "faire ce qui me plait" : la seule liberté qui ait sens, c'est le liberté de penser, c'est à dire la libre recherche de la vérité. Seul un être faillible, libre de se tromper, peut rechercher, et donc découvrir, la vérité.

    C'est là la différence abyssale entre le Dieu des philosophes et le Dieu des fables et des nuées, , le Dieu d'Abraham....

    On ne peut pas "convertir" les hommes à la Vérité, c'est à dire à la libre et désintéressée recherche de la vérité, contre leur gré. Sinon il y a violence , et c'est bien le diagnostic de Brunschvicg à propos du dernier platonisme :

    "Ainsi apparaît, dans l’ordre pratique, ce même appel à la violence qui prélude à l’œuvre de la synthèse spéculative. Le démiurge de la Cité, comme le démiurge de l’univers, se souvient des Idées pour les appliquer à une matière rebelle : il regarde vers les imaginations informes et les désirs tumultueux de la multitude, afin d’y faire pénétrer du dehors l’harmonie. Le recours à la dialectique aura donc lieu, désormais, non plus pour l’usage interne et pour la vérité, mais pour l’usage externe et pour l’autorité. La mathématique, instrument de la lumière spirituelle, destinée à éclairer et à ennoblir, est détournée de son application normale, utilisée afin d’éblouir et d’aveugler. L’homme qui aura le mieux déjoué les pièges sans cesse renaissants de l’imagination, rejeté les symboles illusoires de la poésie, qui aura mérité par là d’être promu, ou obligé, à la dignité de législateur, va, une fois devenu magistrat, produire une mythologie artificielle, et pousser l’ironie du philosophe jusqu’à imiter la majesté du prêtre, pour mieux en imposer aux foules crédules. Comme aux yeux du peuple précision vaut exactitude, il fera ce que font les auteurs de cosmogonies et d’Apocalypses, il dissimulera l’extrême fantaisie de l’invention sous l’extrême minutie du détail ; il forgera dans la République l’énigme auguste du nombre sacré. Et ce dialogue, qui devait transmettre à l’Occident l’héritage d’une méthode où s’appuient, sur la fermeté incorruptible de l’intelligence scientifique, la pureté de la spiritualité religieuse et la pureté de la pratique morale, a pour conclusion paradoxale l’imagination, avouée comme telle, d’une justice cosmique qui suivrait les cadres, qui reflèterait au dehors les exigences, de la justice sociale. La dégénérescence s’accentue encore de la République aux Lois qui marquent comme un renoncement de l’œuvre platonicienne à l’esprit du platonisme : « L’idéal de la République y semble abandonné. Il n’y est plus question, en effet, ni de l’éducation des philosophes, ni de leur gouvernement, qui rend les lois inutiles. Au contraire, comme dans le Politique, Platon proclame la nécessité de celles-ci, et il les établit jusque dans le plus minutieux détail, avec une recherche fréquente de l’exactitude mathématique... Enfin, en liant aussi étroitement qu’il l’a fait la loi à la religion, il ne satisfait pas seulement sa croyance profonde à l’universalité de l’ordre divin, il veut donner à la contrainte de la loi un surcroît d’efficacité, l’autorité propre d’une chose sacrée . »"


     

     Cette violence est toujours et encore notre destin humain trop humain !

    Car aucun régime politique, même affranchi des anciennes "lois religieuses", n'a trouvé la clef magique, le Sésame ouvre toi de l'affranchissement intellectuel et donc de l'amour universel entre les "frères et soeurs humains".

    tout s'est effondré : christianisme politique ou social, islam, boudhisme, hindouisme, communisme, fascisme, capitalisme...

    Et nous nous retrouvons, hébétés, au milieu du chaos et des ruines...

    pouvons nous compter sur un relèvement "miraculeux", par le libre choix de tous de la libre recherche rationnelle de la vérité ?

    je ne le crois pas, car non seulement les conditions n'en sont pas réunies, mais les conditions de l'attitude inverse, de l'asservissement généralisé aux instincts médiocres,, règnent...

    comme le disait Brunschvicg quelques temps avant la débâcle de 1940, où il fut emporté comme les autres, avant tous les autres :

    "le sommet s'élève, la base s'enfonce"


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  • pour signer ce texte :

     http://petitions.alter.eu.org/index.php?petition=7

     

     

     

    Refonder l'Université française

     

    Préambule

    Il est désormais évident que l'Université française n'est plus seulement en crise. Elle est, pour nombre de ses composantes, à peu près à l'agonie. Qu'on comprenne bien ce que cela signifie. L'Université n'est pas tout l'enseignement supérieur français. Les classes préparatoires, celles de BTS, les IUT (lesquels font formellement partie des universités), et l'ensemble des petites, moyennes ou grandes écoles, publiques ou privées recrutent largement. Mais c'est au détriment des formations universitaires, que les étudiants désertent de plus en plus, et cela tout particulièrement pour les études scientifiques. Le secteur non universitaire de l'enseignement supérieur offre des formations techniques et professionnelles, parfois de qualité, mais parfois aussi très médiocres. Même si la situation évolue depuis quelques années pour sa fraction supérieure (les « grandes écoles »), ce secteur n'a pas vocation à développer la recherche et à donner des outils de culture et de pensée, et guère les moyens humains et scientifiques de le faire. C'est dans les universités que l'on trouve la grande majorité des savants, des chercheurs et des professionnels de la pensée. Pourtant, alors qu'on évoque l'émergence d'une « société de la connaissance », nos universités ont de moins en moins d'étudiants et ceux-ci sont rarement les meilleurs. Une telle situation est absurde. Dans aucun pays au monde l'Université n'est ainsi le maillon faible de l'enseignement supérieur.

