• Université: les fainéants et les mauvais chercheurs, au travail!

    Par Pierre Jourde, écrivain et universitaire
    (http://bibliobs.nouvelobs.com/blog/pierre-jourde/20090210/10490/
    universite-les-faineants-et-les-mauvais-chercheurs-au-travail)

    Une poignée de mandarins nantis qui ne fichent rien de leurs journées
    et refusent d'être évalués sur leur travail, manifeste contre la
    réforme Pécresse pour défendre des privilèges corporatistes et une
    conception rétrograde de l'université. Au travail, fainéants!
    L'ignorance et les préjugés sont tels que c'est à peu près l'image que
    certains journalistes donnent du mouvement des chercheurs, des
    universitaires et des étudiants qui se développe dans toute la France.
    Au Monde, Catherine Rollot se contente de faire du décalque de la communication
    ministérielle, en toute méconnaissance de cause. Le lundi 9
    février, Sylvie Pierre-Brossolette, sur l'antenne de France Info,
    défendait l'idée brillante selon laquelle, comme un chercheur ne
    produit plus grand-chose d'intéressant après quarante ans («c'est
    génétique»!), on pourrait lui coller beaucoup plus d'heures
    d'enseignement, histoire qu'il se rende utile.
    Il aurait fallu mettre Pasteur un peu plus souvent devant les
    étudiants, ça lui aurait évité de nous casser les pieds, à 63 ans,
    avec sa découverte du virus de la rage. Planck, les quantas à 41 ans,
    un peu juste, mon garçon! Darwin a publié L'Evolution des espèces à 50
    ans, et Foucault La Volonté de savoir au même âge. Ce sont des livres
    génétiquement nuls. Aujourd'hui, on enverrait leurs auteurs
    alphabétiser les étudiants de première année, avec de grosses potées
    d'heures de cours, pour cause de rythme de publication insuffisant. Au
    charbon, papy Einstein! Et puis comme ça, on économise sur les heures
    supplémentaires, il n'y a pas de petits profits.
    Mais que Sylvie Pierre-Brossolette se rassure: le déluge de réformes
    et de tâches administratives est tel que son vœu est déjà presque
    réalisé. On fait tout ce qu'il faut pour étouffer la recherche. Les
    chercheurs et les enseignants-chercheurs passent plus de temps dans la
    paperasse que dans la recherche et l'enseignement. Ils rédigent les
    projets de recherche qu'ils auraient le temps de réaliser s'ils
    n'étaient pas si occupés à rédiger leurs projets de recherche. La
    réforme Pécresse ne fera qu'accroître cela.
    Les journalistes sont-ils suffisamment évalués au regard de leurs
    compétences et de leur sérieux? Est-ce que c'est génétique, de dire
    des bêtises sur les antennes du service public?
    On enrage de cette ignorance persistante que l'on entretient
    sciemment, dans le public, sur ce que sont réellement la vie et le
    travail d'un universitaire. Rien de plus facile que de dénoncer les
    intellectuels comme des privilégiés et de les livrer à la vindicte des
    braves travailleurs, indignés qu'on puisse n'enseigner que 7 heures
    par semaine. Finissons-en avec ce ramassis de légendes populistes. Un
    pays qui méprise et maltraite à ce point ses intellectuels est mal
    parti.
    La réforme Pécresse est fondée là-dessus: il y a des universitaires
    qui ne travaillent pas assez, il faut trouver le moyen de les rendre
    plus performants, par exemple en augmentant leurs heures
    d'enseignement s'ils ne publient pas assez. Il est temps de mettre les
    choses au point, l'entassement de stupidités finit par ne plus être
    tolérable.

