• J'explique ici pourquoi je me suis résolu à détruire le blog "Recherche de la vérité", perdant ainsi un an et demi de travail :

    http://meditationesdeprimaphilosophia.wordpress.com/2012/03/19/levidence-du-mal/

    les trois nouveaux blogs sont :

    élément neutre EN :  http://meditationesdeprimaphilosophia.wordpress.com/

    élément savoir ES :  http://philosophiecontresuperstition.wordpress.com/

    élément être EE :  http://horreurislamique.wordpress.com/


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  • "La totalité", de Christian Godin, est une somme considérable de savoir qu'il ne saurait être question d'aborder de front, "par la face Nord", ici.

    Il le faudrait pourtant bien, car elle représente la pensée exactement inverse de celle qui sous-tend les travaux effectués ici : hégélienne et "totalisante", alors que nous choisissons de "casser" toute totalité ou ce qui se prétendrait tel, comme figure du sens commun non informé du paradoxe de Russell, ou ne le prenant pas au sérieux.

    On l'abordera donc par petits bouts, et pour commencer, évidemment, par la "Mathesis universalis", celle de Descartes , Leibniz et des rationalistes de l'âge classiques mais aussi leurs prédecesseurs du Moyen age ou même de l'antiquité, puisqu' il est évident que la Mathesis universalis ne sort pas toute armée du cerveau de Descartes lors de sa "nuit de songes" du 10 au 11 novembre 1618 dans son "poële" , telle Athéna de la tête de Zeus...les projets de Pansophie et de "Clavis universalis" en sont évidemment les ancêtres, légitimes ou illégitimes, c'est à voir...

    Godin en parle surtout dans le tome 2 de son magnum opus, consacré aux "pensées totalisantes", et au tome 3, consacré à la philosophie.

    On trouve ces deux ouvrages sur Google en "affichage d'extraits limités", mais pour ce qui nous occupe ici, tout ce qu'il est important de lire est accessible, cela ne fait que quelques pages ; voici les liens :

    Tome 2 : (les pages importantes  à lire sont : 513 à 515, 517, 521, 524, 526, 528, 529, 532, 533 à 536, 539 etc...

    http://books.google.fr/books?id=KfVjQazUanUC&pg=PA514&lpg=PA514&dq=mathesis+universalis+Godin&source=bl&ots=GSmgiHLRGx&sig=gVr6UKaSoOgo5HJI4xexA5PTBA4&hl=fr&ei=PJW2SfW5CqTEjAeo0fCrCQ&sa=X&oi=book_result&resnum=1&ct=result#PPA513,M1

    Tome 3 : (voir surtout le chapitre sur Descartes, page 534 à 545, certaines manquent sur google mais on arrive à se faire une idée assez exacte de ce que godin a voulu dire )

     http://books.google.fr/books?id=0yr554JtGzUC&pg=PA239&lpg=PA239&dq=totalite+godin+mathesis+universalis&source=bl&ots=eDSDhc9hCH&sig=VAAmTdTxp2T7cC6iwl-elcEfGHA&hl=fr&ei=-4C3Se-kMOTGjAeW1-SdCQ&sa=X&oi=book_result&resnum=1&ct=result#PPA241,M1

    Il y a deux manières d'envisager la notion de Totalité : selon l'être, ou selon le savoir. La première est naîve et pré-philosophique, et l'on s'en rend facilement compte en observant qu'elle se ramène en somme à la seconde, au domaine du savoir, de la pensée. Car pour former des totalités (selon certains critères spécifiques) il faut un être qui pense, qui évalue, qui compte, et qui juge. Et si le fameux "Eν το παν"  grec ("Un est le Tout") est juste, il doit être interprété sous la forme d'une équation "conceptuelle" : Tout = Un (visible dans la théorie ddes catégories avec l'axiome assertant qu'il existe un morphisme identité en tout objet).

    Nous sommes donc ramenés à l'Un, au savoir et à la connaissance donc; là encore, comme le fait remarquer Godin page 513 volume 2, il y a deux manières de prendre une vue complète d'un paysage : en le parcourant entièrement, ou bien en montant sur une hauteur et en "embrassant d'un seul coup d'oeil", d'un "oeil d'aigle", la totalité du paysage.

    Ce qui correspond pour le domaine du savoir aux deux approches : encyclopédique  (faire un tour exhaustif des différents domaines du savoir) , ou bien unitive:"saisir l'unité profonde des connaissances et (par) la mise au jour des
    principes".

    ou encore, ajoute Godin : d'un côté ceux qui font prédominer totalité sur unité
    (les encyclopédiques), de l'autre ceux qui privilégient l'unité (les
    mathematikoi, les gens du mathème, ou plutôt de la mathesis).

    Notre balisage sur unité et totalité quelques lignes plus haut nous force en
    quelque sorte à choisir la seconde approche, qui est évidemment celle de la
    Mathesis universalis : car totaliser c'est déjà se placer sur le plan du savoir,
    ou en tout cas de l'abstraction, et c'est déjà unifier, comme le montre le cas
    des ensembles mathématiques.

    C'est aussi ce que constate Descartes, voir volume 3 de Godin, pages 239 à 241)
    qui refuse de fonder comme Aristote la totalisation unitaire sur l'ousia, mais
    choisit de l'édifier sur l'humana sapientia, l'humaine sagesse, qui comme le
    Soleil est partout et toujours la même.

    Descartes est selon moi le plus grand penseur qui ait jamais paru sur la scène
    du monde, et il est aussi le penseur le plus important, celui qu'il faut
    préférer à tous les autres, en nos temps de détresse nihiliste et
    relativiste-multiculturaliste : je ne connais pas d'antidote plus fort que
    l'unité partout et toujours de l'humana sapientia, qui est la Mathesis
    universalis, contre le poison post-moderne du relativisme multiculturel, qui est
    en fait à l'origine du nazisme, comme sans doute demain de l'islamisme qui va
    faire basculer l'Europe dans l'horreur sanglante, pour nos descendants des
    années 2050-2100. Seul Descartes peut encore nous sauver Clin d'oeil.... mais hélas il est
    de bon ton de nos jours de le rejeter dans les ténèbres extérieures au "camp
    des saints" : tout admirateur de Descartes est immédiatement suspecté, voire
    accusé sans autre forme de procès, d'eurocentrisme, autant dire de racisme...

