•  

     Ces deux journées sont ouvertes à tout le monde gratuitement (simplement prévoir une pièce d'identité à présenter à l'entrée de l'Ecole normal supérieure 45 rue d'Ulm). La salle Dussane se trouve au rez de chaussée (se renseigner à l'entrée ).

     

    Le "European Network in Contemporary French Philosophy" qui associe
    le Ciepfc de l'Ecole Normale Supérieure (Département de Philosophie),
    l'Université de Warwick (GB), l'Université de Milan (Italie), les
    Universités de Pise (Italie) et Chicago (USA),  organise entre 2008
    et 2010 un Programme international de recherche sur la philosophie du
    XX° siècle en France autour de ses figures majeures associées et
    opposées sur "l'être, la vie, le concept". Après un colloque à
    Londres et un autre à Milan et Pavie, les deux journées
    sont la première étape parisienne de ce parcours. Elles proposent un
    éclairage sur deux figures majeures de la philosophie des sciences en
    France, Brunschvicg et Bachelard. Elles sont ouvertes au public. A ce
    programme s'ajoutera, le 6 Février 2009 à 18h45, une  Table ronde
    autour de "Proust et la philosophie", et d'ouvrages récents publiés à
    ce sujet par les membres du réseau".

    Voici le programme :

    De Brunschvicg à Bachelard
    Ecole Normale Supérieure, Paris, 6-7 Février 2009

    Salle Dussane

     
    Vendredi 6 février : Léon Brunschvicg
     Président de séance: Professeur Claude Debru (E.N.S) sous réserve.
    Matinée: Métaphysique

    9:30 Ouverture

    9:45 Frédéric Worms (Lille III/E.N.S): "La nécessité de Brunschvicg dans la  philosophie du XXème siècle en France"

    10:15 Jean-Michel Le Lannou (Lycée la Bruyère, Paris): ‘la Puissance de l'Idée'

    10:45 Discussion

    11:15 Pause

    11:30 André Simha (Académie de Nice): ‘Raison et Religion'

    12:00 Stéphane Desroys du Roure (Lille III): ‘de la Liberté chez Brunschvicg'

    12:30 Discussion

    13:00 Déjeuner

    Après-midi: Philosophie des sciences

    14:30 Alberto Gualandi (Université de Bologne, Italie) ‘Métaphores de la vérité mathématique. L'instance du jugement des Etapes à la Modalité'.

    15:15 Anastasios Brenner (Université Paul Valéry-Montpellier III). 'Brunschvicg et l'histoire de la philosophie dans ses rapports avec les sciences'
    15:45 Discussion

    16:15  Pause

    16:30 Frédéric Fruteau de Laclos (Paris I) ‘De l'Architectonique en Epistémologie. La philosophie dans les sciences selon Brunschvicg'


    17:00 Elie During (Paris X) ‘Relativité et Réciprocité: un thème métaphysique au coeur de la physique contemporaine'.
    17:30-18:30:Discussion
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Samedi 7 février : Gaston Bachelard
     Président de séance: Professeur Jean-Jacques Wunenburger (Lyon III)

    Matinée: Métaphysique et Epistémologie

    9:30 Emmanuel de Saint Aubert (CNRS, E.N.S, Archives Husserl de Paris) ‘Force, forme et matière chez Bachelard et Merleau-Ponty'.

    10:10 Questions

    10:30 Teresa Castelão-Lawless (Grand Valley State University, USA) ‘The Evolution of Scientific and Philosophical Concepts in Bachelardian Epistemology'.

    11:10 Questions

    11:30 Pause

    11:45 Howard Caygill (Goldsmiths College, London): 'Between the History of Mysticism and Science: Koyré in the 1930s'

    12:25-13:00 Questions et discussion
    13:00 Déjeuner
    Après-midi: L'imaginaire et la pensée scientifique
    14:30 Jean-Jacques Wunenburger (Lyon III): ‘la question des rapports Rationalité-Imaginaire chez Bachelard'

    15:10 Questions

    15:30 Zbigniew Kotowicz (Goldsmiths College, London): ‘
    Gaston Bachelard : l'Atomisme, le Surréalisme et la Pensée 
    scientifique'


    16:10 Questions et discussion

    16:30 Pause

    16:50-17:30 Table ronde, animée par les Professeurs Frédéric Worms (Lille III/E.N.S), Mauro Carbone (Università degli Studi di Milano), Arnold Davidson (University of Chicago/Università degli Studi di Pisa) et Miguel de Beistegui (Université de Warwick).

    ainsi se trouve vérifié une nouvelle fois l'adage holderlinien : "là où se trouve le plus grand danger, là croît aussi la plante qui sauve"...

    L'oeuvre et la pensée de Brunschvicg, qui étaient tombées aux oubliettes depuis 1945, sont peu à peu, sinon réhabilitées (ce qui serait d'ailleurs un terme bien mal choisi), en tout cas revisitées et réétudiées...ce colloque en est un signe, ainsi que la publication progressive de la majeure partie de l'oeuvre brunschvicgienne sur le site :

    http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/brunschvicg_leon.html

    La "crise" et le désastre actuels ne sont en aucun cas contingents ni ponctuels, mais s'originent dans l'oubli de l'intellectualité  qui forme le fond de l'aventure scientifique au profit de la "soupe de lentilles" de la techno-science, de l'Arraisonnement du monde (le Gestell de Heidegger). Et non dans l'oubli de l'Etre , comme le voudrait Heidegger! l'athéisme , c'est à dire le nihilisme contemporain, avec son activisme et son "bougisme" forcenés ("bouge de là") , provient de la forclusion de la première étape, absolument nécessaire, dans l'itinéraire de l'âme vers Dieu : l'étape de la recherche de la vérité dans les théorèmes de la mathématique et de la physique, qui doit mener à l'intégrité morale de la conscience dans la liberté et l'autonomie intellectuelle absolues, puis à Dieu "en esprit et en vérité", c'est à dire la source , si l'on veut , de cette autonomie absolue, qui se nomme aussi "vie spirituelle", ou "vie religieuse", et qui se signale par l'émancipation totale de toute croyance de groupe ou de tribu, c'est à dire la religion entièrement désocialisée à laquelle invitent Lachelier comme Brunschvicg.