    Le processus engagé depuis déjà plusieurs décennies ne conduit pas à la réforme de l'Université française, mais à son contournement. Il ne s'agit pas en disant cela de dénoncer un quelconque complot, mais de prendre acte de la dynamique d'un système à laquelle chacun contribue par ses « petites décisions » ou par sa politique : les étudiants, leurs familles, les lycées, publics et privés, les entrepreneurs d'éducation, les collectivités locales et, in fine, l'État lui-même. Le déclin de l'Université, matériel, financier et moral, est désormais bien trop avancé pour qu'on puisse se borner à repousser les réformes proposées. Si des solutions susceptibles de réunir un très large consensus parmi les universitaires et les chercheurs mais aussi au sein de l'ensemble de la société française ne sont pas très rapidement formulées, la catastrophe culturelle et scientifique sera consommée. Or de qui de telles propositions pourraient-elles procéder sinon des universitaires eux-mêmes ? C'est dans cet esprit que les signataires du présent manifeste, très divers dans leurs choix politiques ou idéologiques, y compris dans leur appréciation de la loi LRU, ont tenté d'identifier les points sur lesquels un très large accord pouvait réunir tous les universitaires responsables et conscients des enjeux. L'enjeu n'est rien moins que de refonder l'Université française en la replaçant au centre de l'enseignement supérieur.

     

    Propositions

    1. Quant à la place de l'Université

    Une des principales raisons du marasme de l'Université française est qu'elle se trouve en situation de concurrence déloyale avec tout le reste du système d'enseignement supérieur (classes préparatoires et de BTS, IUT, écoles de tous types et de tous niveaux), toutes institutions en général mieux dotées per capita et davantage maîtresses du recrutement de leur public. On touche là à un des non-dits récurrents de toutes les réformes qui se sont succédé en France. Cette situation est d'autant plus délétère que la gestion de l'enseignement supérieur dans son ensemble dépend d'autorités ministérielles et administratives distinctes (l'enseignement secondaire pour les classes préparatoires et les STS, les ministères sectoriels pour les écoles professionnelles diverses), voire échappe à tout contrôle politique. Imagine-t-on un ministère de la Santé qui n'ait que la tutelle des hôpitaux publics ! La condition première d'une refondation de l'Université est donc que le ministère de l'Enseignement supérieur exerce une responsabilité effective sur l'ensemble de l'enseignement supérieur, public ou privé, généraliste ou professionnel. C'est à cette condition impérative qu'il deviendra possible d'établir une véritable politique de l'enseignement supérieur en France et de définir la place qui revient à l'Université dans l'ensemble de l'enseignement supérieur.

    Plus spécifiquement, un tel ministère aura pour mission première de créer un grand service public propédeutique de premier cycle réunissant (ce qui ne veut pas dire normalisant dans un cycle uniforme) IUT, BTS, classes préparatoires et cursus universitaires de licence. Il lui faudra également procéder à une sorte d'hybridation entre la logique pédagogique des classes supérieures de l'enseignement secondaire et des écoles professionnelles d'une part, et celle des universités d'autre part ; c'est-à-dire introduire davantage l'esprit de recherche dans les premières et, symétriquement, renforcer l'encadrement pédagogique dans les secondes.


    2. Quant aux missions de l'Université

    La mission première de l'Université est de produire et de transmettre des savoirs à la fois légitimes et innovants. Assurément, d'autres missions lui incombent également. Elle ne peut notamment se désintéresser de l'avenir professionnel des étudiants qu'elle forme. Elle est par ailleurs responsable de la qualité de la formation initiale et continue qu'elle délivre et de la transmission des moyens intellectuels, scientifiques et culturels à-même d'assurer une citoyenneté démocratique éclairée.

    Deux principes doivent commander l'articulation entre ces différentes missions : d'une part, le souci primordial de la qualité et de la fiabilité des connaissances produites et transmises ; d'autre part, la distinction nécessaire entre missions des universités et missions des universitaires, soit entre ce qui incombe à l'établissement considéré globalement et ce qui incombe individuellement aux enseignants-chercheurs et chercheurs.

    Parce qu'une université doit être administrée, pédagogiquement et scientifiquement, et se préoccuper de la destinée professionnelle de ses étudiants, il est nécessaire qu'elle dispose en quantité et en qualité suffisante de personnels administratifs et techniques spécialisés dans ces tâches. Il incombe en revanche à des universitaires volontaires d'en assurer le pilotage. D'importantes décharges de service d'enseignement doivent alors leur être octroyées.

    Quant au service d'enseignement lui-même, sauf heures complémentaires librement choisies, il ne saurait excéder les normes précédemment en vigueur. De même, le régime d'années ou semestres sabbatiques de recherche, qui est la norme dans toutes les universités du monde, doit être à la hauteur de la vocation intellectuelle de l'Université, et non plus géré de façon malthusienne.


    3. Quant aux cursus

    Il convient de distinguer clairement l'accès à l'enseignement supérieur pour les bacheliers et l'accès aux masters.