    Descartes est aussi ce penseur qui refuse la conception encyclopédiste du savoir
    au nom d'un savoir total : la Mathesis universalis, la science UNE de toutes les
    sciences. Et il ne peut le faire qu'après avoir réfuté, dans les première des
    Régles pour la direction de l'esprit, l'argument selon lequel une connaissance
    totale serait impossible il est certes impossible de maîtriser tous les arts, ou
    tous les métiers, parce qu'il ne sont pas reliés entre eux, et que le temps de
    vie est fini; mais les sciences, par contre, "vont ensemble", ou encore sont
    organisées comme une catégorie mathématique, avec des flèches les reliant toutes
    l'une à l'autre.

    Les Regulae sont sans doute, avec le Discours et les Meditationes, l'ouvrage le
    plus important de Descartes, le seul où il parle de la Mathesis universalis,
    dont il avait eu la "révélation" au cours de la nuit de songes (évoquée par
    Godin au volume 3, page 238) de 1619. Je ne trouve sur Internet que la version
    latine de cet ouvrage, par exmple à :

    http://pedagogie.ac-toulouse.fr/philosophie/descregulae.htm

    Ce n'est pas du latin de Cicéron, on arrive à lire en gros, mais je ne me
    risquerai cependant pas à traduire la belle image qui assimile la sagesse
    humaine au soleil, qui figure au commentaire de la Règle 1 :

    "Nam cum scientiae omnes nihil aliud sint quam humana scientia, quae semper una
    et eadem manet, quantumvis differentibus subjectis applicata, nec majorem ab
    illis distinctionem mutuatur, quam solis lumen a reum, quas illustrat,
    varietate, non opus est ingenia limitibus ullis cohibere: neque enim nos unius
    veritatis cognitio, veluti unius artis usus, ab alterius inventione dimovet, sed
    potius juvat"


    La Mathesis universalis est donc un projet de totalité, c'est son "atavisme" pré-moderne (pré-cartésien, si l'on veut) , mais par l'unité du savoir, c'est ce en quoi elle est moderne, cartésienne. On la refusera en bloc si l'on considère, comme la majorité de nos contemporains, et la quasi-totalité des "scientifiques" que l'équation totalité = totalitarisme, est, certes un peu simpliste, mais en gros valide. Nous ne faisons pas ici ce choix là...

    mais il reste pas mal de choses à éclaircir ! l'alternative de la Mathesis universalis, parmi les projets de totalité, c'est évidemment le Savoir absolu hégélien. Godin semble dire (et même dit explicitement) qu'il réalise la synthèse des deux points de vue, encyclopédique et unitaire. Et il semble avoir un avantage, à nos propres yeux, c'est qu'il est réalisable ici et maintenant, dans une conscience singulière parvenant à s'universaliser complètement, ce qui signerait la fin de l'Histoire (impossible , selon certains autres interprètes de Hegel). Et l'on sait que Hegel place la mathématique, sinon la Mathesis, à une place subalterne par rapport au Logos , qu'il affirme incarner totalement pour la première fois dans l'Histoire. 

    Christian Godin rappelle aussi opportunément , après Courtine, que la règle 4 des Regulae interdit de confondre Mathesis universalis et mathématique universelle. La mathesis est la source, ou la condition de possibilité,  de la mathématique comme des autres sciences; elle ne retient comme objet que l'ordre et la mesure. Elle peut aussi être considérée comme la méthode, ou plutôt ce qui fonde et assure l'unité de la méthode dans les sciences, qui ne sont que branches de l'arbre, unique,  de la science.

    Par rapport à la Mathesis universalis cartésienne, celle de Leibniz apparaît comme une déchéance , une rechute dans le langage et les logoî, dont nous avons reconnu l'inanité par rapport aux mathemata : Leibniz nomme cette dégénérescence : characteristica generalis, vain fantasme d'une langue adamique universelle donnant directement accès mystérieux aux "choses" qu'elle nomme (rechute dans la mentalité primitive et tribale donc, avec sa confusion des noms et des êtres, qui permet entre parenthèse la possibilité du blasphème) et calculus ratiocinator...ce qui a donné l'informatique de nos jours.

    Reprenant l'image du paysage dont on peut soit faire le tour, de façon encyclopédique, soit avoir une vue d'ensemble et panoramique en montant sur une hauteur, on pourra dire que la hauteur, la montagne, est la mathématique universelle. Mais cette montagne s'élève bien plus haut que la Tour de Babbel, dont elel est d'ailleurs l'exact inverse : unité de LA mathématique universelle contre confusion des langues et des "cultures" et "religions" (ethniques). Elle s'élève bien plus haut parce qu'elle s'élève...à l'infini...potentiellement parlant du moins. On n'en conçoit pas le terme.

    On peut donc dire que dans l'histoire , on atteint des sommets provisoires, à partir desquels on obtient une vision toujours plus large et panoramique. Le sommet actuel , l'état contemporain le plus unifié de la mathématique universelle, c'est la théorie des catégories. L'histoire dont on parle là, c'est l'histoire du développement du savoir et de la connaissance véritable, ayant une valeur de vérité. Elle est infinie en droit sinon en fait, par contre l'autre histoire, celle des peuples, des guerres et de l'occupation progressive de la planète Terre par l'humanité , est, quant à  elle, finie, en droit et en fait. 

    Continuons notre image : si les sommets successifs sont les états progressifs , de plus en plus élevés, perfectionnés et unifiés, de la mathématique universelle, la Mathesis universalis, elle, est la lumière qui permet de voir, ou même, la condition de possibilité de la vision (car la lumière est encore une image trop matérielle et physique) : elle est donc, selon ce que dit Descartes, toujours une et la même. C'est la mathématique universelle qui progresse, et avec elle la conscience de l'humanité, d'où ce progrès de la conscience dont parle Brunschvicg. Cette conscience n'est autre que la  philosophie, qui est la conscience du juste et du géomètre, selon la formule de Brunschvicg. Elle n'est pas restreinte à quelques individus privilégiés ayant le droit de s'appeler "philosophes" ou même "sages", mais appartient en droit à toute l'humanité. La seule condition pour y accéder est de mourir à soi même et de renoncer à l'amour du fini, de "soi comme fini". C'est donc en passant par cette "mort", résultat de l'ascèse intellectuelle philosophique et mathématique, que l'on "renonce à la mort" (là encore selon la belle formule de Brunschvicg dans "Introduction à la vie de l'esprit"). Car une fois que l'on a dépassé définitivement l'emprise de l'ego, et que l'on s'est libéré totalement de l'amour du fini, que l'on s'est définitisé, comment pourrait on encore mourir ?