    Vérité de la science et autonomie de la conscience : ce sont les deux jambes de "Dieu", si vous en coupez une il ne tarde pas à tomber dans un fossé, ou dans un puits comme Thalès, et il est alors à craindre qu'apparaisse une servante thrace qui commence à se moquer de Dieu...etc.. etc... spectacle déplaisant !Mort de rire

    et quant au "Dieu" des religions, il semble qu'il soit cul de jatteClin d'oeil puisque les deux "jambes" dont je viens de parler sont coupées : oubli du cadre intellectuel scientifique de l'unité du monde dans la superstition des "au delà" imaginaires, des sphères et des Intelligences planétaires,  ou des arrière-mondes, et perte de l'autonomie de la conscience dans la dictature du groupe appelée "hétéronomie" (l'exemple le plus frappant étant l'Islam où l'apostasie, c'est à dire le fait de se convertir à une autre religion, est punie de mort !)

    Et, au fonds, quand Rabelais disait que "science sans conscience n'est que ruine de l'âme", il ne disait pas autre chose que Brunschvicg plusieurs siècles à l'avance, en affirmant la destination religieuse ultime, et non pas technique, militaire ou économique, de l'entreprise scientifique....cettte ruine de l'âme, que nous voyons en direct au JT tous les soirs, n'est autre que le remplacement du Dieu de l'homo sapiens, ou Dieu purement spirituel  des philosophes et des savants, par le Dieu utilitaire de l'homo faber, mensonge vital et promotion illimitée de l'égoïsme sous couvert des cérémonies et des cultes religieux ou médiatiques...Dieu de la conscience solitaire et humble du savant contre Dieu grossier de la foule imbécile et obsédée de fornication et donc puritaine et imprécatrice...il faut choisir !

    Rabelais, Montaigne, Descartes, Pascal, Malebranche, Brunschvicg : oui, il y a bien une tradition, une exception de l'intelligence française...comment ce noble pays a t'il pu déchoir au rang des chansons populaires, bal musettes, comptoirs de bistrots, émissions de télévision  et finalement du sarkozysme ? il y a là un Mystère, admettons le , même nous rationalistes impénitents, et toute l'intelligence du monde ne le saurait expliquer...car au fond la connerie est inexplicable, elle est là, simplement,  comme la racine que contemple le héros de "La nausée" .

    L'unique vérité dont Dieu ait à nous instruire c'est, toujours d'après Brunschvicg :l'expansion infinie de l'intelligence et l'absolu désintéressement de l'amour  (attention à l'ordre : l'expansion de l'intelligence doit précéder, et mener à, l'absolu désintéressement de l'amour.... si elle est absente, comme dans les bas fonds de l'occultisme, ou bien si elle s'arrête en se "gelant" quelque part dans sa progression infinie , l'intériorité de la réflexion étant remplacée par l'automatisme de l'instinct ou du calcul, alors nous avons l'athéisme, c'est à dire le nihilisme, dont le nom français est Sarkozy).

    l'expansion infinie de l'intelligence et l'absolu désintéressement de l'amour : phrase splendide que chacun devrait porter sur soi comme Pascal son "mémorial", ce qui aurait peut être évité à l'humanité de suivre la voie inverse : expansion illimitée (et non pas infinie : la bêtise ne peut pas être infinie) de la bêtise menant à l'absolu égoïsme de ce qui se donne pour l'amour, mais qui est en fait la volonté d'emprise de chacun sur tous et de tous sur chacun !

    Mais revenons au désastre, à la ruine de l'âme.....un désastre, bien plus ancien que la crise qui a éclaté en 2008, qui se situe aussi aux trois niveaux dont parle Brunschvicg lui même dans l'article déjà commenté sur "Spiritualisme et sens commun" : intellectuel-scientifique (l'impasse de la physique mathématique dans la théorie des cordes, clairement expliquée par Lee Smolin dans son récent ouvrage "Rien ne va plus en physique"), moral (l'escroquerie et l'imposture devenues la règle partout, pas seulement chez Madoff, en finance, politique, économie, et même et surtout dans le domaine de la pensée, ou de ce qui en tient lieu actuellementHorreur !), et religieux (le fanatisme et la guerre de religions faisant rage partout, y compris dans les villes de France et d'Europe  où l'antisémitisme islamique se donne libre cours avec une violence terrifiante).

    Seule l'oeuvre de Brunschvicg peut nous tirer de cette impasse parce que seule elle nous donne accès au sens véritable de la seule philosophie qui vaille, celle de Platon, Descartes, Spinoza ou Fichte, et seule elle nous permet de nous orienter dans le labyrinthe de la mathématique et de la physique ( labyrinthe dont le rapide parcours des nouveaux travaux sur le site http://arxiv.org  donne une petite idée)...c'est en tout cas la thèse qui sous-tend l'activité de ce blog.

    mais évidemment ce n'est que mon avis, et comme dit l'autre sur France-Info tous les matins : "vous n'êtes pas obligés de me croire"


    votre commentaire
  • Cet article continue le précédent, où je commentais sommairement le si beau dernier chapitre du livre de Brunschvicg : "L'idéalisme contemporain"...voici les quelques lignes de la fin que je recopie :

    "comprendre la civilisation à laquelle il appartient, l'âme qui se fait par elle, l'éclairer à la lumière de la réflexion, en y retrouvant l'unité vivante, le foyer intérieur du progrès, l'esprit, telle est l'oeuvre du philosophe.

    Cette conception place la philosophie au coeur de la morale comme au coeur de la science, au centre de l'humanité....nous croyons avoir montré que la tradition autorise à lui donner le nom d'idéalisme; mais nous voudrions aller plus loin, et dire que c'est dans cette conception même que l'idéalisme conquiert sa propre vérité.

    Tout idéalisme est incomplet et impuissant qui conçoit l'idéal en l'opposant à la réalité;l'idéal, c'est alors ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne pouvons pas être, le chimérique ou l'inaccessible.

    Et ainsi se constitue le faux idéalisme, celui qui célèbre doctement la banqueroute de la science humaine, afin de fonder la vérité divine sur l'absurdité de la croyance, ou qui s'associe joyeusement sur terre à l'oeuvre d'iniquité, afin de mieux réserver la justice au Ciel..

    mais si l'idéal est la vérité, il est la vie même de l'esprit. L'idéal, c'est d'être géomètre, et de fournir d'une proposition une démonstration rigoureuse qui enlève tout soupçon d' erreur; l'idéal c'est d'être juste, et de conformer son action à la pureté de l'amour rationnel qui enlève tout soupçon d'égoïsme et de partialité.

    Le géomètre et le juste n'ont rien à désirer que de comprendre plus ou de faire plus, de la même façon qu'ils ont compris ou qu'ils ont agi, et ils vivent leur idéal.