    En ce qui concerne l'entrée en licence, il convient de rappeler que le principe du libre accès de tout bachelier à l'enseignement supérieur est, en France, un des symboles mêmes de la démocratie, le pilier d'un droit à la formation pour tous. Il n'est ni possible ni souhaitable de revenir sur ce principe. Mais il n'en résulte pas, dans l'intérêt même des étudiants, que n'importe quel baccalauréat puisse donner accès de plein droit à n'importe quelle filière universitaire. Pour pouvoir accueillir à l'Université les divers publics issus des baccalauréats, il faut y créer aussi des parcours différenciés. Seule une modulation des formations pourra permettre de concilier les deux versants de l'idéal universitaire démocratique : l'excellence scientifique, raison d'être de l'Université, et le droit à la formation pour tous, qui la fonde en tant que service public. Il convient donc à la fois de permettre une remise à niveau de ceux qui ne peuvent accéder immédiatement aux exigences universitaires par exemple en créant des cursus de licence en 4 ans , et de renforcer la formation pour d'autres publics, par exemple en créant des licences bi-disciplinaires qui incarnent une des traductions concrètes possibles de l'idéal d'interdisciplinarité, si souvent proclamé et si rarement respecté. Il convient du même coup que l'Université puisse sélectionner ses futurs étudiants selon des modalités diverses, permettant d'identifier les perspectives d'orientation des étudiants et d'y associer un cursus adapté.

    Une telle modification des règles du jeu universitaire ne peut toutefois être introduite sans qu'elle s'accompagne d'une amélioration substantielle de la condition étudiante en termes de financement et de conditions de travail. Le refus actuel de regarder en face la variété des publics étudiants conduit en effet à leur paupérisation et à la dégradation de leur situation matérielle et intellectuelle au sein des Universités. L'idée d'un capital minimum de départ attribué à chaque étudiant mérite à cet égard d'être envisagée.

    En ce qui concerne les études de master, il est, de toute évidence, indispensable d'instaurer une sélection à l'entrée en première année et non en deuxième année, comme c'est le cas actuellement en application de la réforme des cursus de 2002 qui a créé le grade de master (système « LMD »). La rupture ainsi introduite au sein du cycle d'études de master a d'emblée fragilisé ces nouveaux diplômes, en comparaison des anciens DEA et DESS qu'ils remplaçaient. Il faut également supprimer la distinction entre masters professionnels et masters recherche qui conduit paradoxalement à drainer vers les cursus professionnels les meilleurs étudiants, ceux qui seraient précisément en mesure de mener des études doctorales.


    4. Quant à la gouvernance

    Tout le monde s'accorde sur la nécessaire autonomie des universités. Mais ce principe peut être interprété de manières diamétralement opposées. Sur ce point la discussion doit être largement ouverte, mais obéir à un double souci. D'une part, il convient de ne pas confondre autonomie de gestion (principalement locale) et autonomie scientifique (indissociable de garanties statutaires nationales). D'autre part, pour assurer la vitalité démocratique et scientifique des collectifs d'enseignants-chercheurs, qui forment en propre l'Université, il est indispensable de concevoir des montages institutionnels qui assurent au corps universitaire de réels contre-pouvoirs face aux présidents d'Université et aux conseils d'administration, ce qui suppose des aménagements significatifs de la loi LRU. Il faut, en somme, redonner au principe de la collégialité universitaire la place déterminante qui lui revient et qui caractérise l'institution universitaire dans toutes les sociétés démocratiques. Le renouveau de ce principe de collégialité doit aller de pair avec une réforme du recrutement des universitaires qui permette d'échapper au clientélisme et au localisme.

    Par ailleurs il est clair que l'autonomie ne peut avoir de sens que pour des universités qui voient leurs ressources augmenter et qui n'héritent pas seulement de dettes. En ce qui concerne la recherche, cela signifie que les ressources de financement proposées sur appels d'offre par les agences ne soient pas prélevées sur les masses budgétaires antérieurement dédiées aux subventions de financement des laboratoires, mais viennent s'y ajouter. De manière plus générale, en matière de recherche, il convient de mettre un terme à la concurrence généralisée entre équipes, induite par la généralisation du financement contractuel, lequel engendre souvent un véritable gaspillage des ressources, en garantissant aux laboratoires un certain volume de soutien financier inconditionnel accordé a priori et évalué a posteriori, notablement plus important qu'il ne l'est aujourd'hui.

     

    Conclusion

    Bien d'autres points mériteraient assurément d'être précisés. Mais les principes énoncés ci-dessus suffisent à dessiner les contours d'une Université digne de ce nom. Nous appelons donc tous ceux de nos collègues et nous espérons qu'ils représentent la très grande majorité de la communauté universitaire et scientifique à nous rejoindre en signant ce Manifeste à l'adresse internet suivante. Celui-ci pourrait servir de point de départ à une véritable négociation, et non à des simulacres de concertation, et être à la base d'une auto-organisation d'États généraux de l'Université.

     


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  • "La totalité", de Christian Godin, est une somme considérable de savoir qu'il ne saurait être question d'aborder de front, "par la face Nord", ici.

    Il le faudrait pourtant bien, car elle représente la pensée exactement inverse de celle qui sous-tend les travaux effectués ici : hégélienne et "totalisante", alors que nous choisissons de "casser" toute totalité ou ce qui se prétendrait tel, comme figure du sens commun non informé du paradoxe de Russell, ou ne le prenant pas au sérieux.

    On l'abordera donc par petits bouts, et pour commencer, évidemment, par la "Mathesis universalis", celle de Descartes , Leibniz et des rationalistes de l'âge classiques mais aussi leurs prédecesseurs du Moyen age ou même de l'antiquité, puisqu' il est évident que la Mathesis universalis ne sort pas toute armée du cerveau de Descartes lors de sa "nuit de songes" du 10 au 11 novembre 1618 dans son "poële" , telle Athéna de la tête de Zeus...les projets de Pansophie et de "Clavis universalis" en sont évidemment les ancêtres, légitimes ou illégitimes, c'est à voir...

    Godin en parle surtout dans le tome 2 de son magnum opus, consacré aux "pensées totalisantes", et au tome 3, consacré à la philosophie.