    a) l'universitaire ne travaille pas assez

    En fait, un universitaire moyen travaille beaucoup trop. Il exerce
    trois métiers, enseignant, administrateur et chercheur. Autant dire
    qu'il n'est pas aux 35 heures, ni aux 40, ni aux 50. Donnons une idée
    rapide de la variété de ses tâches: cours. Préparation des cours.
    Examens. Correction des copies (par centaines). Direction de mémoires
    ou de thèses. Lectures de ces mémoires (en sciences humaines, une
    thèse, c'est entre 300 et 1000 pages). Rapports. Soutenances. Jurys
    d'examens. Réception et suivi des étudiants. Elaboration des maquettes
    d'enseignement. Cooptation et évaluation des collègues (dossiers,
    rapports, réunions). Direction d'année, de département, d'UFR le cas
    échéant. Réunions de toutes ces instances. Conseils d'UFR, conseils
    scientifiques, réunions de CEVU, rapports et réunions du CNU et du
    CNRS, animations et réunions de centres et de laboratoires de
    recherche, et d'une quantité de conseils, d'instituts et de machins
    divers.
    Et puis, la recherche. Pendant les loisirs, s'il en reste. Là, c'est
    virtuellement infini: lectures innombrables, rédaction d'articles, de
    livres, de comptes rendus, direction de revues, de collections,
    conférences, colloques en France et à l'étranger. Quelle bande de
    fainéants, en effet. Certains cherchent un peu moins que les autres,
    et on s'étonne? Contrôlons mieux ces tire-au-flanc, c'est une
    excellente idée. Il y a une autre hypothèse: et si, pour changer, on
    fichait la paix aux chercheurs, est-ce qu'ils ne chercheraient pas
    plus? Depuis des lustres, la cadence infernale des réformes multiplie
    leurs tâches. Après quoi, on les accuse de ne pas chercher assez.
    C'est plutôt le fait qu'ils continuent à le faire, malgré les
    ministres successifs et leurs bonnes idées, malgré les humiliations et
    les obstacles en tous genres, qui devrait nous paraître étonnant.
    Nicolas Sarkozy, dans son discours du 22 janvier, parle de recherche
    «médiocre» en France. Elle est tellement médiocre que les publications
    scientifiques françaises sont classées au 5e rang mondial, alors que
    la France se situe au 18e rang pour le financement de la recherche.
    Dans ces conditions, les chercheurs français sont des héros. Les voilà
    évalués, merci. Accessoirement, condamnons le président de la
    république à vingt ans de travaux forcés dans des campus pisseux, des
    locaux répugnants et sous-équipés, des facs, comme la Sorbonne, sans
    bureaux pour les professeurs, même pas équipées de toilettes dignes de
    ce nom.

