• Le septième sceau (Ingmar Bergman)

    J'ai revu ce matin ce film magnifique, ce chef d'oeuvre...

    on reconnait les véritables chefs d'oeuvre universels à ceci qu'on y trouve de plus en plus de choses à chaque relecture, ou  à chaque nouvelle vision....

    Le commentaire à propos du film sur le site suivant :

    http://www.cineclubdecaen.com/realisat/bergman/septiemesceau.htm

    est assez sommaire mais place l'oeuvre dans sa juste perspective, qui est religieuse et gnostique...

    Le chevalier Antonius Block, magistralement interprété par Max Von Sydow (en 1957) est de retour de dix ans de Croisades avec son écuyer, Jöns (dix ans, c'est un chiffre mythique, une totalité de durée, un cycle, en somme c'est un peu comme Ulysse s'en retournant chez lui après 10 ans de siège contre Troie : mais il lui faudra errer encore 10 ans sur les mers).

    Tous deux ont donc compris, puisque ce sont deux nobles (de noblesse intérieure, la seule véritable) personnages, qu'il n 'y a pas de Terre sainte, pas de peuple élu ni de culte d'exception, et donc que les anciens récits (ceux de l'Ancien Testament) sont des impostures. Tel est le seul résultat des Croisades, et c'est déjà un résultat considérable, encore que négatif, dans la marche de l'humanité vers la vérité...

    Mais Antonius Block reste "chrétien"  par la foi (croit il) et par la "recherche de la connaissance" : il veut comprendre, connaître la fin mot de l'énigme de l'existence, et "voir Dieu face à face", selon ses propres termes , que je recopie ici :

    «Je suis pris de dégoût et d'épouvante. Mon mépris des hommes m'a rejeté de leur communauté. Je vis dans un monde fantôme prisonnier de mes rêves ...

    Est-ce si impossible de comprendre Dieu avec ses sens ? Pourquoi se cache-t-il derrière des promesses à demi articulées et des miracles invisibles ? Qu'advient-il de nous si nous voulons croire mais nous ne le pouvons pas ? Pourquoi ne puis-je pas tuer Dieu en moi ? Pourquoi continue-t-il de vivre de façon douloureuse et avilissante ? Je veux le chasser de mon cœur. Je veux savoir, pas croire. Pas supposer mais savoir. Je veux que Dieu me tende la main, qu'Il me dévoile son visage et qu'Il me parle.....

     Des ténèbres, je crie vers lui mais il n'y a personne

    Alors la vie est une crainte insensée. On ne peut vivre face à la mort et au néant de tout.

    ma vie durant j'ai cherché, erré, discouru. Tout était dénué de sens, ça n'a rimé à rien, je le dis sans amertume ni contrition parce que je sais qu'il en est de même pour tous. Je veux utiliser ce délai a quelque chose qui ait un sens »

    ce "délai" dont il parle, c'est la Mort qui le lui a consenti : elle est venue le prendre, mais il lui propose une partie d'échecs, et tant q'eulle ne l'aura pas vaincu, il continuera à vivre...

    mais la Mort est une habile tacticienne , on le sait !

    et finalement elle gagnera, et viendra le prendre, lui, son écuyer et quelques compagnons, dans sa demeure où il aura finalement retrouvé son épouse vieillie qui l'attendait pour mourir avec lui....

    ses derniers mots seront :

    "je suis si las"

    et, lorsque la Mort se présentera au château pour les emporter tous dans une danse macabre vers la région des ombres, il ne trouvera comme ressource que de prier Dieu (le faux Dieu, l'Idole des religions dites monothéistes, celui qui se soucierait de nous individuellement et que l'on pourrait "voir en face à face après la mort ", selon les fausses promesses de l'imposteur Saint Paul) d'avoir pitié d'eux...

    par contre son écuyer Jöns, qui représente le scepticisme athée et nihiliste, tirera la conclusion juste à sa place : "tu n'as pas trouvé la connaissance" (sous entendu : car il n'y a pas de connnaissance, pas de Dieu, rien que le néant"

    et rendra les armes face à la Mort de façon virile et courageuse : sans prier, et sans demander pitié !