    Le philosophe n'est pas autre chose que la conscience du géomètre et du juste; mais il est cela, il a pour mission de dissiper tout préjugé qui leur cacherait la valeur exacte de leur oeuvre, qui leur ferait attendre, au delà des vérités démontrées ou des efforts accomplis, la révélation mystérieuse de je ne sais quoi qui serait le vrai en soi ou le bien en soi; le philosophe ouvre l'esprit de l'homme à la possession et à la conquête de l'idéal, en lui faisant voir que l'idéal est la réalité spirituelle, et que notre raison de vivre est de créer cet idéal.

    La création n'est pas derrière nous, elle est devant nous; car l'idée est le principe de l'activité spirituelle...

    C'est donc à une alternative que nous conduit l'étude de l'idéalisme contemporain

    Ou nous nous détachons des idées qui sont en nous pour chercher dans les apparences extérieures de la matière la constitution stable et nécessaire de l'être, nous nous résignons à la destinée inflexible de notre individu, et nous nous consolons avec le rêve dun idéal que nous reléguons dans la sphère de l'imagination ou dans le mystère de l'au delà

    ou bien nous rendons à nos idées mortes leur vie et leur fécondité, nous comprenons qu'elles se purifient et se développent grâce au labeur perpétuel de l'humanité dans le double progrès de la science et de la moralité, que chaque individu se transforme, à mesure  qu'il participe davantage à ce double progrès. Les idées, qui définissent les conditions du vrai et du juste, font à celui qui les recueille et s'abandonne à elles, une âme de vérité et de justice; la philosophie, qui est la science des idées, doit au monde de telles âmes, et il dépend de nous qu'elle les lui donne"

    Portons notre attention et notre réflexion méditante sur ce passage :

    "Le philosophe n'est pas autre chose que la conscience du géomètre et du juste; mais il est cela, il a pour mission de dissiper tout préjugé qui leur cacherait la valeur exacte de leur oeuvre, qui leur ferait attendre, au delà des vérités démontrées ou des efforts accomplis, la révélation mystérieuse de je ne sais quoi qui serait le vrai en soi ou le bien en soi"

    La tâche, ou la "mission", du philosophe, ou plutôt de la philosophie, s'avère ainsi, dans un premier temps tout au moins, de nature négative. Il s'agit de dissiper des préjugés, des superstitions, et cette conception semble bien proche en apparence de celles de l'Aufklärung du 18 ème siècle.

    mais cette similitude apparente est erronée; car il ne s'agit pas de détruire, ni de "surmonter" selon un mouvement d'Aufhebung hégélien, il s'agit de remplacer une révélation imaginaire, celle d'un au delà ou d'une transcendance, d'une eschatologie, par une "révélation" immanente, qui est la même, ou en tout cas élargit, celle que Roland Omnès a appelée dans son dernier ouvrage : "la révélation des lois de la Nature".

    L'activité spirituelle immanente  présente en toute recherche scientifique ou en tout effort éthique remplace la transcendance et ses dogmes imaginaires venus d'un "en Haut" ou d'un "monde intelligible" supposés.

    Ceci est bien proche de l'idéalisme de Fichte, que Brunschvicg commente ainsi dans le "Progrès de la conscience":

    "Le Moi de Fichte est entièrement spirituel. Par suite le passage du moi conditionné au moi absolu ne requerra rien que le progrès d'une conscience perpétuellement en acte, suivant l'essor de liberté qui est inhérent au dynamisme de la raison pure.... le principe qui régit la vie de l'esprit, qui fait qu'il y a une vie de l'esprit, c'est que l'on ne saurait envisager de terme dernier auquel s'arrêterait le progrès de la conscience"

    La catastrophe du "réalisme", sous toutes ses formes (matérialismes, dogmatismes religieux, etc..) se trouve conjurée par l'idéalisme envisagé sous sa forme véritable, où le savoir supplante le croire dans la mesure où la conscience morale prédomine sur  la conscience intellectuelle (ce qui n'est pas contradictorie avec ce que nous avons affirmé ailleurs , soit le fait que la recherche intellectuelle du vrai conditionne l'accès à la moralité réelle):

    "Le danger du réalisme se trouvera donc conjuré du moment que la conscience sensible, que la conscience intellectuelle même considérée dans sa fonction théorique, ne sont que des abstractions de la conscience morale, comme le danger de voir la pureté de la critique s'infléchir dans le sens dialectique, l'immanence du Wissen (savoir) se subordonner à la transcendance du Glauben (croire, foi)"

    Les développements de Monod sur l'éthique de la connaissance , à la fin du "Hasard et la nécessité", se trouvent préfigurés chez Fichte expliqué par Brunschvicg :

    "C'est seulement en tant que je suis un être moral que la certitude est pour moi possible : le criterium de toute vérité théorique n'est pas lui même un criterium théorique, c'est un criterium pratique : un criterium interne, non un criterium externe, objectif, car précisément là où il est considéré comme moral, le moi doit être entièrement autonome et indépendant de tout ce qui se trouve en dehors de lui"

    Le Dieu vérace de Descartes, garant des vérités et de la certitude, se trouve donc confirmé et complété, à condition qu'il soit déchristianisé et remplacé par le Dieu des philosophes et des savants, que Descartes et même Fichte , encore trop chrétiens, n'ont pu envisager dans sa nature intellectuelle véritable : c'est à dire comme activité spirituelle, et donc morale, pure. Et du même coup se trouve réfutée toute conception de la Mathesis universalis qui la restreindrait à une mathématique universelle sous forme axiomatique , car le criterium "de fond" n'est pas objectif, il n'est pas sur le même plan que les axiomes des théories qui forment les objets de la catégorie constituant la "mathématique universelle" ; il est moral, intérieur....ce criterium, ce n'est rien moins que le "faire exister" (et non existence) la norme de vérité et de morale qui peut être appelé "Dieu des philosophes et des savants".

    Il est donc bien vrai que comme disait Descartes aucun athée ne peut accéder à une vérité certaine, fondée. La philosophie véritable, celle de Descartes, Spinoza, Brunschvicg, ou Einstein, ne peut être un athéisme. Toute philosophie se prétendant athée ne peut être LA philosophie, la Mathesis universalis, la Wissenschaftslehre (doctrine de la science, science de la science et de l'Absolu).

    Le grand retournement : les athées , ce sont en fait les croyants ! ou : comment Saint Brunschvicg m'a appris à ne plus m'en faire et à aimer Dieu, le Dieu des philosophes et des savants !