    C'est là le sens que je donne aux formules et promesses évangéliques : "vous ne goûterez pas de la mort". C'est aussi sans doute le sens de l'initiation (auto-initiation et illumination) de Ramana Maharshi.

    Mais la philosophie occidentale ne parle pas en paraboles : elle donne une méthode universelle, valable pour tout l'humanité, pour obtenir ce résultat : devenir "éternel" en cette vie même en renonçant à la mort.... l'emprise heideggerienne est définitvement écartée par là même.

    La philosophie n'est pas une discipline particulière : elle est l'humanité même des hommes, aussi ne  devrait elle pas faire l'objet d' un enseignement séparé. Et il ne devrait pas y avoir de philosophes professionnels.... mais comme toute notre civilisation a sombré dans le chaos et la confusion !

    Godin conçoit aussi la mathesis universalis de Descartes comme mise au jour des principes du savoir. Mais ici se pose un difficile problème  et apparaît un danger : refaire l'erreur d'Aristote, qui l'a plongé dans la confusion et avec lui toute la philosophie et la science occidentale qui l'a suivi, et qui consiste à confondre les principes du savoir scientifique et les axiomes d'une théorie.

    Seulement, ces principes, pourra t'on les "dire" ? en quel langage ? pas dans le langage de la mathématique universelle, ni dans celui de la logique, sinon ils seraient au même rang que les axiomes. Ainsi la logique est aujourd'hui parfaitement axiomatisée, comme le reste de la mathématique. Contrairement à ce que voulait le projet logiciste de Russell et whitehead, c'est la mathématique qui a avalé la logique, et non l'inverse.

    il semble donc que ces principes soient "indicibles" : le vieux spectre de l'obscurantisme refait son apparition. Comment apparaissent ils alors ?  peut on dire qu'ils se "montrent", comme le dit Wittgenstein à propos de l'élément mystique et du bien ?

    même pas, car si l'on reprend notre image, la Mathesis universalis, qui comprend tous ces principes, est la lumière qui rend la vision et l'apparition possible : elle même n'apparaît donc pas !

    Godin, quant à lui, ne compte qu'un seul principe : "le cogito : tel sera le nom de l'unique principe de ce savoir universel" (page 241, volume 3).

    Or le cogito émerge bien des années après les Regulae, dans ce que l'on appelle la métaphysique de Descartes : les Meditationes de prima philosophia. Et d'ailleurs Descartes lui même assigne à la métaphysique, non à la mathesis, le rôle de racines de l'arbre des sciences.

    mais il convient aussi de rappeler les savants développements de Philonenko sur le jeu subtil des relations entre méthode et métaphysique, pour la compréhension de Descartes aussi bien que de Fichte.

    Une compréhension qui reste à venir, et conditionne ce que le professeur Reinhard Lauth, grand Maître des études fichtéennes, appelle le "réarmement moral de l'Occident", qui seul lui permettra de vaincre le nihilisme et de faire face à l'agression islamique (ce dernier point, c'est moi qui le dis et j' en porte l'entière responsabilité, devant Dieu et surtout devant les hommes Rigolant).

    Bornons nous ici à constater que le cogito est tout un monde , un monde spirituel qui s'ouvre devant le chercheur qui fait réellement l'effort de le vivre, de le mettre en acte et en pratique; il ne se limite pas à une simple formule inférentielle : "je pense, donc je suis, donc j'existe".

    En fait, si l'on reprend le cheminement cartésien, qui consiste à aller jusqu'au bout de la "folie" du Malin Génie, ou Dieu tout-puissant trompeur, et de tenter de faire sombrer la raison, c'est à dire la mathesis universalis, pour ensuite voir clairement qu'elel est sauve et ne peut sombrer, voici , sommairement, le parcours que nous pouvons effectuer:

    Que ce dieu me trompe sur tout, et notamment sur le raisonnement mathématique, je n'ai alors plus rien de sauf et de certain...sauf ceci : s'il me trompe sur tout, c'est que je puis être trompé. Or pour êtrte trompé il faut que je sois...

    oui mais être trompé suppose aussi que je pense selon le vrai et le faux : pensée objective, mathématique...mathesis !

    Ainsi la Raison, la Mathesis universalis, est insubmersible : elle résiste à toutes les tentatives pour la faire sombrer.

    Moi qui pense selon le vrai et le faux, selon la nouvelle valeur de vérité que Descartes introduit dans le monde et devant laquelle toutes les autres valeurs devront se prosterner désormais, j'obtiens alors toute une cascade de "vérités", toutes contenues dans ce que l'on appelle "cogito" : je suis, j'existe, mais aussi : il y a une pensée "absolue", une mathesis, selon le vrai et le faux, qui est assurée d'elle même par l'insuccès de la tentative maximum de la "noyer" : l'imagination d'un Dieu trompeur.

    Le cogito mène aussi   à la certitude de Dieu , dans la méditation trois : "j'ai premièrement la certitude de l'existence de Dieu que de moi même".

    Selon une lettre de Descartes à un correspondant, en 1637, ce Dieu doit être envisagé comme "la nature intellectuelle qui, non limitée, nous donne l'Idée de dieu et limitée, celle d'un ange ou d'une âme humaine".

    Passons sur les anges, qui ne sont pas reconnus par la science moderne Clin d'oeil

    Il nous reste à asséner notre principe de "philosophie au marteau" : si la Mathesis est la condition de possibilité de la mathématique universelle, et donc de la science, et si le Dieu des philosophes et des savants, comme "Nature intellectuelle infinie", et dont le Cogito nous donne l'intuition certaine et apodictique, est la condition de possibilité de la Mathesis, ne devons nous pas appliquer une sorte de rasoir d'Ockham ?

    et identifier Dieu, le Dieu-Raison, le Dieu des philosophes et des savants à la Mathesis universalis ?

    il nous semble bien ....