    On trouve ces deux ouvrages sur Google en "affichage d'extraits limités", mais pour ce qui nous occupe ici, tout ce qu'il est important de lire est accessible, cela ne fait que quelques pages ; voici les liens :

    Tome 2 : (les pages importantes  à lire sont : 513 à 515, 517, 521, 524, 526, 528, 529, 532, 533 à 536, 539 etc...

    http://books.google.fr/books?id=KfVjQazUanUC&pg=PA514&lpg=PA514&dq=mathesis+universalis+Godin&source=bl&ots=GSmgiHLRGx&sig=gVr6UKaSoOgo5HJI4xexA5PTBA4&hl=fr&ei=PJW2SfW5CqTEjAeo0fCrCQ&sa=X&oi=book_result&resnum=1&ct=result#PPA513,M1

    Tome 3 : (voir surtout le chapitre sur Descartes, page 534 à 545, certaines manquent sur google mais on arrive à se faire une idée assez exacte de ce que godin a voulu dire )

     http://books.google.fr/books?id=0yr554JtGzUC&pg=PA239&lpg=PA239&dq=totalite+godin+mathesis+universalis&source=bl&ots=eDSDhc9hCH&sig=VAAmTdTxp2T7cC6iwl-elcEfGHA&hl=fr&ei=-4C3Se-kMOTGjAeW1-SdCQ&sa=X&oi=book_result&resnum=1&ct=result#PPA241,M1

    Il y a deux manières d'envisager la notion de Totalité : selon l'être, ou selon le savoir. La première est naîve et pré-philosophique, et l'on s'en rend facilement compte en observant qu'elle se ramène en somme à la seconde, au domaine du savoir, de la pensée. Car pour former des totalités (selon certains critères spécifiques) il faut un être qui pense, qui évalue, qui compte, et qui juge. Et si le fameux "Eν το παν"  grec ("Un est le Tout") est juste, il doit être interprété sous la forme d'une équation "conceptuelle" : Tout = Un (visible dans la théorie ddes catégories avec l'axiome assertant qu'il existe un morphisme identité en tout objet).

    Nous sommes donc ramenés à l'Un, au savoir et à la connaissance donc; là encore, comme le fait remarquer Godin page 513 volume 2, il y a deux manières de prendre une vue complète d'un paysage : en le parcourant entièrement, ou bien en montant sur une hauteur et en "embrassant d'un seul coup d'oeil", d'un "oeil d'aigle", la totalité du paysage.

    Ce qui correspond pour le domaine du savoir aux deux approches : encyclopédique  (faire un tour exhaustif des différents domaines du savoir) , ou bien unitive:"saisir l'unité profonde des connaissances et (par) la mise au jour des
    principes".

    ou encore, ajoute Godin : d'un côté ceux qui font prédominer totalité sur unité
    (les encyclopédiques), de l'autre ceux qui privilégient l'unité (les
    mathematikoi, les gens du mathème, ou plutôt de la mathesis).

    Notre balisage sur unité et totalité quelques lignes plus haut nous force en
    quelque sorte à choisir la seconde approche, qui est évidemment celle de la
    Mathesis universalis : car totaliser c'est déjà se placer sur le plan du savoir,
    ou en tout cas de l'abstraction, et c'est déjà unifier, comme le montre le cas
    des ensembles mathématiques.

    C'est aussi ce que constate Descartes, voir volume 3 de Godin, pages 239 à 241)
    qui refuse de fonder comme Aristote la totalisation unitaire sur l'ousia, mais
    choisit de l'édifier sur l'humana sapientia, l'humaine sagesse, qui comme le
    Soleil est partout et toujours la même.

    Descartes est selon moi le plus grand penseur qui ait jamais paru sur la scène
    du monde, et il est aussi le penseur le plus important, celui qu'il faut
    préférer à tous les autres, en nos temps de détresse nihiliste et
    relativiste-multiculturaliste : je ne connais pas d'antidote plus fort que
    l'unité partout et toujours de l'humana sapientia, qui est la Mathesis
    universalis, contre le poison post-moderne du relativisme multiculturel, qui est
    en fait à l'origine du nazisme, comme sans doute demain de l'islamisme qui va
    faire basculer l'Europe dans l'horreur sanglante, pour nos descendants des
    années 2050-2100. Seul Descartes peut encore nous sauver Clin d'oeil.... mais hélas il est
    de bon ton de nos jours de le rejeter dans les ténèbres extérieures au "camp
    des saints" : tout admirateur de Descartes est immédiatement suspecté, voire
    accusé sans autre forme de procès, d'eurocentrisme, autant dire de racisme...

    Descartes est aussi ce penseur qui refuse la conception encyclopédiste du savoir
    au nom d'un savoir total : la Mathesis universalis, la science UNE de toutes les
    sciences. Et il ne peut le faire qu'après avoir réfuté, dans les première des
    Régles pour la direction de l'esprit, l'argument selon lequel une connaissance
    totale serait impossible il est certes impossible de maîtriser tous les arts, ou
    tous les métiers, parce qu'il ne sont pas reliés entre eux, et que le temps de
    vie est fini; mais les sciences, par contre, "vont ensemble", ou encore sont
    organisées comme une catégorie mathématique, avec des flèches les reliant toutes
    l'une à l'autre.