    Mais nous avions commencé l'article précédent par le lien vers l'article de Brunschvicg, qui constitue le début de "L'idéalisme contemporain", et qui s'intitule "Spiritualisme et sens commun", lien que je redonne ici :

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k110519 (aller page 531 à 545)

    Comme on va le voir, cet article extraordinaire (qui est sans nul doute l'un des sommets de l'oeuvre brunschvicgienne, et donc de toute la philosophie universelle) explique , sous une forme bien plus claire et complète, la "réfutation" de l'athéisme qui vient d'être proposée (sous une forme bien insatisfaisante certes, ce qui est dû à l'insuffisance de votre serviteur). Tout ce qui est à comprendre est déjà écrit en toute lettres plus haut :

    "il a pour mission de dissiper tout préjugé qui leur cacherait la valeur exacte de leur oeuvre, qui leur ferait attendre, au delà des vérités démontrées ou des efforts accomplis, la révélation mystérieuse de je ne sais quoi qui serait le vrai en soi ou le bien en soi"

    et , sous une forme encore plus "forte" (page 544 de "Spiritualisme et sens commun"):

    "en définitive, les trois propositions génératrices du scepticisme, de l'immoralisme, de l'athéisme, sont : le vrai est, le bien est, Dieu est"

    Tout ce qu'il y a à savoir pour s'orienter dans l'existence tient en cette simple phrase : comprenez la et vous pourrez marcher tranquille de par la vie, sans plus craindre rien ni personne !

    Il y a là, semble t'il, un phénomène analogue à la "cricumnavigation autour des religions terrestres" dont parle Brunschvicg dans "Vraie et fausse conversion" (citation dans l'article sur "Le dieu des guerres de religion et le dieu des philosophes), mais c'est une impression fausse : ici nous ne sommes plus dans la circumnavigation (où les fidèles de l'hémisphère nord deviennent les infidèles de l'hémisphère sud), mais dans un processus d'orientation absolue.

    La philosophie, c'est l'orientation, opposée à la désorientation (actuelle, du matérialisme démocratique )!

    Comment définit on les athées et les croyants, généralement, dans les discussions pseudo-philosophiques restant engluées au niveau du sens commun ?

    Les croyants sont ceux qui "croient" que "Dieu est, Dieu existe". Les athées sont ceux qui croient le contraire. Et les agnostiques sont ceux qui disent que l'on ne peut pas trancher.

    Eh bien pas du tout , nous dit (et surtout nous démontre) Brunschvicg !

    ceux qui affirment que "Dieu est" , qui se pensent "croyants" sont les athées véritables !

    Scandaleux n'est ce pas ?

    oui, scandaleux, mais seulement pour le prétendu sens commun, poursuit Brunschvicg (page 544):

    "autant cette conclusion est paradoxale pour le prétendu sens commun, qui est l'esclave du langage et qui assimile les réalités spirituelles aux réalités matérielles, autant elel est droite et simple pour le vrai sens commun qui se refuse à séparer de l'activité spirituelle la vie intellectuelle, la vie morale, la vie religieuse.

    Pour le vrai sens commun, le spiritualisme positif et efficace, ce n'est pas celui qui poursuit l'insaisissable chimère de l'absolu, de l'extra-humain, et qui délaisse pour cette vaine recherche toutes les ressources de notre nature, c'est celui qui confond sa cause avec le développement de la civilisation de l'humanité, qui vise à définir, telles qu'elles nous sont faites dans la science et dans la pratique, les conditions de la vérification, de la moralisation, de la déification"

    ce qui rejoint ces lignes du "Progrès de la conscience" à propos de Fichte :

    "L'idéalisme pratique de Fichte, c'est donc l'humanisme, tel qu'il s'est développé de Montaigne à Rousseau, mais un humanisme qui réussit à guérir l'individu de la solitude, qui lui montre dans la conscience de l'Ichheit überhaupt la tâche à réaliser par le moi, et qui n'est rien d'autre que la communauté sur Terre des êtres raisonnables, l'unité vivante de l'esprit"

    et, ajouterai je, l'humanisme véritable, ce n'est donc pas l'existentialisme de Sartre ("l'existentialisme est un humanisme", tu parles !), encore moins l'imposture actuelle des "droits de l'homme", qui permettent aux puissants de l'heure de voler et tuer tranquillement les peuples asservis.

    Fichte, encore un tant soit peu chrétien, envisageait d'autres stades (indicibles)  "après" cette "unité vivante de l'esprit". Mais nous n'avons pas à nous préoccuper de cela, Fichte revu par Brunschvicg nous suffit, et il est plus fidèle à Fichte que Fichte lui même ! (même chose d'ailleurs pour Descartes, qui doit être déchristianisé pour devenir enfin...Descartes! )

    Mais, me demanderez vous, où est la preuve de ces allégations scandaleuses selon lesquelles les croyants (juifs, musulmans, chrétiens, hindouistes, etc..) seraient en fait les athées véritables ?

    La preuve, ce n'est certes pas de prendre en considération les crimes et monstruosités innombrables qu'ont autorisé, voire causé, les trois religions du Livre, avec aussi l'hindouisme... crimes dont le dernier exemple est Gaza !

    non, ce ne saurait être une preuve réelle, c'est à dire philosophique, encore que ce soit un indice bien révélateur , et gênant pour les "croyants", tellement gênant qu'il n'ont de cesse de prétendre que les religions sont innocentes de ces crimes, alors que l'évidence dit le contraire...

    la preuve elle est dans les dernières pages de l'article de Brunschvicg ! comment me permettrais je, avec mes pauvres mots, de tenter de paraphraser ce qui est indépassable ?

    commencez avec le denier paragraphe de la page 541, lisez et relisez, autant de fois qu'il le faudra....vous verrez ! la Révélation se fera, celle du Dieu des philosophes et des savants ! il est impossible qu'il en soit autrement !

    faisons quelques pas ensemble, si vous le voulez bien...page 541 donc :

    "ainsi l'effort que nous proposons au sens commun ne consiste pas dans la substitution d'une doctrine spéculative à une autre : il a pour objet de faire tomber la barrière de préjugés qui dérobait l'esprit à lui même, de le faire revenir à soi"

    mais cette barrière ne tombe pas facilement, encore moins facilement que le mur de Berlin, ou que celui du Proche Orient ! car il y faut, comme le disait Fichte, une sorte d'opération chirurgicale qui "ouvre" l'oeil de l'esprit, qui rende "voyant" les aveugles que nous sommes donc (et pas "voyants" au sens des bas fonds de l'occultisme , théosophie et autres charlataneries). Seulement, la difficulté, c'est que cette opération, aucun chirurgien ne la fera pour nous : le chirurgien, c'est nous mêmes !

    ou, en d'autres termes : il dépend seulement de nous, c'est à dire de toi, de moi, et de notre bonne volonté, de "faire être" Dieu !