     


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  •  «Mais d'abord qui enverrons-nous à la recherche de ce nouveau monde ? Qui jugerons-nous capable de cette entreprise ? Qui tentera d'un pas errant le sombre abîme, infini, sans fond, et à travers l'obscurité palpable trouvera son chemin sauvage ? Ou qui déploiera son vol aérien, soutenu par d'infatigables ailes sur le précipice abrupte et vaste, avant d'arriver à l'île heureuse ? Quelle force, quel art peuvent alors lui suffire ? Ou quelle fuite secrète le fera passer en sûreté à travers les sentinelles serrées et les stations multipliées des anges veillant à la ronde ? Ici il aura besoin de toute sa circonspection ; et nous n'avons pas besoin dans ce moment de moins de discernement dans notre suffrage ; car sur celui que nous enverrons reposera le poids de notre entière et dernière espérance. "

    Cela dit, il s'assied, et l'expectation tient son regard suspendu, attendant qu'il se présente quelqu'un pour seconder, combattre ou entreprendre la périlleuse aventure : mais tous demeurent assis et muets, pesant le danger dans de profondes pensées ; et chacun, étonné, lit son propre découragement dans la contenance des autres. Parmi la fleur et l'élite de ces champions qui combattirent contre le Ciel on ne peut trouver personne assez hardi pour demander ou accepter seul le terrible voyage : jusqu'à ce qu'enfin Satan, qu'une gloire transcendante place à présent au-dessus de ses compagnons, dans un orgueil monarchique, plein de la conscience de son haut mérite, parla de la sorte, sans émotion :

    " Postérité du Ciel, trônes, empyrées, c'est avec raison que nous sommes saisis d'étonnement et de silence, quoique non intimidés ! Long et dur est le chemin qui de l'Enfer conduit à la lumière ; notre prison est forte ; cette énorme convexité de feu, violent pour dévorer, nous entoure neuf fois : et les portes d'un diamant brûlant, barricadées contre nous, prohibent toute sortie. Ces portes-ci passées (si quelqu'un les passe), le vide profond d'une nuit informe, large bâillant, le reçoit, et menace de la destruction entière de son être celui qui se plongera dans le gouffre avorté. Si de là l'explorateur s'échappe dans un monde, quel qu'il soit, ou dans une région inconnue, que lui reste-t-il ? Des périls inconnus, une évasion difficile»

    Mais peut être tout le monde ne goûte t'il pas Milton ? alors Coleridge, dans ce merveilleux poème qu'est le récit du vieux marin, pourra t'il mieux nous introduire à notre situation-dans -le-monde (c'est à dire dans l'enfer) ?

    http://www.online-literature.com/coleridge/646/

    He holds him with his skinny hand,
    "
    There was a ship," quoth he.

    He holds him with his glittering eye -
    The Wedding-Guest stood still,
    And listens like a three years' child:
    The Mariner hath his will.
    .............................
    The Wedding-Guest sat on a stone:
    He cannot choose but hear;
    And thus spake on that ancient man,
    The bright-eyed Mariner.

    "
    And now the storm-blast came, and he
    Was tyrannous and strong
    :
    He struck with his o'ertaking wings,
    And chased us south along.


    And now there came both mist and snow,
    And it grew wondrous cold:
    And ice, mast-high, came floating by,
    As green as emerald.

    The ice was here, the ice was there,
    The ice was all around:
    It cracked and growled, and roared and howled,
    Like noises in a swound!

    At length did cross an Albatross,
    Thorough the fog it came;
    As it had been a Christian soul,
    We hailed it in God's name.


    `
    God save thee, ancient Mariner,
    From the fiends that plague thee thus! -
    Why look'st thou so?'
    -"With my crossbow
    I shot the Albatross."


    Le vieux marin, c'est Coleridge lui même, qui raconte sa "traversée" de la vie, et l'enfer que celle ci a été : ceci est exprimé poétiquement par des tableaux saisissants où le navire est complètement immobilisé, pas un souffle de vent, et que toutes les profondeurs se mettent à pourrir....puis tous les compagnons du vieux marin le maudissent car c'est lui qui avec son arbalète a tué le bon Albatros, symbole du Christ, c'est à dire de la Totalité, ou, en termes jungiens, du Soi dans son intégrité androgyne.

    Ils le maudissent puis meurent tous, et il reste seul....au milieu de l'épouvante des apparitions infernales...jusqu'à ce qu'enfin il réussisse à rentrer chez lui, et se trouve à la porte d'une église ou un mariage est célébré, et qu'il arrête un des convives et le force, par son regard hypnotique, à écouter... car :

    Since then, at an uncertain hour,
    That agony returns :
    And till my ghastly tale is told,
    This heart within me burns.

    I pass, like night, from land to land ;
    I have strange power of speech ;
    That moment that his face I see,
    I know the man that must hear me :
    To him my tale I teach.

    il doit raconter, transmettre, cette affreuse histoire qui est la sienne, sous peine de revivre l'agonie....

    quel est le sens de ceci ? c'est que cette affreuse histoire, elle est universelle : c'est notre histoire à tous !

    "La vie-dans-la-mort et la mort-dans-la-vie" c'est la transcripition poétique du destin de Coleridge, qui a épousé une femme qu'il n'aimait pas et qui ne correspondait pas à son être profond, et a ensuite cherché, dans le drogue, à revivre l'inspiration de l'année miraculeuse, au cours de laquelle il a écrit tous ses grands poèmes...d'où les images d'arrêt total du navire (fin de l'inspiration poétique) et de pourrissement des profondeurs marines 'symbolisant la psyche profonde).

    l'albatros est l'image du Soi, le "crime" originel (sans connotation chrétienne de péché) est de nature ontologique, nous le commettons tous et ne pouvons pas ne pas le commettre : c'est le "meurtre du Soi" par l'intellect analytique (l'arbalète).

    Mais à partir d'ici le poème ne peut plus nous aider : car j'ai déjà dit, citant Brunschvicg, que nous devons absolument choisir entre vérité et poésie, et Platon ne disait pas autre chose quand il voulait chasser tous les poètes de sa république idéale, ni d'ailleurs Nietzsche : "les poètes mentent trop".

    Les images poétiques, celle de la vraie poésie, sont absolument merveilleuses (et aussi très dangereuses, surtout celels, terrifiantes, de coleridge, car elles peuvent facilement entraîner les âmes non préparées au suicide ou à la drogue).

    Mais nous ne devons pas dépasser le domaine des concepts, des logoï, en retournant en arrière, vers celui des images, qui porte la marque de l'enfance.

    Nous devons dépasser les logoï par les mathemata.

    La Mathesis transcende le Logos poétique aussi bien que philosophique.

    Tel est en tout cas l'axiome, le principe fondateur  pour tout ce qui est tenté sur ce blog...

    bien sûr, des grands poètes comme Milton et Coleridge nous font prendre conscience, dans une illumination salutaire, du caractère infernal de notre vie naturelle : celle d'un être vivant, d'un animal caractérisé par la néoténie, c'est à dire qui est absolument inapte à vivre sans aide de son clan ou de ses proches pendant de longues années.