    Les Regulae sont sans doute, avec le Discours et les Meditationes, l'ouvrage le
    plus important de Descartes, le seul où il parle de la Mathesis universalis,
    dont il avait eu la "révélation" au cours de la nuit de songes (évoquée par
    Godin au volume 3, page 238) de 1619. Je ne trouve sur Internet que la version
    latine de cet ouvrage, par exmple à :

    http://pedagogie.ac-toulouse.fr/philosophie/descregulae.htm

    Ce n'est pas du latin de Cicéron, on arrive à lire en gros, mais je ne me
    risquerai cependant pas à traduire la belle image qui assimile la sagesse
    humaine au soleil, qui figure au commentaire de la Règle 1 :

    "Nam cum scientiae omnes nihil aliud sint quam humana scientia, quae semper una
    et eadem manet, quantumvis differentibus subjectis applicata, nec majorem ab
    illis distinctionem mutuatur, quam solis lumen a reum, quas illustrat,
    varietate, non opus est ingenia limitibus ullis cohibere: neque enim nos unius
    veritatis cognitio, veluti unius artis usus, ab alterius inventione dimovet, sed
    potius juvat"


    La Mathesis universalis est donc un projet de totalité, c'est son "atavisme" pré-moderne (pré-cartésien, si l'on veut) , mais par l'unité du savoir, c'est ce en quoi elle est moderne, cartésienne. On la refusera en bloc si l'on considère, comme la majorité de nos contemporains, et la quasi-totalité des "scientifiques" que l'équation totalité = totalitarisme, est, certes un peu simpliste, mais en gros valide. Nous ne faisons pas ici ce choix là...

    mais il reste pas mal de choses à éclaircir ! l'alternative de la Mathesis universalis, parmi les projets de totalité, c'est évidemment le Savoir absolu hégélien. Godin semble dire (et même dit explicitement) qu'il réalise la synthèse des deux points de vue, encyclopédique et unitaire. Et il semble avoir un avantage, à nos propres yeux, c'est qu'il est réalisable ici et maintenant, dans une conscience singulière parvenant à s'universaliser complètement, ce qui signerait la fin de l'Histoire (impossible , selon certains autres interprètes de Hegel). Et l'on sait que Hegel place la mathématique, sinon la Mathesis, à une place subalterne par rapport au Logos , qu'il affirme incarner totalement pour la première fois dans l'Histoire. 

    Christian Godin rappelle aussi opportunément , après Courtine, que la règle 4 des Regulae interdit de confondre Mathesis universalis et mathématique universelle. La mathesis est la source, ou la condition de possibilité,  de la mathématique comme des autres sciences; elle ne retient comme objet que l'ordre et la mesure. Elle peut aussi être considérée comme la méthode, ou plutôt ce qui fonde et assure l'unité de la méthode dans les sciences, qui ne sont que branches de l'arbre, unique,  de la science.

    Par rapport à la Mathesis universalis cartésienne, celle de Leibniz apparaît comme une déchéance , une rechute dans le langage et les logoî, dont nous avons reconnu l'inanité par rapport aux mathemata : Leibniz nomme cette dégénérescence : characteristica generalis, vain fantasme d'une langue adamique universelle donnant directement accès mystérieux aux "choses" qu'elle nomme (rechute dans la mentalité primitive et tribale donc, avec sa confusion des noms et des êtres, qui permet entre parenthèse la possibilité du blasphème) et calculus ratiocinator...ce qui a donné l'informatique de nos jours.

    Reprenant l'image du paysage dont on peut soit faire le tour, de façon encyclopédique, soit avoir une vue d'ensemble et panoramique en montant sur une hauteur, on pourra dire que la hauteur, la montagne, est la mathématique universelle. Mais cette montagne s'élève bien plus haut que la Tour de Babbel, dont elel est d'ailleurs l'exact inverse : unité de LA mathématique universelle contre confusion des langues et des "cultures" et "religions" (ethniques). Elle s'élève bien plus haut parce qu'elle s'élève...à l'infini...potentiellement parlant du moins. On n'en conçoit pas le terme.

    On peut donc dire que dans l'histoire , on atteint des sommets provisoires, à partir desquels on obtient une vision toujours plus large et panoramique. Le sommet actuel , l'état contemporain le plus unifié de la mathématique universelle, c'est la théorie des catégories. L'histoire dont on parle là, c'est l'histoire du développement du savoir et de la connaissance véritable, ayant une valeur de vérité. Elle est infinie en droit sinon en fait, par contre l'autre histoire, celle des peuples, des guerres et de l'occupation progressive de la planète Terre par l'humanité , est, quant à  elle, finie, en droit et en fait. 

    Continuons notre image : si les sommets successifs sont les états progressifs , de plus en plus élevés, perfectionnés et unifiés, de la mathématique universelle, la Mathesis universalis, elle, est la lumière qui permet de voir, ou même, la condition de possibilité de la vision (car la lumière est encore une image trop matérielle et physique) : elle est donc, selon ce que dit Descartes, toujours une et la même. C'est la mathématique universelle qui progresse, et avec elle la conscience de l'humanité, d'où ce progrès de la conscience dont parle Brunschvicg. Cette conscience n'est autre que la  philosophie, qui est la conscience du juste et du géomètre, selon la formule de Brunschvicg. Elle n'est pas restreinte à quelques individus privilégiés ayant le droit de s'appeler "philosophes" ou même "sages", mais appartient en droit à toute l'humanité. La seule condition pour y accéder est de mourir à soi même et de renoncer à l'amour du fini, de "soi comme fini". C'est donc en passant par cette "mort", résultat de l'ascèse intellectuelle philosophique et mathématique, que l'on "renonce à la mort" (là encore selon la belle formule de Brunschvicg dans "Introduction à la vie de l'esprit"). Car une fois que l'on a dépassé définitivement l'emprise de l'ego, et que l'on s'est libéré totalement de l'amour du fini, que l'on s'est définitisé, comment pourrait on encore mourir ?

    C'est là le sens que je donne aux formules et promesses évangéliques : "vous ne goûterez pas de la mort". C'est aussi sans doute le sens de l'initiation (auto-initiation et illumination) de Ramana Maharshi.