    "tous les individus sont compris dans la grande unité de l'esprit pur" (Fichte).

    Le taoïsme, le Zen, ne disent pas autre chose : mais ils ne mènent pas à la réalisation; seule la philosophie véritable y mène !

    l'effort, le travail proposé par Brunschvicg au "faux sens commun" pour qu'il "revienne à soi" et devienne le vrai sens commun, a pour première conséquence, s'il est correctement effectué, de ramener les trois problèmes qui intéressent la vie spirituelle à leurs termes véritables, et donc de permettre leur résolution (car on sait qu'un problème mal posé est insoluble) : problème de la vérité (intellectuel), problème de la moralité, et enfin problème religieux.

    C'est évidemment le problème religieux qui prédomine : celui qui s'arrête au problème intellectuel commet le péché d'intellectualisme; mais s'il arrive à passer du premier au second, à concevoir que la recherche du vrai (dans la science) doit déboucher sur la moralité véritable, alors il arrivera au bout de la voie, au Dieu des philosophes, c'est à dire qu'il comprendra que la voie n'a pas de fin, et qu'elle ne saurait déboucher dans aucun au delà transcendant de pacotille...

    ou encore, comme dit le Maitre Zen au disciple encore plein de préjugés qui lui demande : "Maître,mais pourquoi ai je à me laver, à m'habiller, à me nourrir, à dormir, chaque jour, et à recommencer le lendemain ?"

    "quand j'ai faim je mange, quand l'ai soif je bois, quand le suis fatigué je dors"

    Seulement attention ! là où les spiritualités orientales sont des impostures extrêmement dangereuses, c'est qu'elles méprisent l'intellectualité (ou du moins prétendent disposer d'une intllectualité véritable, située au delà de l'intellect analytique des sciences "occidentales, voir là dessus les balivernes de René Guénon alias "Abd el Wahid Yahia" qui ne cesse de vitupérer contre la rationalité occidentale à laquelle il oppose l'Intellect encore présent chez Thomas d'Aquin !

    Or, nous dit la philosophie, par la voix de Brunschvicg, il faut commencer par le commencement, c'est à dire par le problème de la vérité !

    toute recherche qui croirait pouvoir négliger l'étude de  la science et de la mathématique universelle, pour  commencer directement par le bien, l'éthique du silence, ou par "Dieu" (par dépassement du "mental" et de l'intellect  au cours d'exercices de méditations) est une imposture, une impasse , qui ne mène pas à Dieu mais au néant !

    ce qui se dit aussi , en termes politiquement incorrects et condamnables, et je m'en excuse :

    L'Occident (de la science moderne, et de l'intellectualité analytique) est supérieur à l'Orient !

     les spiritualités orientales mènent à la désorientation, LA spiritualité occidentale véritable (la "vraie" philosophie) est aussi  l'orientation véritable !

    Que ceux qui ont des oreilles entendent !

    mais cette "Occident" véritable n'a rien à voir avec ce qu'on appelle actuellement "occident", qui vole et met en esclavage les autres peuples, et condamne d'ailleurs les peuples occidentaux au malheur et à l'anéantissement.

    Le problème intellectuel est mal posé par le faux sens commun : "le vrai est ou n'est pas". (page 542) Ce qui mène au dogmatisme et au scepticisme. "Le remède à cette maladie, c'est de chercher la source permanente de la vérité dans ce qui est proprement autonome et créateur, dans l'activité de l'esprit" (Spinoza n'a pas dit autre chose). Mais bien évidemment, ceux qui cherchent cette source dans les Livres sacrés (Bible, Coran, Vedas) recoivent leur salaire : larmes, grincements de dents, haines et guerres.

    Le vrai sens commun résout ensuite le problème moral en renonçant à l'idole du "Bien en soi", "entité abstraite interposée entre l'agent et l'acte"... "il ne met pas la valeur morale dans un acte matériel , mais là où seulement elle peut être, dans la vie spirituelle". autrement dit : dépassement du ritualisme et du pharisaïsme.

    Et enfin... enfin... la Terre promise! non pas celle où Moïse n'est pas entré tout en la voyant avant de mourir, mais l'intelligence du problème religieux, venant après celle du problème intellectuel (qui réclame l'étude de la science) et du problème moral (qui réclame la mise en pratique de la philosophie).

    l'athéisme apparaît comme le terme inévitable de l'alternative qui fait de Dieu un objet, "qui est ou qui n'est pas" !

    L'affirmation que Dieu est, voilà l'athéisme ! car :

    "ou l'existence, telle qu'elle est attribuée à Dieu, ne ressemble en rien à aucun genre d'existence connu, et alors l'affirmation échappe à toute justification et détermination" (ou, en d'autres termes: on parle pour ne rien dire ) "ou l'existence est conçue d'après celle des individus vivants, et alors, par la façon même dont il est affirmé, Dieu est nié"

    Lumineux ! dire que "Dieu est", voilà l'athéisme (et aussi donc le scepticisme et l'immoralisme) !

    et l'on comprend les crimes entrainés par les religions !

    "tantum religio potuit suadere  malorum" (Lucrèce) ("tant la religion a pu causer de crimes")

    La seule chose que nous devons retenir de l'Evangile, c'est la prescription d' adorer Dieu en esprit et en vérité.

    Or seul le Dieu qui est l'esprit, qui est la Raison, le Dieu des philosophes et des savants, peut être adoré en esprit et en vérité. Pas le Dieu , l'Idole d'Abraham !

    et "adorer" (amor Dei intellectualis) le Dieu qui est esprit, cela veut simplement dire : concevoir l'esprit comme activité "éternelle", ou encore : ne pas cesser l'activité spirituelle pour retomber dans l'automatisme mental des "opinions" et des "sentiments", ou dans les divers "conformismes" tribaux, nationaux, "ethniques", sociologiques ou religieux.

    Philosophie ou sociologie : il faut choisir !