    b) l'universitaire n'est pas évalué

    Pour mieux comprendre à quel point un universitaire n'est pas évalué,
    prenons le cas exemplaire (quoique fictif) de Mme B. Elle représente
    le parcours courant d'un professeur des universités aujourd'hui.
    L'auteur de cet article sait de quoi il parle. Elle est née en 1960.
    Elle habite Montpellier. Après plusieurs années d'études, mettons
    d'histoire, elle passe l'agrégation. Travail énorme, pour un très
    faible pourcentage d'admis. Elle s'y reprend à deux fois, elle est
    enfin reçue, elle a 25 ans. Elle est nommée dans un collège «sensible»
    du Havre. Comme elle est mariée à J, informaticien à Montpellier, elle
    fait le chemin toutes les semaines. Elle prépare sa thèse. Gros
    travail, elle s'y consacre la nuit et les week-ends. J. trouve enfin
    un poste au Havre, ils déménagent.
    A 32 ans, elle soutient sa thèse. Il lui faut la mention maximale pour
    espérer entrer à l'université. Elle l'obtient. Elle doit ensuite se
    faire qualifier par le Conseil National des Universités. Une fois
    cette évaluation effectuée, elle présente son dossier dans les
    universités où un poste est disponible dans sa spécialité. Soit il n'y
    en a pas (les facs ne recrutent presque plus), soit il y a quarante
    candidats par poste. Quatre années de suite, rien. Elle doit se faire
    requalifier. Enfin, à 37 ans, sur son dossier et ses publications,
    elle est élue maître de conférences à l'université de
    Clermont-Ferrand, contre 34 candidats. C'est une évaluation, et
    terrible, 33 restent sur le carreau, avec leur agrégation et leur
    thèse sur les bras. Elle est heureuse, même si elle gagne un peu moins
    qu'avant. Environ 2000 Euros. Elle reprend le train toutes les
    semaines, ce qui est peu pratique pour l'éducation de ses enfants,
    et engloutit une partie de son salaire. Son mari trouve enfin un poste
    à Clermont, ils peuvent s'y installer et acheter un appartement. Mme B
    développe ses recherches sur l'histoire de la paysannerie française au
    XIXe siècle. Elle publie, donne des conférences, tout en assumant
    diverses responsabilités administratives qui l'occupent beaucoup.
    Enfin, elle se décide, pour devenir professeur, à soutenir une
    habilitation à diriger des recherches, c'est-à-dire une deuxième
    thèse, plus une présentation générale de ses travaux de recherche.
    Elle y consacre ses loisirs, pendant des années. Heureusement, elle
    obtient six mois de congé pour recherches (sur évaluation, là encore).
    A 44 ans (génétiquement has been, donc) elle soutient son
    habilitation. Elle est à nouveau évaluée, et qualifiée, par le CNU.
    Elle se remet à chercher des postes, de professeur cette fois. N'en
    trouve pas. Est finalement élue (évaluation sur dossier), à 47 ans, à
    l'université de Créteil. A ce stade de sa carrière, elle gagne 3500
    euros par mois.
    Accaparée par les cours d'agrégation, l'élaboration des plans quadri
    ennaux et la direction de thèses, et, il faut le dire, un peu épuisée,
    elle publie moins d'articles. Elle écrit, tout doucement, un gros
    ouvrage qu'il lui faudra des années pour achever. Mais ça n'est pas de
    la recherche visible. Pour obtenir une promotion, elle devra se
    soumettre à une nouvelle évaluation, qui risque d'être négative,
    surtout si le président de son université, à qui la réforme donne tous
    pouvoirs sur elle, veut favoriser d'autres chercheurs, pour des
    raisons de politique interne. Sa carrière va stagner.
    Dans la réforme Pécresse, elle n'est plus une bonne chercheuse, il
    faut encore augmenter sa dose de cours, alors que son mari et ses
    enfants la voient à peine. (Par comparaison, un professeur italien
    donne deux fois moins d'heures de cours). Ou alors, il faudrait
    qu'elle publie à tour de bras des articles vides. Dans les repas de
    famille, son beau-frère, cadre commercial, qui gagne deux fois plus
    qu'elle avec dix fois moins d'études, se moque de ses sept heures
    d'enseignement hebdomadaires. Les profs, quels fainéants.
    ***
    Personnellement, j'aurais une suggestion à l'adresse de Mme Pécresse,
    de M. Sarkozy et accessoirement des journalistes qui parlent si
    légèrement de la recherche. Et si on fichait la paix à Mme B? Elle a
    énormément travaillé, et elle travaille encore. Elle forme des
    instituteurs, des professeurs, des journalistes, des fonctionnaires.
    Son travail de recherche permet de mieux comprendre l'évolution de la
    société française. Elle assure une certaine continuité intellectuelle
    et culturelle dans ce pays. Elle a été sans cesse évaluée. Elle gagne
    un salaire qui n'a aucun rapport avec ses hautes qualifications. Elle
    travaille dans des lieux sordides. Quand elle va faire une conférence,
    on met six mois à lui rembourser 100 euros de train. Et elle doit en
    outre subir les insultes du président de la république et le mépris
    d'une certaine presse. En bien, ça suffit. Voilà pourquoi les
    enseignants-chercheurs manifestent.