    Mais un animal porteur d'un intellect qui n'est pas seulement à portée pratique et vitale.....un animal qui sait aussi qu'il va mourir, et qui, lorsqu'il réfléchit, s'aperçoit du caractère absolument contingent de son existence, alors que l'Intellect exige la nécessité et l'Absolu : ce caractère contingent, c'est la Geworfenheit, l'avoir-été-jeté-dans-le-monde....

    A partir de là, la poésie et ses merveilleuses images ne peuvent plus nous aider, contrairement à ce que disait Heidegger (qui d'ailleurs ne parlait pas d'aide, je reconnais que mon discours est ici très simpliste, mais c'est un blog, pas un livre de philosophie). Que la poésie soit l'achèvement de la métaphysique, je veux bien : mais la métaphysique occidentale est un cul de sac, et l'achèvement d'un cul de sac n'ouvre pas de chemin vers le ciel...

    Brunschvicg définit un autre dépassement de la métaphysique, que le souci de l'Etre de Heidegger : un dépassement qui passe par la constation que toute la métaphysique n'est que manipulations verbales, constat analogue à celui de Carnap, pour qui les métaphysiciens sont des musiciens ou des poètes sans talent artistique.

    Mais il y a bel et bien une autre possibilité de la métaphysique, qui consiste à limiter celle-ci à la théorie de la connaissance, la connaissance véritable, ayant une valeur de vérité, pouvant être vérifiée, confirmée, ou réfutée par des procédures régélées selon des normes rationnelles...

    Oui, la merveilleuse poésie ne nous ment pas sur ce point : nous sommes bien les damnés dont parlent les mythes religieux, et l'enfer, nous y sommes...d'ailleurs tous les thèmes chrétiens comme baptême, communion, jugement dernier, seconde mort, résurrection doivent être démythologisés (comme l'a fait Abellio dans "La structure absolue") pour être interprétés de la seule manière possible : en cette vie d'ici bas, qui est la seule.

    Mais à partir d'ici, le seul "espoir" (pour sortir de l'enfer et entreprendre le long et difficile chemin vers la lumière, dont parle Satan dans le poème de Milton) consiste à renoncer à tout espoir , c'est à dire à toute imagination poétique, mythologique et religieuse.

    Et moi même je péchais dans l'article précédent par poésie, lorsque je parlais de la nature qui n'est pas une mère bonne mais une marâtre cruelle (image empruntée à Vigny d'ailleurs).

    La nature n'est pas une mère ni rien d'humain : elle est tout ce qui n'a pas été fait par l'action et l'intelligence des hommes, elle est sans but, sans intelligence, sans volonté.

    Et le constat de Schopenhauer, selon lequel ce monde est le pire qui soit compatible avec la vie, est exacte, mais je l'interprète d'une manière rien moins que poétique ou "morale".

    Il me semble en effet que l'on pourrait faire entrer ici en ligne de compte un principe de minimum , analogue au principe de moindre action de la mécanique...

    le principe en est simple, et montre à l'évidence qu'il n'y a aucune "intention malfaisante" de la "nature" envers les êtres vivants : lorsque le nombre des êtres vivants en concurrence vitale dans une certaine niche augmente, il y a moins de ressources accessibles à la consommation de chacun, et les moins aptes à se procurer les ressources vitales meurent...

    on peut donc conjecturer que le nombre des êtres vivants s'adpte automatiquement aux ressources disponibles...

    donc si ce "monde" devenait un peu "meilleur", c'est à dire s'il y avait un peu plus de ressources disponibles pour chacun, le nombre des vivants augmenterait et on reviendrait au minimum. Et donc au maximum de souffrance dans la lutte pour se procurer les ressources, au détriment des autres...

    Ceci étant évidemment le cas pour la nature, c'est à dire ce qui n'est pas le résultat de l'action de l'homme...

    La science moderne a en effet donné à l'humanité la capacité de faire croître considérablement les ressources (par l'agriculture, l'industrie, la technoscience) , et donc de faire croître le "bonheur", ou de diminuer la souffrance (mais hélas aussi d'augmenter celle des animaux, dans les abattages industriels)...

    faire croître considérablement les ressources certes, mais pas indéfiniment : c'est ce que nous sommes en train d'apprendre....


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  • Dans ce poème magnifique du "Paradise lost", Milton a donné une illustration frappante de ce qui est dit dans l'article précédent ...

    bien sûr, comme Dostoïevsky, il ne peut assumer la nature profonde de son désir, de son idée : l'homme de foi en lui recule. Il écrit "Paradis reconquis", l'odyssée de Jésus après celle de Satan.

    Mais ses vers parlent pour lui : tous les commentateurs ont noté la nature mièvre, un peu méprisable, qu'il donne à Jésus, alors que Satan , dans le Paradis perdu, est admirable, courageux, fier,  risque-tout, refusant de supplier, de mendier.... un homme quoi, pas une lavette !

    Quel est le sens de ce poème ? on va le dire ici brièvement.

    Satan en révolte contre "Dieu", dans "Paradise lost", c'est l'homme en guerre, en rébellion contre la Nature !

    il arrive donc que Satan est le Dieu véritable, l'Idée de l'Homme, et Jésus le faux Dieu, le lâche...tout s'explique ! telle était la volonté profonde de Milton, et c'est ce que tous les "croyants de la vraie foi" lui ont reproché à demi-mot.

    Mais bien entendu, nous sommes ici dans le poème, dans l'image de la vérité, pas la vérité (qui est  l'objet du mathème, pas du mythème ou du poème).

    La Nature n'est pas créée, il n'y a pas de "Dieu" créateur de la Nature, ni de Jésus : il n'y a que Satan, c'est à dire l'Homme-Dieu en lutte contre la Nature, jusqu'à ce qu'il la détruise complètement pour la remplacer par sa création...

    illustrons ces vues par quelques vers admirables du Livre 1 de Paradise lost...en anglais d'abord, puis traduction, voir :

    http://www.dartmouth.edu/~milton/reading_room/pl/book_1/index.shtml

    http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-101389

    La Nature extérieure où l'Homme Dieu (Satan) est "jeté" : une fournaise, un cachot : l'Enfer même :

    "At once as far as Angels kenn he views
    The dismal Situation waste and wilde, [ 60 ]
    A Dungeon horrible, on all sides round
    As one great Furnace flam'd, yet from those flames
    No light, but rather darkness visible
    Serv'd onely to discover sights of woe,
    Regions of sorrow, doleful shades, where peace [ 65 ]
    And rest can never dwell,
    hope never comes
    That comes to all; but torture without end
    Still urges, and a fiery Deluge, fed
    With ever-burning Sulphur unconsum'd:
    Such place Eternal Justice had prepar'd [ 70 ]
    For those rebellious, here
    thir Prison ordain'd
    In utter darkness, and thir portion set
    As far remov'd from God and light of Heav'n"

    traduction :

    "D'un seul coup d'oeil, et aussi loin que perce le regard des anges, il voit le lieu triste dévasté et désert : ce donjon horrible, arrondi de toutes parts, comme une grande fournaise flamboyait. De ces flammes point de lumière, mais des ténèbres visibles servent seulement à découvrir des vues de malheur ; régions de chagrin, obscurité plaintive, où la paix, où le repos ne peuvent jamais habiter, l'espérance jamais venir, elle qui vient à tous ! Mais là des supplices sans fin, là un déluge de feu, nourri d'un soufre qui brûle sans se consumer.