    Brunschvicg (page 544):

    "L'esprit se refuse au Dieu du mystère comme au Dieu des armées"

    tout est dit....allez porter cette "bonne nouvelle" (Evangile) aux combattants , juifs ou musulmans, de Gaza.

    et encore ceci (pour nous accompagner dans la vallée du désespoir actuel), cette vision prodigieuse de la véritable Terre Promise, promise à tout homme :

    "à mesure qu'il s'approche de cet idéal de perfection, il participe davantage au Dieu intérieur; la vie religieuse consiste dans l'ascension perpétuelle de l'esprit, dans la déification"


    votre commentaire
  • Ce qui repose derrière la notion de "Dieu des philosophes et des savants", c'est à dire, si l'on doit dépasser le domaine des notions et des concepts, l'activité spirituelle qui s'égale à la pensée de Dieu, est généralement si dur à comprendre (y compris pour moi même qui n'ai créé ce blog que pour améliorer ma compréhension) que l'on vous fait le plus souvent l'objection, quand vous en parlez  :

    "et pourquoi ne dites vous pas franchement que vous êtes un athée ? qu'est ce qui vous fait peur dans ce mot ?"

    à la suite de quoi votre interlocuteur vous assène ses titres de "tolérance", de diversité  et de démocratie:

    "vous savez, j'admets parfaitement que l'on soit athée, je suis tolérant moi, je respecte les différences, nous sommes dans un monde multiculturel voyons...d'ailleurs ma religion est un message de paix et de tolérance etc..etc..."

    C'est d'ailleurs exactement le diagnostic qui a été fait le plus souvent à propos de la pensée religieuse de Brunschvicg :

     «il parle sans arrêt de vie spirituelle et religieuse, de Dieu, du Dieu des philosophes et des savants qu'il oppose point par point au Dieu d'Abraham, mais en fait il s'agit d'un athéisme virulent et radical qui ne dit pas son nom, qui s'avance masqué pour mieux désarçonner l'adversaire, un athéisme qui prend la forme du scientisme d'ailleurs, son prétendu "Dieu" n'est en fait que la raison mathématicienne, il s'agit donc d'une idolâtrie de la science»

    De même, Spinoza était considéré comme le type même de l'athée vertueux, ce qui menait au (faux) problème de savoir comment un homme peut être vertueux et ne pas croire en Dieu.

    Problème vain, puisque Spinoza n'était pas athée; mais problème insoluble aussi, puisqu'il faut plutôt se demander comment on peut croire en Dieu (le Dieu de la foi, l'agité du Sinaï) et être réellement vertueux, c'est à dire bien agir pour le seul amour du Bien, et non pas pour obéir à Dieu, dans la crainte d'un châtiment ou l'espoir d'une récompense....

    et pourtant, de nos jours encore, un philosophe aussi profond que Robert Misrahi estime que le spinozisme est un athéisme.

    Et Alain Badiou affirme que Dieu est mort, et que le "Dieu des rationalistes" n'était d'ailleurs qu'une machine de guerre dirigée contre le Dieu vivant des religions.

    Je pourrais ici reprendre les arguments que j'ai avancés dans le passé à propos de la philosophie comme science de l'Absolu ou Mathesis universalis, ou "science de la science" (Wissenschaftslehre de Fichte), mais je m'aperçois que nous avons à notre disposition, sur le site Gallica de la bibliothèque nationale, un prodigieux article de Brunschvicg intitulé : "Spiritualisme et sens commun", dont j'ai déjà donné le lien et la référence dans la Revue de métaphysique et de morale  (1897 A5)à la fin de l'article précédent :

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k110519   (aller page 531 à 545)

    Il est impossible de surévaluer l'importance de cet admirable  article de quelques pages, en apparence assez simple et sommaire; il a été repris, avec quelques autres tirés eux aussi de la Revue de métaphysique et de morale, au début du 20 ème siècle dans l'ouvrage : "L'idéalisme contemporain".

    Seul le dernier chapitre de cet ouvrage, qui donne son titre au livre, n'est pas tiré de la Revue, mais consiste en la communication de Brunschvicg au congrès philosophique de 1900, et permet de se faire une idée précise du "but" de toute la carrière philosophique (et religieuse, puisque la philosophie est selon nous de nature religieuse, contrairement aux prétendues "religions", qui ne sont que des idolâtries) de Brunschvicg, à savoir : définir le véritable idéalisme comme doctrine de l'esprit vivant, en se débarrassant des vains "fantômes" de l'idéalisme métaphysique sous ses diverses formes, "fantômes" dépassant les limites de la conscience et de l'expérience humaines et donc de la vérification, qui seule mène à la vérité.

    Voici quelques lignes limpides et merveilleuses de clarté et de sobriété tirées de ce dernier chapitre de l'idéalisme contemporain; je suis persuadé que si les hommes de bonne volonté et sincères qui se sont engagé&s dans l'idéologie du "matérialisme" (dialectique ou non) qui a mené aux catastrophes que l'on sait avaient lu et compris ces lignes, bien des maux et crimes eussent pu être évités, et nous n'en serions pas, soit dit en passant, dans l'affreuse situation où nous sommes plongés en cette "crise mondiale" du début 2009, qui nous menace d'un anéantissement total à plus ou moins brève échéance... mais revenons à nos chères "idées"...

    "comprendre la civilisation à laquelle il appartient, l'âme qui se fait par elle, l'éclairer à la lumière de la réflexion, en y retrouvant l'unité vivante, le foyer intérieur du progrès, l'esprit, telle est l'oeuvre du philosophe.

    Cette conception place la philosophie au coeur de la morale comme au coeur de la science, au centre de l'humanité....nous croyons avoir montré que la tradition autorise à lui donner le nom d'idéalisme; mais nous voudrions aller plus loin, et dire que c'est dans cette conception même que l'idéalisme conquiert sa propre vérité.

    Tout idéalisme est incomplet et impuissant qui conçoit l'idéal en l'opposant à la réalité;l'idéal, c'est alors ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne pouvons pas être, le chimérique ou l'inaccessible.

    Et ainsi se constitue le faux idéalisme, celui qui célèbre doctement la banqueroute de la science humaine, afin de fonder la vérité divine sur l'absurdité de la croyance, ou qui s'associe joyeusement sur terre à l'oeuvre d'iniquité, afin de mieux réserver la justice au Ciel".