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  • Je recopie ici un article que j'avais écrit à propos de Taslima Nasreen sur un autre blog, "Conversion spirituelle", que je n'ai plus le temps de continuer, et qui se poursuit...ici !

    http://conversionspirituelle.wordpress.com/2008/08/20/taslima-nasreen/

    il faudra bien d'ailleurs réfléchir sur le cas de quelqu'un qui se réclame sans cesse de l'unité mais commence des tas de blogs en passant de l'un à l'autre, etc...la psychanalyse aurait sans doutes des choses intéressantes à nous dire sur ce cas  (lire notamment ce que j'écris sur cette "haute science" dans l'article cité supra)

    J'ai assez tapé sur la France actuelle (qui aime bien châtie bien, comme on dit, et aussi : corruptio optimi pessima) pour reconnaître une "belle action" par laquelle notre pays se distingue : je veux parler du droit d'asile offert à cette femme admirable, Taslima Nasreen, qui était en fuite, passant de pays en pays, pourchassée par la vindicte de monstres (se réclamant de "Dieu" mais assimilables à des bêtes féroces), et que les puissances "démocratiques" n'avaient pas le courage de défendre et de protéger, en particulier cette Angleterre si tolérante (notamment pour les islamistes lançant des appels au meurtre) , si empressée d'expulser le "raciste islamophobe" Geert Wilders ou de laisser les manifestants "pro Hamas" injurier sa police aux cris de "porcs ! sales mécréants !" :

    http://www.bivouac-id.com/2009/02/14/londres-janvier-2009-la-police-britannique-insultee-et-humiliee-par-la-foule-mahometane-la-video-sous-titree-en-francais/

    http://www.bivouac-id.com/2009/02/12/alerte-le-depute-neerlandais-wilders-arrete-a-londres-va-etre-renvoye-aux-pays-bas/

    Taslima Nasreen va enfin pouvoir "poser ses valises", se reposer un peu, protégée par des policiers en civil (oui ça coûte cher à notre pays déjà surendetté, mais il y a tellement de choses qui coûtent très cher, notamment des montres de luxe, 250 000 francs soit presque 38000 euros me suis je laissé dire ); puis elle pourra, dans la Ville-Lumière, espérons le, reprendre ses activités de création artistique.

    Cette femme est d'une beauté "intérieure" et intemporelle, qui la place sur le même plan que les "Madones" des grands peintres italiens (NB : ceci n'est pas une déclaration d'amour ni une petite annonce ).

    Nous nous trouvons tous , nous autres français, grandis et enrichis par sa présence sur le sol de notre pays, et je doit lui dire un grand "Merci" d'avoir accepté de s'installer parmi nous.... cela nous tire, pour un court délai, hors du Néant de la "fosse de Babel" où Paris est entraînée, comme les autres capitales occidentales....comme le dit Goethe à la fin du "Second Faust" :

    "L'Eternel Féminin nous entraîne vers les hauteurs" (Das Ewige-Weiblich ziegt uns hinan )

    et nul doute que Taslima Nasreen ne représente cet Eternel Féminin, tout comme ce Médiateur auquel fait allusion Brunschvicg, et qui n'est autre que le Christ, ce Christ qui n' a rien à voir avec le christianisme (qui s'est montré infidèle à ses principes universalistes ), qui n'est pas lié pour l'éternité à un individu historique (Jésus ou un autre) mais que tout homme et toute femme peut "réaliser" en lui en se convertissant dans l'immanence du coeur et de l'esprit à l'humanité véritable, c'est à dire aussi en se déifiant, selon les termes même de Brunschvicg dans l'article évoqué ici : "Spiritualisme et sens commun".

    Bien sûr, il est regrettable que ce mot de "médiateur" ait été depuis souillé, en étant utilisé pour d'autres usages : cela semble être en particulier une nouvelle lubie de notre cher "président" d'affubler ses ministres ou secrétaires d'Etat en difficulté (Yves Jego, Valérie Pécresse, etc..) de médiateurs et de médiatrices, chargés d'arrondir les angles, et bientôt sans doutes de médiateurs de médiatrices, etc...comme ce monde moderne devient compliqué !

    On notera aussi que le livre de Brunschvicg "La philosophie de l'esprit", cité dans cet article, est maintenant accessible sur le site des "Classiques" :

    http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/philosophie_de_esprit/philosophie_de_esprit.html

    Voici donc le texte de l'ancien article que j'avais écrit, j' ai cru bon d'en retrancher les vociférations contre la psychanalyse et Freud auxquelles je m'étais livré, qui n'ont rien à voir avec le sujet, qui ne porte pas sur les viennois barbus forcenés, morphinomanes,  et pseudo-rationalistes mais sur cette "Grande Dame" de la Pensée : Taslima Nasreen.