    Tel est le lieu que l'Eternelle Justice prépara pour ces rebelles ; ici elle ordonna leur prison dans les Ténèbres extérieures ; elle leur fit cette part, trois fois aussi éloignée de Dieu et de la lumière du ciel que le centre de la création l'est du pôle le plus élevé. Oh ! combien cette demeure ressemble peu à celle d'où ils tombèrent !"

    Satan, l'Homme-Dieu, l'homme libre et fier tel que n'avons plus les couilles de l'être, nous autres les pauvres ombres post-modernes occidentales, va t'il pleurnicher, réclamer les jupes de sa mère, se plaindre d'être victime de discrimination , réclamer ses "droits", une augmentation de salaire, un peu de confort pour supporter son horrible sort (qui est le nôtre, dans cette "Nature" que les écologistes veulent "protéger") ?

    NON ! voici le discours qu'il tient : les paroles d'un Homme fier, refusant de se prosterner, acceptant le malheur et plus tard le risque de l'anéantissement éternel et de la perte de son immortalité donc (puisqu'il a une nature angélique, donc immortelle ) :

    il interpelle d'abord l'un des ses compagnons, le premier qu'il entrevoit : Beelzebub (le Seigneur des mouches, celui qui a donné son titre au roman de William Golding):

    "If thou beest he; But O how fall'n! how chang'd
    From him, who in the happy Realms of Light [ 85 ]
    Cloth'd with transcendent brightness didst out-shine
    Myriads though bright: If he Whom mutual league,
    United thoughts and counsels, equal hope
    And hazard in the Glorious Enterprize,
    Joynd with me once, now misery hath joynd [ 90 ]
    In equal ruin: into what Pit thou seest
    From what highth fall'n, so much the stronger prov'd
    He with his Thunder: and till then who knew
    The force of those dire Arms? yet not for those,
    Nor what the Potent Victor in his rage [ 95 ]
    Can else inflict, do I repent or change,
    Though chang'd in outward lustre; that fixt mind
    And high disdain, from sence of injur'd merit,
    That with the mightiest rais'd me to contend,
    And to the fierce contention brought along [ 100 ]
    Innumerable force of Spirits arm'd
    That durst dislike his reign, and me preferring,
    His utmost power with adverse power oppos'd
    In dubious Battel on the Plains of Heav'n,
    And shook his throne. What though the field be lost? [ 105 ]
    All is not lost; the unconquerable Will,
    And study of revenge, immortal hate,
    And courage never to submit or yield:
    And what is else not to be overcome?
    That Glory never shall his wrath or might [ 110 ]
    Extort from me. To bow and sue for grace
    With suppliant knee, and deifie his power,
    Who from the terrour of this Arm so late
    Doubted his Empire, that were low indeed,
    That were an ignominy and shame beneath [ 115 ]
    This
    downfall; since by Fate the strength of Gods
    And this Empyreal substance cannot fail,
    Since through experience of this great event
    In Arms not worse, in foresight much advanc't,
    We may with more successful hope resolve [ 120 ]
    To
    wage by force or guile eternal Warr
    Irreconcileable, to our grand Foe,
    Who now triumphs, and in th' excess of joy
    Sole reigning holds the Tyranny of Heav'n."

     

    So spake th' Apostate Angel

    soit en français :" Si tu es celui... mais combien déchu, combien différent de celui qui, revêtu d'un éclat transcendant parmi les heureux royaumes de la lumière, surpassait en splendeur des myriades de brillants esprits !... Si tu es celui qu'une mutuelle ligue, qu'une seule pensée, qu'un même conseil, qu'une semblable espérance, qu'un péril égal dans une entreprise glorieuse, unirent jadis avec moi et qu'un malheur égal unit à présent dans une égale ruine, tu vois de quelle hauteur, dans quel abîme, nous sommes tombés ! tant il se montra le plus puissant avec son tonnerre ! Mais qui jusque alors avait connu l'effet de ces armes terribles ? Toutefois, malgré ces foudres, malgré tout ce que le Vainqueur dans sa rage peut encore m'infliger, je ne me repens point, je ne change point : rien (quoique changé dans mon éclat extérieur) ne changera cet esprit fixe, ce haut dédain né de la conscience du mérite offensé, cet esprit qui me porta à m'élever contre le Plus Puissant entraînant dans ce conflit furieux la force innombrable d'esprits armés qui osèrent mépriser sa domination : ils me préférèrent à lui, opposant à son pouvoir suprême un pouvoir contraire ; et dans une bataille indécise, au milieu des plaines du Ciel, ils ébranlèrent son trône.

    " Qu'importe la perte du champ de bataille : tout n'est pas perdu. Une volonté insurmontable, l'étude de la vengeance, une haine immortelle, un courage qui ne cédera ni ne se soumettra jamais, qu'est-ce autre chose que n'être pas subjugué ? Cette gloire, jamais sa colère ou sa puissance ne me l'extorquera. Je ne me courberai point, je ne demanderai point grâce d'un genou suppliant ; je ne déifierai point son pouvoir, qui par la terreur de ce bras a si récemment douté de son empire. Cela serait bas en effet, cela serait une honte et une ignominie au-dessous même de notre chute, puisque par le destin, la force des dieux, la substance céleste ne peut périr ; puisque l'expérience de ce grand événement, dans les armes non affaiblies, ayant gagné beaucoup en prévoyance, nous pouvons, avec plus d'espoir de succès, nous déterminer à faire, par ruse ou par force, une guerre éternelle, irréconciliable, à notre grand Ennemi, qui triomphe maintenant, et qui, dans l'excès de sa joie, régnant seul, tient la tyrannie du Ciel. "

    et plus loin : Satan accepte sans broncher sa situation de proscrit : là du moins nous serons libres, sans seigneur, sans chef, sans devoir obéir et servir...