    D'ailleurs, au cours de leur dernier  entretien, à la fin de la partie d'échecs, la Mort lui aura dit la seule "vérité" qu'elle puisse dire : "je ne sais rien....je ne peux pas répondre à ta quête de sens et de vérité".

    Ce qui est la vérité même, de laquelle Spinoza tirait la conclusion pratique pour ceux qui se soucient de connaissance: il ne faut penser à rien moins qu'à la mort...

    "la mort, ce peu profond ruisseau calomnié"....

    Oui, Jöns incarne le scepticisme, mais il est facile de lui répondre : car dire "il n'y a que le néant" est une phrase auto-réfutante!

    c'est dire : "Il y a ceci qu'il n'y a rien !"

    s'il y a le néant, c'est qu'il y a quelque chose, donc le néant est une notion contradictoire !

    ce qu'avait déjà trouvé Parménide  à l'aube de l'odyssée de la sagesse occidentale : l'Etre est, le Néant n'est pas.

    Mais l'Etre en tant qu' Etre ne répond pas à notre aspiration profonde, qui est en effet de comprendre, et de savoir...non pas croire mais savoir ! telle est l'irréductible "identité" de l'Occident qui a été chrétien !

    L'action se passe au Moyen age, quelques siècles avant que la Vérité, c'est à dire le Dieu des philosophes,  ne fasse irruption sur la scène de la conscience occidentale chez Descartes, puis Spinoza.

    mais sans Descartes, pas de Spinoza...et sans Montaigne pas de Descartes...

    je ne peux trouver meilleure illustration philosophique que de faire correspondre à l'écuyer sceptique, courageux et érudit Jöns : Montaigne !

     et la tragédie d'Antonius Block est qu'il ne peut être associé, même en rêve, à Descartes : et pourtant sa soif de connaissance réclamerait rien moins que Descartes pour trouver satisfaction !

    Car la tragédie de ces hommes valeureux du Moyen age est qu'ils ne trouvaient, pour répondre à leur soif de spiritualité, c'est à dire de savoir et de connaissance, que la fausse sagesse scolastique, celle que Descartes a renversée, ou que la croyance et la foi.

    Or jamais la foi ne pourra répondre à l'angoisse fondamentale de l'homme : car soit la foi est "vérifiée" (pendant la vie, ça vaut toujours mieux !) et alors elle devient connaissance , raison et science, soit elle ne l'est pas et alors elle laisse toujours transparaître l'angoisse : et si tout cela (l'au delà, le jugement dernier, le paradis, l'enfer, la résurrection)  n'était que des contes de nourrice ?

    La première perspective de la sagesse occidentale, c'est bien Montaigne, cet homme , cet écrivain, cet érudit, et ce penseur admirable.

    Mais, comme le dit fort justement Brunschvicg :

    "depuis Descartes on ne peut plus dire que la vérité d'Occident tienne tout entière dans la critique historique et sociologique des imaginations primitives"

    Cette critique, héritée de Montaigne, Descartes en a tiré les leçons :

    "sortir de la sujétion des précepteurs, s'abstenir de lire des livres (inutiles) ou de fréquenter des gens de lettres, rouler ça et là dans le monde, spectateur plutôt qu'acteur de toutes les comédies qui s'y jouent"

    ou encore : " regardant d'un oeil de philosophe les diverses actions et entreprises de tous les hommes, il n'y en a quasi aucune qui ne me semble vaine  et inutile"

    mais ce ne seront encore que les conditions d'une ascétique formelle.... absolument nécessaire certes, mais vaine, elle aussi, si elle ne mène pas à son dépassement vers le savoir véritable.

    Car dit Brunschvicg :

    "A quoi bon avoir conquis la liberté de l'esprit, si l'on n'a pas de quoi mettre à profit sa conquête ? Montaigne est un érudit, ou dira Pascal, un ignorant; dans le réveil de la mathématique il ne cherche qu'un intérêt de curiosité....

    l'homme intérieur demeure pour lui l'individu, réduit à l'alternative de ses goûts et de ses humeurs, penché, avec une volupté que l'âge fait de plus en plus mélancolique, sur «la petite histoire de son âme».