    *****************************************************************************************************

    «La philosophie de l'esprit» est un petit recueil de leçons qu'a données Léon Brunschvicg en Sorbonne en 1921 et 1922; il s'agit d' un travail préparatoire au grand oeuvre qu'est le «Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale».

    J'en tire ces lignes admirables, extraites de la treizième leçon : La conversion à l'humanité

    « ce qui s'oppose avec Socrate à la force matérielle du passé social, c'est l'humanité idéale que portent en soi la découverte et le développement de la raison pratique, c'est une sorte de Médiateur tel que sera le Verbe selon Malebranche dans les Méditations chrétiennes, ou le Christ selon Spinoza dans le Tractatus theologico-politicus.

    Le Médiateur est présent chez Galilée devant le Saint Office, comme plus tard, devant la violence acharnée des critiques, chez Lavoisier ou chez Cauchy, chez Pasteur ou chez Einstein. C'est lui aussi qui est, devant les condamnations prononcées par les autorités sociales, présent chez le Pascal des Provinciales et chez le Voltaire de l'affaire Calas, chez le Rousseau de l'Emile et chez le Kant de la Religion dans les limites de la simple raison.

    Cette présence est ce qui rend heureux le modèle de justice que Platon a dépeint dans le second livre de la République:

    il sera fouetté, torturé, mis aux fers, on lui brûlera les yeux; enfin, après lui avoir fait souffrir tous les maux, on le mettra en croix, et par là on lui fera sentir qu'il faut se préoccuper non d'être juste mais de le paraître

    Or le juste parfait, quelle que soit sa destinée, du point de vue physique ou social, est heureux non en songeant à l'avenir, par l'espoir d'un temps où serait matériellement compensé et récompensé le sacrifice actuel, mais par une joie immédiate, intérieure et pleine qui ne laisse place à aucune idée de sacrifice, où il s'exalte au contraire dans le sentiment d'incarner la justice éternelle et universelle »

    j'ajouterai bien sûr tout de suite, ce que Brunschvicg ne pouvait pas dire de lui même,  que le plus parfait exemple de ce Médiateur ( qui est aussi le Logos endiathetos ou le Verbum ratio du «Progrès de la conscience») est.... Brunschvicg lui même. Et la mise en croix n'a pas consisté dans son cas en une mise au ban sociale (puisqu'il était l'une des sommités, l'un des Mandarins de la philosophie française, au moins dans les années 30) mais dans la parfaite incompréhension, ignorance (et mise sous silence, ou presque,  depuis 1945 ) du sens de sa pensée...ceci pour ne pas parler des affreux malheurs qu'il a dû subir à la fin de sa vie à partir de l'invasion allemande de 1940, malheurs qu'il a endurés avec le calme parfaitement stoïque qui signalent le Sage, et prouvent , vérifient, qu'il a réalisé, comme Spinoza, «non pas le meilleur système philosophique, mais la vraie philosophie».

    Ceci est d'ailleurs une réponse aux critiques d'un Martial Guéroult (critiques qui doivent être prises en considération venant de l'un des plus grands historien de la philosophie) qui croit réfuter l'oeuvre de Brunschvicg en observant que celle ci fait sans cesse appel à l'exigence de vérification, mais omet de vérifier ses axiomes de départ (ce qui est impossible d'après les conceptions de Guéroult d'ailleurs). Mais la vérification est ici la personne même de Brunschvicg (ou de Spinoza) dont TOUS les commentateurs, même les plus critiques, reconnaissent l'immense valeur , ainsi que  la parfaite bonté et humilité et pour tout dire la parfaite humanité...

    Mais je voudrais ici reconnaitre un nouvel avatar (mot choisi exprès ici) du Médiateur   en la personne de cette femme admirable et sublime qu'est Taslima Nasreen.