    Comment ne pas penser ici aux évènements de ces dernières semaines ? à ces "croyants" sincères (musulmans, chrétiens ou juifs) qui appellent à la guerre pour , croient ils, mettre fin au crime (de ceux d'en face) en oubliant leurs propres crimes....éternelle symbolique de la paille et de la poutre !

    quant à l'absurdité de la croyance, de toute croyance religieuse et donc invérifiable, je ne connais aucune explication meilleure que celle qu'en donne Marie Anne cochet dans son livre sur la conversion spirituelle chez Brunschvicg : soit la croyance est vérifée de manière rationnelle, par l'enquête scientifique, et alors elle cesse d'être croyance, soit (comme c'est le cas des croyances religieuses) elle ne peut l'être et elle mène alors au "grand n'importe quoi" du fanatisme et de l'idolâtrie.

    Mais il est une étape au delà vers le "pire" : c'est celle qui consiste à "imaginer", ou "feindre", de vérifier la croyance, mais par d'autres moyens que la pure et simple raison, commune à tous, et qui est à l'oeuvre dans la recherche scientifique. Des moyens plus "occultes"....et nous arrivons alors à toutes les variantes, ou plutôt les "bas-fonds", comme le dit Brunschvicg, de la théosophie, de l'anthroposophie (Blavatsky, Steiner) ou de l'occultisme .... y compris le "christianisme" dit "ésotérique" de Gurdjeff-Ouspensky, ou la "gnose" de Boris Mouravieff.

    Et les succès efffrayants enregistrés depuis les années 60 (en fait depuis plus longtemps, depuis le 19 ème siècle, comme en témoignent les racines occultistes du nazisme à Vienne) montrent à l'évidence que l'idéalisme , tel que rectifié par Brunschvicg, n'a pas joué son rôle de rempart contre l'invasion des ténèbres occultes et irrationnelles. Et pour cause : Brunschvicg n'a pas vraiment été compris....car comme on dit : "le simple est le plus difficile".

    Mais continuons à boire à la fontaine de vie et à manger la manne céleste qui nous est généreusement distribuée en ce dernier chapitre de l'Idéalisme contemporain:

    "mais si l'idéal est la vérité, il est la vie même de l'esprit. L'idéal, c'est d'être géomètre, et de fournir d'une proposition une démonstration rigoureuse qui enlève tout soupçon d' erreur; l'idéal c'est d'être juste, et de conformer son action à la pureté de l'amour rationnel qui enlève tout soupçon d'égoïsme et de partialité.

    Le géomètre et le juste n'ont rien à désirer que de comprendre plus ou de faire plus, de la même façon qu'ils ont compris ou qu'ils ont agi, et ils vivent leur idéal.

    Le philosophe n'est pas autre chose que la conscience du géomètre et du juste; mais il est cela, il a pour mission de dissiper tout préjugé qui leur cacherait la valeur exacte de leur oeuvre, qui leur ferait attendre, au delà des vérités démontrées ou des efforts accomplis, la révélation mystérieuse de je ne sais quoi qui serait le vrai en soi ou le bien en soi; le philosophe ouvre l'esprit de l'homme à la possession et à la conquête de l'idéal, en lui faisant voir que l'idéal est la réalité spirituelle, et que notre raison de vivre est de créer cet idéal.

    La création n'est pas derrière nous, elle est devant nous; car l'idée est le principe de l'activité spirituelle..."

    Il est d'autant plus important de prendre connaisance de ce petit livre, "L'idéalisme contemporain", qu'il semble qu'il ne soit pas prévu de l'inclure sur le site des "Classiques" où l'oeuvre de Brunschvicg sera progressivement mise en ligne.

    Qui peut prétendre, parmi ceux qui se prétendent philosophes, être à la hauteur de la "mission" définie ici par Brunschvicg (et dont il s'est acquitté lui même avec rigueur et conscience) ? L'expression (choquante à nos oreilles contemporaines) d'"amour rationnel" mérite de se voir accorder une attention spéciale. Car l'amour tel qu'il est habituellement défini ou pensé, l'amour entre deux êtres, où la sexualité entre en jeu de manière primordiale, ou bien l'amour dit "spirituel" ou "platonique" (sans aucun rapport avec Platon d'ailleurs), est plutôt de l'ordre de l'idolâtrie que de la spiritualité véritable.

    Encore quelques lignes formant la fin du livre :

    "C'est donc à une alternative que nous conduit l'étude de l'idéalisme contemporain"

    (une alternative analogue à celle du Deutéronome, soit dit en passant, où Israel se voit placé devant l'alternative de deux voies, celle de la vie et de la mort.... mais bien entendu dans une optique totalement différente)

    "Ou nous nous détachons des idées qui sont en nous pour chercher dans les apparences extérieures de la matière la constitution stable et nécessaire de l'être, nous nous résignons à la destinée inflexible de notre individu, et nous nous consolons avec le rêve dun idéal que nous reléguons dans la sphère de l'imagination ou dans le mystère de l'au delà"

    cette voie est la voie de la mort, c'est celle qui a été suivie par l'ensemble de l'intellectualité occidentale contemporaine, y compris scientifique d'ailleurs, sous le nom de "matérialisme", ou bien, à un niveau moins théorique, par l'ensemble de l'humanité dite "croyante", visant un quelconque "au delà" de ce monde, qui est pourtant "le Seul". Et je ne pense pas que les différents courants se proclamant "ésotériques" ( visant à étudier l'aspect dit "intérieur" des courants religieux) permettent de dépasser ces impasses. Ne nous étonnons donc pas de la situation atroce où nous nous voyons enlisés, semblable à celle dont parlait Husserl en 1937, et qu'il expliquait par la "crise des sciences européennes". Ce qu'exige l'époque, ce ne sont pas des jérémiades, ce sont des actes ; et c'est justement à l'action, c'est à dire à l'activité spirituelle véritable, c'est à dire à l'idéalisme tel qu'il l'explicite ici, que nous convie Brunschvicg :

    "ou bien nous rendons à nos idées mortes leur vie et leur fécondité, nous comprenons qu'elles se purifient et se développent grâce au labeur perpétuel de l'humanité dans le double progrès de la science et de la moralité, que chaque individu se transforme, à mesure  qu'il participe davantage à ce double progrès. Les idées, qui définissent les conditions du vrai et du juste, font à celui qui les recueille et s'abandonne à elles, une âme de vérité et de justice; la philosophie, qui est la science des idées, doit au monde de telles âmes, et il dépend de nous qu'elle les lui donne"

    ce qui est affirmé ici, c'est la possibilité d'une pensée vivante, et non morte comme celle qui a prévalu jusqu'ici, ou encore la philosophie comme connaissance intégrale (comme science des idées). On peut lire aussi ces lignes comme une réélaboration du platonisme : les Idées sont devenues les idées, c'est à dire qu'elles sont redescendues du ciel en terre, ou du "mundus archetypus" en la conscience humaine immanente, existant réellement ici et maintenant en une âme et un corps.