    Mais la philosophie occidentale ne parle pas en paraboles : elle donne une méthode universelle, valable pour tout l'humanité, pour obtenir ce résultat : devenir "éternel" en cette vie même en renonçant à la mort.... l'emprise heideggerienne est définitvement écartée par là même.

    La philosophie n'est pas une discipline particulière : elle est l'humanité même des hommes, aussi ne  devrait elle pas faire l'objet d' un enseignement séparé. Et il ne devrait pas y avoir de philosophes professionnels.... mais comme toute notre civilisation a sombré dans le chaos et la confusion !

    Godin conçoit aussi la mathesis universalis de Descartes comme mise au jour des principes du savoir. Mais ici se pose un difficile problème  et apparaît un danger : refaire l'erreur d'Aristote, qui l'a plongé dans la confusion et avec lui toute la philosophie et la science occidentale qui l'a suivi, et qui consiste à confondre les principes du savoir scientifique et les axiomes d'une théorie.

    Seulement, ces principes, pourra t'on les "dire" ? en quel langage ? pas dans le langage de la mathématique universelle, ni dans celui de la logique, sinon ils seraient au même rang que les axiomes. Ainsi la logique est aujourd'hui parfaitement axiomatisée, comme le reste de la mathématique. Contrairement à ce que voulait le projet logiciste de Russell et whitehead, c'est la mathématique qui a avalé la logique, et non l'inverse.

    il semble donc que ces principes soient "indicibles" : le vieux spectre de l'obscurantisme refait son apparition. Comment apparaissent ils alors ?  peut on dire qu'ils se "montrent", comme le dit Wittgenstein à propos de l'élément mystique et du bien ?

    même pas, car si l'on reprend notre image, la Mathesis universalis, qui comprend tous ces principes, est la lumière qui rend la vision et l'apparition possible : elle même n'apparaît donc pas !

    Godin, quant à lui, ne compte qu'un seul principe : "le cogito : tel sera le nom de l'unique principe de ce savoir universel" (page 241, volume 3).

    Or le cogito émerge bien des années après les Regulae, dans ce que l'on appelle la métaphysique de Descartes : les Meditationes de prima philosophia. Et d'ailleurs Descartes lui même assigne à la métaphysique, non à la mathesis, le rôle de racines de l'arbre des sciences.

    mais il convient aussi de rappeler les savants développements de Philonenko sur le jeu subtil des relations entre méthode et métaphysique, pour la compréhension de Descartes aussi bien que de Fichte.

    Une compréhension qui reste à venir, et conditionne ce que le professeur Reinhard Lauth, grand Maître des études fichtéennes, appelle le "réarmement moral de l'Occident", qui seul lui permettra de vaincre le nihilisme et de faire face à l'agression islamique (ce dernier point, c'est moi qui le dis et j' en porte l'entière responsabilité, devant Dieu et surtout devant les hommes Rigolant).

    Bornons nous ici à constater que le cogito est tout un monde , un monde spirituel qui s'ouvre devant le chercheur qui fait réellement l'effort de le vivre, de le mettre en acte et en pratique; il ne se limite pas à une simple formule inférentielle : "je pense, donc je suis, donc j'existe".

    En fait, si l'on reprend le cheminement cartésien, qui consiste à aller jusqu'au bout de la "folie" du Malin Génie, ou Dieu tout-puissant trompeur, et de tenter de faire sombrer la raison, c'est à dire la mathesis universalis, pour ensuite voir clairement qu'elel est sauve et ne peut sombrer, voici , sommairement, le parcours que nous pouvons effectuer:

    Que ce dieu me trompe sur tout, et notamment sur le raisonnement mathématique, je n'ai alors plus rien de sauf et de certain...sauf ceci : s'il me trompe sur tout, c'est que je puis être trompé. Or pour êtrte trompé il faut que je sois...

    oui mais être trompé suppose aussi que je pense selon le vrai et le faux : pensée objective, mathématique...mathesis !

    Ainsi la Raison, la Mathesis universalis, est insubmersible : elle résiste à toutes les tentatives pour la faire sombrer.

    Moi qui pense selon le vrai et le faux, selon la nouvelle valeur de vérité que Descartes introduit dans le monde et devant laquelle toutes les autres valeurs devront se prosterner désormais, j'obtiens alors toute une cascade de "vérités", toutes contenues dans ce que l'on appelle "cogito" : je suis, j'existe, mais aussi : il y a une pensée "absolue", une mathesis, selon le vrai et le faux, qui est assurée d'elle même par l'insuccès de la tentative maximum de la "noyer" : l'imagination d'un Dieu trompeur.

    Le cogito mène aussi   à la certitude de Dieu , dans la méditation trois : "j'ai premièrement la certitude de l'existence de Dieu que de moi même".

    Selon une lettre de Descartes à un correspondant, en 1637, ce Dieu doit être envisagé comme "la nature intellectuelle qui, non limitée, nous donne l'Idée de dieu et limitée, celle d'un ange ou d'une âme humaine".

    Passons sur les anges, qui ne sont pas reconnus par la science moderne Clin d'oeil

    Il nous reste à asséner notre principe de "philosophie au marteau" : si la Mathesis est la condition de possibilité de la mathématique universelle, et donc de la science, et si le Dieu des philosophes et des savants, comme "Nature intellectuelle infinie", et dont le Cogito nous donne l'intuition certaine et apodictique, est la condition de possibilité de la Mathesis, ne devons nous pas appliquer une sorte de rasoir d'Ockham ?

    et identifier Dieu, le Dieu-Raison, le Dieu des philosophes et des savants à la Mathesis universalis ?

    il nous semble bien ....