    Je ne veux certainement pas jeter la pierre à Ayaan Hirsi Ali ni à Theo Van Gogh, dont j'admire l'immense courage (que Theo Van Gogh a payé de sa vie) face au fanatisme qui en ce siècle menace l'humanité dans son existence même, mais il me semble que Taslima Nasreen se situe, comme d'ailleurs Salman Rushdie dont elle partage les origines et le génie littéraire, à un niveau supérieur.

    Je n'en veux pour preuve que son livre Lajjâ , cause de tous ses ennuis, livre insupportable pour les islamistes comme pour les autorités politiques puisqu'elle y fait une place à l'autre , Autre qu' est pour elle, la musulmane par la naissance,  l'hindou qui est le héros du livre et dont elle raconte les persécutions qu'il subit de la part de la majorité musulmane du Bangladesh:

    http://www.republique-des-lettres.fr/10280-taslima-nasreen.php

    Cette femme d'un talent et d'une noblesse de caractère exceptionnels est soumise depuis des années à des menaces de mort, harcèlement et persécutions de la part de groupes islamistes, et obligée de mener une vie errante en changeant régulièrement de pays et de continent. L'Inde, pays où pourtant les musulmans ne sont qu'une minorité (mais une minorité très agissante) est embarrassée par son cas : craignant que le fragile équilibre communautaire ne soit rompu, et que des émeutes inter-ethniques n'ensanglantent le pays, les divers pouvoirs politiques des états de l'Inde où elle se réfugie se croient obligés de l'exfiltrer , cédant aux exigences des islamistes. L'Europe ou les USA pourraient lui accorder un visa de réfugiée (mais là aussi , les agitateurs islamiques feraient tout ce qu'ils peuvent pour qu'elle soit expulsée), mais Taslima Nasreen considère que c'est l'Inde qui est son cadre naturel, et ne veut vivre que là bas.

    J'extrais du site suivant :

    http://www.chiennesdegarde.org/article.php3?id_article=32

    la réaction, en 1999, de la première ministre bengladaise de l'époque à un livre de Taslima:

    « Taslima Nasreen vient de littéralement tuer son père et sa mère dans son dernier livre. Ce qu'elle écrit, ce n'est ni plus ni moins que de la pornographie, ajoute-t-elle en rappelant que l'écrivain a été trois fois divorcée. Et de conclure : Son livre, je viens de le faire interdire !»

    ces propos sont glaçants et terrifiants !

    C'est ici que les lignes de Brunschvicg citées plus haut, et qui ont été écrites en 1921-1922, prennent tout leur sens !

    Quel est il , ce Dragon, qui semble Tout Puissant et éternel, auquel Taslima Nasreen doit faire face comme en leur temps Socrate à ses juges ou Galilée (ou Giordano Bruno) à ses inquisiteurs ? il s'appelle fanatisme bien sûr, ou intégrisme, ou extrémisme , catégories dont sont friands nos medias occidentaux politiquement corrects, qui rappellent (et ils ont raison) que Taslima Nasreen pourrait trouver un refuge où personne ne viendrait chercher à l'expulser dans un état , celui du Gujarath par exemple, gouverné par les extrémistes hindouistes qui par haine de l'Islam sont prêts à l'accueillir les bras ouverts.

    Mais Taslima Nasreen refuse, et pour une bonne raison qu'ignorent nos medias occidentaux si corrects : c'est qu'elle est une nouvelle incarnation, un nouvel avatar du Médiateur dont parle Brunschvicg, et que comme l'avait vu Brunschvicg elle ne fait pas face seulement au dragon fanatisme, mais à un monstre bien plus puissant sans lequel le premier n'aurait aucune force  : le conformisme social et religieux. Car sont ils des hommes de foi, ces gouvernants qui expulsent (oh pardon : exfiltrent ) une femme qui est un écrivain de génie, et qui pourrait apporter au pays où elle résiderait un gain culturel considérable, juste pour éviter des émeutes sanglantes en cédant aux exigences des islamistes ? sont ils des hommes de foi ces leaders religieux qui déclarent que l'on peut parler de tout, y compris du port du voile, mais que ce qui est insupportable est la manière indécente dont Taslima (comme Theo Van gogh en son temps) a osé parler du Prophète de l'Islam ?