    ou, comme le dit Brunschvicg :

    "Dira-t-on que nous nous convertissons à l'évidence du vrai lorsque nous surmontons la violence de l'instinct, que nous refusons de centrer notre conception du monde et de Dieu sur l'intérêt du moi ? ou sommes-nous dupes d'une ambition fallacieuse lorsque nous prétendons, vivants, échapper aux lois de la vie, nous évader hors de la caverne, pour respirer dans un monde sans Providence et sans prières, sans sacrements et sans promesses ?"

    la caverne c'est la Nature, l'enfer de Milton, ou Dante (un romancier noir américain avait décrit les USA dans un roman appelé "Le système de l'enfer de Dante")

    la philosophie, la Mathesis, nous permet d'échapper vivants aux lois de la vie, d'échapper, êtres naturels, aux lois de la nature....en les prescrivant comme "lois de la physique mathématique".

    On a beaucoup glosé sur la fameuse thèse cartésienne de la "création par Dieu des vérités éternelles"...

    dans notre système, il s'agit tout simplement de la création de la Mathesis universalis, donc des vérités éternelles de la mathématique et de la physique, par le Dieu-Raison, l'Homme -Dieu...

    tout s'éclaire...et le Dieu infini et incompréhensible de Descartes (resté trop chrétien) doit être réinterprété comme l'Idée (infinie) de l'Homme et de sa tâche infinie : la Mathesis universalis (la "science admirable" de Descartes)...

    mais lisons ces vers de Milton , les plus beaux sans doute en langue anglaise...

    "Is this the Region, this the Soil, the Clime,
    Said then the lost Arch-Angel, this the seat
    That we must change for Heav'n, this mournful gloom
    For that celestial light? Be it so, since he [ 245 ]
    Who now is
    Sovran can dispose and bid
    What shall be right: fardest from him is best
    Whom reason hath equald, force hath made supream
    Above his equals. Farewel happy Fields
    Where Joy for ever dwells: Hail horrours, hail [ 250 ]
    Infernal world, and thou profoundest Hell
    Receive thy new Possessor: One who brings
    A mind not to be chang'd by Place or Time.
    The mind is its own place, and in it self
    Can make a Heav'n of Hell, a Hell of Heav'n. [ 255 ]
    What matter where, if I be still the same,
    And what I should be, all but less then he
    Whom Thunder hath made greater? Here at least
    We shall be free; th' Almighty hath not built
    Here for his envy, will not drive us hence: [ 260 ]
    Here we may reign secure, and in my choyce
    To reign is worth ambition though in Hell:
    Better to reign in Hell, then
    serve in Heav'n."" Est-ce ici la région, le sol, le climat, dit alors l'archange perdu, est-ce ici le séjour que nous devons changer contre le Ciel, cette morne obscurité contre cette lumière céleste ? Soit ! puisque celui qui maintenant est souverain peut disposer et décider de ce qui sera justice. Le plus loin de lui est le mieux, de lui qui, égalé en raison, s'est élevé au-dessus de ses égaux par la force. Adieu, champs fortunés où la joie habite pour toujours ! Salut, horreurs ! salut, monde infernal ! Et toi, profond Enfer, reçois ton nouveau possesseur. Il t'apporte un esprit que ne changeront ni le temps ni le lieu. L'esprit est à soi-même sa propre demeure ; il peut faire en soi un Ciel de l'Enfer, un Enfer du Ciel. Qu'importe où je serai, si je suis toujours le même et ce que je dois être, tout, quoique moindre que celui que le tonnerre a fait plus grand ? Ici du moins nous serons libres. Le Tout-Puissant n'a pas bâti ce lieu pour nous l'envier ; il ne voudra pas nous en chasser. Ici nous pourrons régner en sûreté ; et, à mon avis, régner est digne d'ambition, même en Enfer ; mieux vaut régner dans l'Enfer que servir dans le Ciel."

    L'esprit est à soi même sa propre demeure : ce que peut m'apporter la Nature extérieure n'est rien, ne vaut rien, seul compte l'esprit, mon esprit....mon jugement !

    on n'a guère de peine à reconnaitre ici tout ce qui a été développé dans les articles précédents....

    le Dieu  "égalé en raison" mais que la force a rendu suprême : c'est tout simplement la Nature extérieure, ce que nous n'avons pas fait par nous mêmes (et qui n'a été créée par aucun Dieu)

    Nature qui peut certes toujours nous détruire (mais n'a aucun but ni désir ni volonté), un astéroîde fracassant notre planète y suffit amplement...Nature, Univers qui nous écrase...

    mais Brunschvicg nous dit alors :

    "de la vie qui fuit avec le temps la pensée a fait surgir un ordre du temps qui ne se perd pas dans l'instant du présent, qui permet d'intégrer à notre conscience toutes celles des valeurs positives qui se dégagent de l'expérience du passé, celles là même aussi que notre action réfléchie contribue à déterminer et à créer pour l'avenir. Rien ici qui ne soit d'expérience et de certitude humaines. Par la dignité de notre pensée nous comprenons l'univers qui nous écrase, nous dominons le temps qui nous emporte; nous sommes plus qu'une personne dès que nous sommes capables de remonter à la source de ce qui à nos propres yeux nous constitue comme personne...."

    la raison, la pensée nous "égale" en dignité à la Nature qui nous écrase...

    nous égale ? non, il faut ici quitter le poème !

    nous rend infiniment supérieurs à la Nature, qui peut certes nous anéantir, qui le fera, mais qui jamais ne peut nous enlever la dignité de notre jugement, de notre raison !

    Dieu, Idée de l'Homme, est Esprit, Pensée infinie !

    Mathesis universalis !

    nous ne devons pas être des cartésiens honteux : oui, la science , la philosophie nous rend maîtres et possesseurs de la Nature , ce qui veut dire :

    La Nature est jugée

    celui qui juge est infiniment supérieur à la chose jugée.... même s' il arrivera que la "chose" le fracasse et l'anéantisse...

    "j'ai vu le ciel s'éteindre comme une Pensée" (Kazantzaki)

     


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  • Nous sommes en guerre.

    Nous sommes en guerre depuis toujours.

    Qui ça, "nous" ? s'agit il d'un n-ième avatar du choc des civilisations ? non, rassurez vous !

    ou plutôt ne vous rassurez pas ! car ce n'est pas mon but de "rassurer".