     


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  •  «Mais d'abord qui enverrons-nous à la recherche de ce nouveau monde ? Qui jugerons-nous capable de cette entreprise ? Qui tentera d'un pas errant le sombre abîme, infini, sans fond, et à travers l'obscurité palpable trouvera son chemin sauvage ? Ou qui déploiera son vol aérien, soutenu par d'infatigables ailes sur le précipice abrupte et vaste, avant d'arriver à l'île heureuse ? Quelle force, quel art peuvent alors lui suffire ? Ou quelle fuite secrète le fera passer en sûreté à travers les sentinelles serrées et les stations multipliées des anges veillant à la ronde ? Ici il aura besoin de toute sa circonspection ; et nous n'avons pas besoin dans ce moment de moins de discernement dans notre suffrage ; car sur celui que nous enverrons reposera le poids de notre entière et dernière espérance. "

    Cela dit, il s'assied, et l'expectation tient son regard suspendu, attendant qu'il se présente quelqu'un pour seconder, combattre ou entreprendre la périlleuse aventure : mais tous demeurent assis et muets, pesant le danger dans de profondes pensées ; et chacun, étonné, lit son propre découragement dans la contenance des autres. Parmi la fleur et l'élite de ces champions qui combattirent contre le Ciel on ne peut trouver personne assez hardi pour demander ou accepter seul le terrible voyage : jusqu'à ce qu'enfin Satan, qu'une gloire transcendante place à présent au-dessus de ses compagnons, dans un orgueil monarchique, plein de la conscience de son haut mérite, parla de la sorte, sans émotion :

    " Postérité du Ciel, trônes, empyrées, c'est avec raison que nous sommes saisis d'étonnement et de silence, quoique non intimidés ! Long et dur est le chemin qui de l'Enfer conduit à la lumière ; notre prison est forte ; cette énorme convexité de feu, violent pour dévorer, nous entoure neuf fois : et les portes d'un diamant brûlant, barricadées contre nous, prohibent toute sortie. Ces portes-ci passées (si quelqu'un les passe), le vide profond d'une nuit informe, large bâillant, le reçoit, et menace de la destruction entière de son être celui qui se plongera dans le gouffre avorté. Si de là l'explorateur s'échappe dans un monde, quel qu'il soit, ou dans une région inconnue, que lui reste-t-il ? Des périls inconnus, une évasion difficile»

    Mais peut être tout le monde ne goûte t'il pas Milton ? alors Coleridge, dans ce merveilleux poème qu'est le récit du vieux marin, pourra t'il mieux nous introduire à notre situation-dans -le-monde (c'est à dire dans l'enfer) ?

    http://www.online-literature.com/coleridge/646/

    He holds him with his skinny hand,
    "
    There was a ship," quoth he.

    He holds him with his glittering eye -
    The Wedding-Guest stood still,
    And listens like a three years' child:
    The Mariner hath his will.
    .............................
    The Wedding-Guest sat on a stone:
    He cannot choose but hear;
    And thus spake on that ancient man,
    The bright-eyed Mariner.

    "
    And now the storm-blast came, and he
    Was tyrannous and strong
    :
    He struck with his o'ertaking wings,
    And chased us south along.


    And now there came both mist and snow,
    And it grew wondrous cold:
    And ice, mast-high, came floating by,
    As green as emerald.

    The ice was here, the ice was there,
    The ice was all around:
    It cracked and growled, and roared and howled,
    Like noises in a swound!

    At length did cross an Albatross,
    Thorough the fog it came;
    As it had been a Christian soul,
    We hailed it in God's name.


    `
    God save thee, ancient Mariner,
    From the fiends that plague thee thus! -
    Why look'st thou so?'
    -"With my crossbow
    I shot the Albatross."


    Le vieux marin, c'est Coleridge lui même, qui raconte sa "traversée" de la vie, et l'enfer que celle ci a été : ceci est exprimé poétiquement par des tableaux saisissants où le navire est complètement immobilisé, pas un souffle de vent, et que toutes les profondeurs se mettent à pourrir....puis tous les compagnons du vieux marin le maudissent car c'est lui qui avec son arbalète a tué le bon Albatros, symbole du Christ, c'est à dire de la Totalité, ou, en termes jungiens, du Soi dans son intégrité androgyne.

    Ils le maudissent puis meurent tous, et il reste seul....au milieu de l'épouvante des apparitions infernales...jusqu'à ce qu'enfin il réussisse à rentrer chez lui, et se trouve à la porte d'une église ou un mariage est célébré, et qu'il arrête un des convives et le force, par son regard hypnotique, à écouter... car :

    Since then, at an uncertain hour,
    That agony returns :
    And till my ghastly tale is told,
    This heart within me burns.

    I pass, like night, from land to land ;
    I have strange power of speech ;
    That moment that his face I see,
    I know the man that must hear me :
    To him my tale I teach.

    il doit raconter, transmettre, cette affreuse histoire qui est la sienne, sous peine de revivre l'agonie....

    quel est le sens de ceci ? c'est que cette affreuse histoire, elle est universelle : c'est notre histoire à tous !

    "La vie-dans-la-mort et la mort-dans-la-vie" c'est la transcripition poétique du destin de Coleridge, qui a épousé une femme qu'il n'aimait pas et qui ne correspondait pas à son être profond, et a ensuite cherché, dans le drogue, à revivre l'inspiration de l'année miraculeuse, au cours de laquelle il a écrit tous ses grands poèmes...d'où les images d'arrêt total du navire (fin de l'inspiration poétique) et de pourrissement des profondeurs marines 'symbolisant la psyche profonde).

    l'albatros est l'image du Soi, le "crime" originel (sans connotation chrétienne de péché) est de nature ontologique, nous le commettons tous et ne pouvons pas ne pas le commettre : c'est le "meurtre du Soi" par l'intellect analytique (l'arbalète).