    mais pourtant le Prophète Mahomet n'est qu'un homme comme les autres (faillible donc !), c'est là l'une des bases de l'Islam, qui entend se démarquer du mythe chrétien de l'incarnation divine ou des mythes hindouistes des Avatars... mais il semble que certains sont plus hommes que d'autres, puisque toute critique du Prophète est interdite sous peine de mort, et que ce prophète semble jouir de droits spéciaux (avoir treize épouses notamment, et d'innombrables concubines, alors que l'Islam interdit d'en avoir plus de quatre).

    Ici encore c'est Brunschvicg qui nous prévient en opposant le prophétisme, propre aux mentalités primitives d'Orient, à la Raison qui est aussi la spiritualité véritable propre à l'Occident (l'  Occident véritable là aussi, dont l'Occident actuel n'est qu'une pâle copie non conforme), raison attachée au scrupule de l'incessante vérification, contre le dogmatisme oriental qui assène : «C'est Moi la Vérité !». Voici la citation de Brunschvicg qui correspond si bien là encore au sujet traité :

    Léon Brunschvicg évoquait « la nécessité psychologique qui fait que le soit-disant prophète ne peut emprunter sa figuration de l'avenir qu'aux ombres du passé ». Il opposait « le positivisme de raison » au « positivisme d'Église fondé tout entier sur le sentiment de confiance qu'un homme éprouve (et fait partager) dans la valeur unique de sa pensée et où il puise l'illusion de pouvoir créer la méthode et dicter à l'avance les résultats des disciplines qui ne sont pas encore constituées à l'état de science. » .


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  • Depuis "Barton Fink" , qui a obtenu la palme d'or en 1991 si je me souviens bien, le cinéma de Joel et Ethan Coen (qui est celui qui compte le plus, voire est le seul à compter, parmi les films américains contemporains, disons des années post- 1980) va dans le sens d' une "nihilisation" croissante qui semble aborder une étape définitive avec le dernier film : "Burn after reading". Nihilisation et non nihilisme : si l'on sait le lire et l'aborder, ce cinéma est salutaire...

    encore que j'ai quelques doutes après avoir vu "Burn after reading" deux fois : c'est certes un film absolument hilarant, la deuxième vision confirme voire renforce le diagnostic de la première, mais c'est aussi et surtout un film glaçant.

    J'avais commenté "No country for old men" ici :

    http://www.blogg.org/blog-69347-billet-no_country_for_old_men___joel_et_ethan_coen__-745341.html

    Dans Barton fink les Coen introduisent, pour la première et la dernière fois, parmi les personnages, celui du créateur, qui seul justifie l'existence du monde. Barton Fink est cet artiste new-yorkais engagé comme scénariste de "films de catch" à Hollywood, qui est (on le comprend sans peine) en "panne sèche d'écriture" dans sa chambre d'hôtel; ce n'est que lorsqu'il aura compris que son voisin de la chambre à côté est un tueur psychopathe, qui lui a "légué", semble t'il, la tête sanguinolente d'une femme dans un carton, qu'il verra l'inspiration descendre du ciel en terre sur lui et qu'il élaborera un de ses plus grands chefs d'oeuvre, qui sera bien sûr refusé et méprisé par les producteurs. Le tueur, qui est en quelque sorte le "golem" de ce film (il y en a un dans chacun de leurs films) personnifie la violence et l'absurdité du monde; le créateur "met à distance" cette violence en l'objectivant (en la "mettant" dans une boîte, qui n'est pas "à lui", et dont il ne sait d'où elle vient). L'esprit est "dépassement" de l'humain-mondain (du "On" de la quotidienneté de Heidegger), par objectivation scientifique ou création artistique.

    Le créateur est le frère du fou et du criminel, disait Thomas Mann.