    "Nous" c'est l'humanité ! l'humanité n'est pas unifiée mais elle est UNE, en droit.

    C'est, si vous voulez, l'homme en compréhension plutôt qu'en extension. Pas les misérables pleutres qui vacillent et gémissent sur la terre de souffrance, et dont je fais partie tout comme vous, cher lecteur, hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère en désespoir et en déréliction.

    C'est l'homme conçu comme idée de l'homme.

    Idée partielle, provisoire, car l'Idée parfaite de l'Homme, c'est Dieu. Ceci est une définition, la première de toutes... la plus importante bien sûr.

    On comprendra dans ces conditions que je reste évasif sur les différentes humanités (Néanderthal, sapiens, etc...), ou plutôt espèces humaines, qui se sont succédées.

    La théorie de l'évolution darwinienne est  "vraie", en ce sens que c'est la seule théorie scientifique dont nous disposons sur ce sujet.

    Et quant aux neuneus créationnistes qui se révoltent contre le darwinisme, qui veulent faire entendre leur voix "alternative" (pour le moment, car s'ils avaient un jour le pouvoir, nul doute qu'ils changeraient de ton), il faut leur interdire de s'exprimer. Car ils pourrissent la jeunesse avec leurs thèses immondes et infantiles, voir :

    http://www.rebelles.info/article-28494198.html

    voilà ma façon d'être démocrate !

    je suis franc moi, et pour cause : je ne brigue aucun suffrage , aucun portefeuille , aucun poste avec "jetons de présence" et juteux bonus, aucun "fromage", comme on dit !

    les hommes se sont fait la guerre depuis toujours parce qu'ils ont toujours refusé d'accepter cette vérité, terrible il est vrai, et réservée aux âmes bien trempées, que l'homme est en guerre avec la Nature, et qu'il se définit ainsi. C'est bien pour cette raison que je reste évasif sur les différentes espèces humaines : je les admet toutes avec nous, sapiens, car il me semble qu'elles aussi étaient en guerre avec leur environnement, leur "être là".

    Nous sommes en guerre contre la Nature, extérieure et intérieure !

    La Nature c'est ce que nous n'avons pas fait, pas créé nous mêmes ! nous n'en voulons pas ! nous voulons le détruire pour mettre à la place notre création.

    La Nature a été assez étudiée, il faut maintenant la transformer, c'est à dire la détruire pour la (re) créer : pour créer une Non-Nature, une Mathesis universalis.

    L'Homme, l'Homme-DIEU, l'Homme ayant l'idée de l'Idée de l'Homme qui est Dieu , est, veut être, le Créateur du Monde. Pas du monde naturel se trouvant là, et que nul n'a créé. Le monde futur.

    Tel est le seul sens possible (non infantile) des mythes de création.

    Et maintenant faisons parler le fantôme de Dostoïevsky...via ce texte magnifique de la fin du "Sous-sol" :

    "regardez y bien : nous ne savons même pas, aujourd'hui, où se niche la vie, ce que c'est, comment cela s'appelle. si l'on nous abandonne, si l'on nous retire nos livresn nous nous embrouillerons, nous ne saurons plus où aller, comment nous diriger, ce qu'il faut aimer, ce qu'il faut haïr, ce qu'il faut respecter, ce qu'il faut mépriser. Il nous est même pénible d'être des hommes, des hommes possédant un corps bien à eux et du sang; nous en avons honte, nous considérons cela comme un opprobre et rêvons de devenir des espèces d'êtres abstraits, universels. Nous sommes des êtres mort-nés,et il y a déjà longtemps que nous ne naissons plus de pères vivants, ce qui nous plaît fort; nous y trouvons goût.

    Bientôt nous trouverons le moyen de naître directement de l'idée"

    Ces lignes ont été écrites au 19 ème siècle, et préfigurent selon certains le communisme :  Dostoïevsky, en bon chrétien, considère ces paroles de son "anti-héros" avec horreur bien sûr. Mais Dostoïevsky vaut mieux que Dostoïevsky....ce qui est d'ailleurs notre cas à tous...enfin espérons le, parce que sinon, je ne vois plus comme solution que le revolver.

    aujourd'hui nous y sommes : bientôt nous naîtrons directement de l'idée, de l'éprouvette veux je dire, en laboratoire. Ceci correspond aussi au verset de Bereschit 1 (Genèse), où Dieu parle de l'homme : "et maintenant, qu'il ne puisse pas étendre la main et se saisir aussi de l'arbre de vie, et vivre à jamais comme l'un des Elohim, connaissant le Bien et le Mal".

    Nous y sommes ! notre science est en train de se saisir de l'Arbre de Vie, et de le (re) façonner à notre gré ! nous sommes l'Homme-Dieu ! pas nous bien sûr ! pas nous autres les pleutres "se trouvant là" ! NOUS ! que ceux qui ont des oreilles entendent !

    Cela fait peur à Finkielkraut, Axel Kahn et d'autres grincheux pétochards ? tant mieux !

    Ils devraient se rappeler la Geworfenheit de Heidegger  : tous tant que nous sommes, nous avons-été-jetés, et ce mode d'être n'est pas historique , factuel, mais historial-transcendantal : nous sommes depuis toujours et pour toujours jetés.

    Ou, si vous préférez : nous sommes tombés d'un vagin ! la belle affaire ! le beau destin !

    Est ce cela que nous voulons conserver ? ne rêvons nous pas d'un "être" plus haut, différent ?

    Si ! nous ne voulons plus sortir d'un vagin, mais directement de l'Idée, de l'Esprit, et nous y arriverons !

    A mon tour de réclamer la tolérance : vous voulez continuer à vous reproduire comme les hommes et les femmes l'ont toujours fait, en se promettant (mensongèrement) un amour éternel,  etc..etc... on connaît la chanson, et elle nous ennuie. O Mort vieux capitaine, il est temps, nous voulons plonger dans l'inconnu pour trouver du nouveau !

    libre à vous de continuer : mais laissez ceux qui veulent trouver autre chose libres de réaliser leurs "expériences", libres de se saisir de l'Arbre de Vie ! de toutes façons vous ne pourrez pas nous en empêcher ! la liberté pousse un cri !

    Comme l'a dit Cioran, pour le coup bien inspiré, ce qui est rarement le cas :

    "il ne saurait convenir au fils de Dieu, à l'Homme Dieu, de résulter d'une gymnastique de 5 minutes couronnée d'un grognement béat"

     

     

     


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