    Mais à partir d'ici le poème ne peut plus nous aider : car j'ai déjà dit, citant Brunschvicg, que nous devons absolument choisir entre vérité et poésie, et Platon ne disait pas autre chose quand il voulait chasser tous les poètes de sa république idéale, ni d'ailleurs Nietzsche : "les poètes mentent trop".

    Les images poétiques, celle de la vraie poésie, sont absolument merveilleuses (et aussi très dangereuses, surtout celels, terrifiantes, de coleridge, car elles peuvent facilement entraîner les âmes non préparées au suicide ou à la drogue).

    Mais nous ne devons pas dépasser le domaine des concepts, des logoï, en retournant en arrière, vers celui des images, qui porte la marque de l'enfance.

    Nous devons dépasser les logoï par les mathemata.

    La Mathesis transcende le Logos poétique aussi bien que philosophique.

    Tel est en tout cas l'axiome, le principe fondateur  pour tout ce qui est tenté sur ce blog...

    bien sûr, des grands poètes comme Milton et Coleridge nous font prendre conscience, dans une illumination salutaire, du caractère infernal de notre vie naturelle : celle d'un être vivant, d'un animal caractérisé par la néoténie, c'est à dire qui est absolument inapte à vivre sans aide de son clan ou de ses proches pendant de longues années.

    Mais un animal porteur d'un intellect qui n'est pas seulement à portée pratique et vitale.....un animal qui sait aussi qu'il va mourir, et qui, lorsqu'il réfléchit, s'aperçoit du caractère absolument contingent de son existence, alors que l'Intellect exige la nécessité et l'Absolu : ce caractère contingent, c'est la Geworfenheit, l'avoir-été-jeté-dans-le-monde....

    A partir de là, la poésie et ses merveilleuses images ne peuvent plus nous aider, contrairement à ce que disait Heidegger (qui d'ailleurs ne parlait pas d'aide, je reconnais que mon discours est ici très simpliste, mais c'est un blog, pas un livre de philosophie). Que la poésie soit l'achèvement de la métaphysique, je veux bien : mais la métaphysique occidentale est un cul de sac, et l'achèvement d'un cul de sac n'ouvre pas de chemin vers le ciel...

    Brunschvicg définit un autre dépassement de la métaphysique, que le souci de l'Etre de Heidegger : un dépassement qui passe par la constation que toute la métaphysique n'est que manipulations verbales, constat analogue à celui de Carnap, pour qui les métaphysiciens sont des musiciens ou des poètes sans talent artistique.

    Mais il y a bel et bien une autre possibilité de la métaphysique, qui consiste à limiter celle-ci à la théorie de la connaissance, la connaissance véritable, ayant une valeur de vérité, pouvant être vérifiée, confirmée, ou réfutée par des procédures régélées selon des normes rationnelles...

    Oui, la merveilleuse poésie ne nous ment pas sur ce point : nous sommes bien les damnés dont parlent les mythes religieux, et l'enfer, nous y sommes...d'ailleurs tous les thèmes chrétiens comme baptême, communion, jugement dernier, seconde mort, résurrection doivent être démythologisés (comme l'a fait Abellio dans "La structure absolue") pour être interprétés de la seule manière possible : en cette vie d'ici bas, qui est la seule.

    Mais à partir d'ici, le seul "espoir" (pour sortir de l'enfer et entreprendre le long et difficile chemin vers la lumière, dont parle Satan dans le poème de Milton) consiste à renoncer à tout espoir , c'est à dire à toute imagination poétique, mythologique et religieuse.

    Et moi même je péchais dans l'article précédent par poésie, lorsque je parlais de la nature qui n'est pas une mère bonne mais une marâtre cruelle (image empruntée à Vigny d'ailleurs).

    La nature n'est pas une mère ni rien d'humain : elle est tout ce qui n'a pas été fait par l'action et l'intelligence des hommes, elle est sans but, sans intelligence, sans volonté.

    Et le constat de Schopenhauer, selon lequel ce monde est le pire qui soit compatible avec la vie, est exacte, mais je l'interprète d'une manière rien moins que poétique ou "morale".

    Il me semble en effet que l'on pourrait faire entrer ici en ligne de compte un principe de minimum , analogue au principe de moindre action de la mécanique...

    le principe en est simple, et montre à l'évidence qu'il n'y a aucune "intention malfaisante" de la "nature" envers les êtres vivants : lorsque le nombre des êtres vivants en concurrence vitale dans une certaine niche augmente, il y a moins de ressources accessibles à la consommation de chacun, et les moins aptes à se procurer les ressources vitales meurent...

    on peut donc conjecturer que le nombre des êtres vivants s'adpte automatiquement aux ressources disponibles...

    donc si ce "monde" devenait un peu "meilleur", c'est à dire s'il y avait un peu plus de ressources disponibles pour chacun, le nombre des vivants augmenterait et on reviendrait au minimum. Et donc au maximum de souffrance dans la lutte pour se procurer les ressources, au détriment des autres...

    Ceci étant évidemment le cas pour la nature, c'est à dire ce qui n'est pas le résultat de l'action de l'homme...

    La science moderne a en effet donné à l'humanité la capacité de faire croître considérablement les ressources (par l'agriculture, l'industrie, la technoscience) , et donc de faire croître le "bonheur", ou de diminuer la souffrance (mais hélas aussi d'augmenter celle des animaux, dans les abattages industriels)...

    faire croître considérablement les ressources certes, mais pas indéfiniment : c'est ce que nous sommes en train d'apprendre....


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