    Or, dans les films suivants, mettant en scène une galerie d'imbéciles, de monstres ou de minables qui fait concurrence à l'enfer , balzacien ou non, le créateur n'apparait plus du tout !

    c'est cela que j'appelle "nihilisation croissante" !

    jusqu'à ce "stade final" de "Burn after reading", dont je ne vois pas très bien comment ils pourraient encore le "dépasser" !

    Ce qui est glaçant, c'est que nous comprenons que ce n'est aucunement une "sous-humanité" de monstres ou de tarés qui est dépeinte : la portée de cette "réduction" est ontologique, elle vise l'humain au coeur même. Le "dernier homme" de Nietzsche sautille devant nous, sur la Terre devenue trop étroite (d'où le générique de "Burn after reading", montrant une vision satellite des USA).

    Ce n'est guère un hasard si le personnage d'Osbourne Cox, l'analyste de la CIA, magistralement interprété par John Malkovitch, qui personnifie l'intellect analytique, est alcoolique, et finit par commettre un meurtre, à cause de sa rage impuissante contre "l'idiotie de l'époque" !

    L'alcoolisme doit être conçu (tout au moins s'il s'agit réellement d'alcoolisme, ce qui exclut les fêtards du genre festivus et autres abrutis de comptoirs ou de stades) comme une tentative désespérée et donc avortée de "quitter le pays natal des croyances tribales" pour la haute mer de la recherche de la vérité.

    Or il arrive que celui qui a le courage de quitter les certitudes rassurantes du groupe connaît immédiatement les glaces de la solitude....qu'il est toujours tentant de remplacer par les glaçons dans le verre de vodka !

    Le principe du "désespoir" promu par le film est assez simple à comprendre : si l'homme est cet être purement animal mais pourvu d'une intelligence spéciale, qui se borne à l'utiliser pour augmenter le confort de sa vie propre, alors quel peut être le sens de tout ceci ?

    C'est bien l'aporie devant laquelle nous laisse la scène finale !

    J'employais plus haut le terme husserlien de "réduction" en pensant à Jean-Luc Marion, ce grand philosophe chrétien qui dans le "Phénomène érotique", parle d'une "troisième réduction", venant si je me souviens bien après les réductions eidétiques et transcendantale de Husserl.

    Cette réduction de Marion est "érotique", et correspond en gros à l'ordre de la charité de Pascal : tombe sous cette troisème réduction tout ce qui est de l'ordre de la vie, mais aussi de l'esprit (de l'intelligence), qui est frappé de nullité et d'insignifiance si l'amour de Dieu pour moi (pour nous tous) ne vient pas le "racheter".

    Mais l'on ne s'étonnera pas si , nous qui refusons l'ordre pascalien de la charité, et ne reconnaissons que l'ordre de l'esprit comme "au dessus" de l'ordre de la vie , nous ne pouvons admettre cet "amour de Dieu pour la créature".

    Car même cet amour ne pourrait "sauver" de la médiocrité et de la vanité qui sourd de toutes les scènes du film ! et qui, reconnaissons le, est notre apanage à tous !

    et une petite voix diabolique vient encore nous murmurer à l'oreille que même le Créateur génial ne peut nous sauver : car que seront devenues les grandes oeuvres d'art universelles, les grandes théories scientifiques qui nous admirons tant, dans.... 1000 ans ? 10 000 ans ? cent millions d'années ?

    Mais, il faut bien "répondre" (si toutefois nous éprouvons sincèrement ce désespoir) : cette réponse ira dans le sens de l'amor intellectualis Dei spinoziste.

    non pas amour venant de Dieu vers nous (un Dieu rencontré en face à face qui est de l'ordre de l'illusion, du "recours"), mais amour "ascétique" émanant de nous, suprême activité intellectuelle,  "faisant exister" (si elle est assez intense) Dieu, le Dieu des philosophes, un Dieu "Idée"  qui n'a plus rien à voir avec les superstitions religieuses qui ont finalement abouti à notre présente détresse.....

     


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