    Or, quand Descartes raconte à son tour «l'histoire de son esprit» (dans le Discours de la méthode) une tout autre perspective apparaît :

    la destinée spirituelle de l'humanité s'engage, par la découverte d'une méthode d'intelligence"

    On ne peut mieux dire, mieux expliquer l'impuissance ressentie et réelle d'Antonius Block et de son écuyer, comme de tous les sceptiques ou tous les hommes de foi sincère nés avant la science, et avant la vraie philosophie, qui est celle de Descartes et Spinoza, qui vient ranimer le spiritualisme pur de l'idée que Platon avait pressenti.

    Au fond, Antonius Block, le chevalier, est dans un "entre-deux" misérable : il ne peut accepter le scepticisme qui est celui de son écuyer, celui qui chante que l'on n'est bien "qu'entre les cuisses d'une putain"

    mais il n'a plus la foi du charbonnier, celle du roc inébranlable, sinon, il accepterait dès le début que la Mort le prenne, puisque son heure est venue, et que c'est Dieu qui le veut (qui d'autre ? rappelons nous : "il n'est pas un cheveu qui ne tombe de ma tête si ce n'est la volonté de mon Père") ; et il ne proposerait pas à la Mort une partie d'échec dans le seul but d'obtenir un court délai...

    un délai pour quoi d'ailleurs ? selon la Foi, Dieu sauve qui il veut, et damne les autres...tout est joué ! "tout est consommé", comme l'admet la sourde muette qui figure parmi les compagnons du chevalier, face à la mort, à la fin, parlant pour la première fois...

    mais Antonius ne cherche pas le salut de la foi (c'est à dire de la superstition, de ceux qui croient à un au delà de la tombe), mais celui de la connaissance, ici et maintenant : il est philosophe dans un monde où la philosophie s'est perdue, recouverte et presqu'éteinte sous l'entassement des mythes orientaux.

    Jusqu'à son réveil par Descartes...

    alors ce délai, n'a t'il aucune signification ?

    Si ! car Block ne trouve pas la connaissance, et mourra en homme de prière, pas en homme de savoir... mais il sera, pendant ces quelques jours de délai, aux côtés de la jeune sorcière que les moines et soldats brûlent vive sur le bûcher... il assistera cette pauvre femme, qui ne comprend rien elle non plus, et croit à l'existence réelle du Diable, qui pense t'elle va la scourir, lui éviter de souffrir...mais c'est Block qui donnera à cette malheureuse les herbes qui endormiront sa sensibilité et lui épargneront les horribles tourments du bûcher....et il lui demandera , avant qu'elle ne meure, s'il y a moyen de rencontrer le dialbe, car il voudrait que celui ci le renseigne à propos de Dieu !

    telles étaient les croyances de ces hommes et des ces femmes, avant que la lumière de la Vérité n'illumine la terre bénie d'Europe, au 16 ème-17 ème siècle...

    mais soulager les derniers instants d'une pauvre femme effrayée, impuissante face aux immondes fanatiques qui la brûilent vive, effrayés eux aussi par l'épidémie de peste qui emporte tout le monde, ce n'est pas rien !

    ving ans plus tard,en 1977,  Bergman tournera "L'oeuf du serpent", qui se passe à Berlin en 1923, un film où la peur et la terreur suinte de tous les plans, toutes les images...

    la peste bubonique du Moyen age, la peste brune des années 20 en Allemagne.... la peur... l' impuissance... le manque total de perspective sur l'avenir...

    n'est ce pas là où encore une fois nous en sommes, nous les hommes et les femmes de 2009 ?

     

    Je ne saurais trouver meilleure conclusion que la fameuse gravure de Dürer : "Le chevalier, la mort et le diable"

    Le Chevalier, la Mort et le Diable - Albrecht DÜRER (1471-1528)

     


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