    Rudolf Steiner, le créateur de l'anthroposophie, visait lui aussi à permettre l'accès à une pensée vivante, par opposition à une pensée morte, abstraite, aussi parlait il d'une science spirituelle, l'anthroposophie, dépassant sans les renier les sciences "matérialistes".

    Mais c'est Brunschvicg qui y donne réellement accès, grâce à la rigueur de sa pensée; il y a beaucoup de belles choses chez Steiner, en tout cas le premier Steiner, celui d'avant 1900, notamment sa "Philosophie de la liberté" qui contient de nombreuses similitudes avec la "connaissance intégrale" de Brunschvicg. Mais ensuite Steiner retombe au niveau dégradé de la pensée occulte et magique héritée de la théosophie (orientale chez Blavatsky, occidentale chez Schelling). Brunschvicg est (miraculeusement !!) préservé d'une pareille malencontreuse évolution parce qu'il refuse de se placer "en surplomb" de la science, de la science réelle, la physique mathématique...sans bien sûr confondre philosophie et science.

    La dernière phrase du livre :

    "Les idées, qui définissent les conditions du vrai et du juste, font à celui qui les recueille et s'abandonne à elles, une âme de vérité et de justice; la philosophie, qui est la science des idées, doit au monde de telles âmes, et il dépend de nous qu'elle les lui donne"

    résonne comme un tragique et bouleversant appel aux hommes de l'aveir, c'est à dire à nous et à nos hypothétiques descendants.

    Tragique parce que nous savons que la philosophie n'a pas été fidèle à sa mission, telle que définie par Brunschvicg, qu'elle n'a pas donné au monde "de telles âmes", ou alors si peu, tellement peu que leur voix (celle de Brunschvicg notamment) a été complètement étouffée par le tam tam médiatique et les vociférations du cortège dionysiaque qui suivait le Grand Sorcier Psychothaumaturge : Lacan.

    Mais l'appel est là qui vibre, et que nous pouvons toujours entendre : la réflexion philosophique, qui est la seule véritable spiritualité, s'exerce dans un éternel et inépuisable aujourd'hui.

    Il dépend donc toujours de nous, et uniquement de nous, qu'elle donne au monde à venir de telles âmes. Uniquement de nous parce que nous refusons de nous décharger de notre responsabilité, et surtout pour tout dire de notre irresponsabilité, sur un Dieu que nous pourrions rencontrer "en face à face", qui se soucierait de nous en tant qu'individus.

    Le Dieu des philosophes et des savants, que nous entendons opposer ici au Dieu d'Abraham, est envers nous comme "esprit à esprit". Ceci veut dire qu'il dépend de nous qu'il soit ! chaque fois que nous nous établissons fermement dans l'éternel présent de la réflexion, il est.

    C'est en ce sens aussi qu'il convient de faire la différence entre la conversion véritable, qui est conversion à l'activité spirituelle pure, qui n'est donc jamais "gagnée une fois pour toutes", mais qui doit se conquérir à tout instant par la lutte contre l'entropie de la paresse et du laisser aller, et la fausse conversion religieuse, qui prend place à un moment donné du temps de vie, à l'occasion d'une cérémonie rituelle, après une période plus ou moins longue et difficile de préparation et d'ascèse :longue pour la conversion au judaîsme ou au christianisme, très courte pour l'Islam. Ce qui explique les statistiques sur les conversions.....

     


    votre commentaire
  • Quelques mots à propos de l'anecdote immémoriale de Thalès et de la servante thrace, qui forme le thème du titre de ce blog (qui s'appelait auparavant, pompeusement : "Dieu des philosophes et des savants")....ce blog qui prend la suite des blogs "Mathesis universalis", "Principia toposophica", etc...qui ont tous lamentablement échoué..

    Le grand philosophe-mathématicien-physicien-astronome  Thalès de Milet , l'un des premiers grands philosophes présocratiques, à l'origine du théorème de Thalès , le premier à avoir prédit une éclipse de soleil, ou à avoir expliqué la couleur de la Lune par le reflet de la lumière solaire, celui qui a élaboré la théorie selon laquelle le monde dérive d'un élément unique, l'eau ("tout est eau"), se promenait un jour, le regard fixé comme à l'habitude sur le ciel et les étoiles (Kant distinguait deux merveilles : le ciel étoilé au dessus de nos têtes et la loi morale dans l'intimité de notre coeur).

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Thal%C3%A8s_de_Milet

    Comme il gardait les yeux fixés vers le ciel, il ne pouvait voir en même temps le chemin où se dirigeaient ses pas....et ce qui devait arriver arriva : il tomba dans un puits profond (est ce là le puits de la vérité ? je ne sais..).

    Survint alors une servante thrace (pour le secourir ? je veux le croire) qui éclata de rire en disant quelque chose comme : "Ah ces sages ! tous les mêmes ! il veut sonder les mystères de l'Univers et il n'est même pas capable de faire trois pas sans se casser la figure ! eh pépé, tu ferais mieux de regarder devant toi et de te soucier des autres , au lieu de te perdre dans tes théories fumeuses !"

    Telle est l'une des formes de l'anecdote, qui en a revêtu au cours des siècles de nombreuses différentes.

    Voici ma façon à moi d'imaginer la suite : la servante, qui était jeune et jolie, avait aussi très bon coeur dans le fond...elle remonte notre philosophe tout trempé , le conduit dans sa chaumière, fait un bon feu de bois, le déshabille pour sécher ses vêtements et....là encore ce qui devait arriver arrive....je ne vais pas vous faire un dessin quand même !

    et le vieux sage tombe amoureux de la belle servante , il l'épouse, lui fait des enfants, elle réchauffe ses vieux ans glacés, et surveille sa maison, le laissant vaquer en paix à ses théories...

    ou bien elle se révèle au bout de quelques années une horrible mégère, et le pousse au suicide....

    bref !

    mais laissons là mes rêveries idiotes...

    Le philosophe Hans Blumenberg a écrit un livre philosophique et passionnant à propos de cette anecdote : "Le rire de la servante de Thrace" (Ed de l'Arche).

    Voici quelques liens à propos de (ou mentionnant) ce livre :

    http://www.alapage.com/-/Fiche/Livres/2851814559/le-rire-de-la-servante-de-thrace-hans-blumenberg.htm?id=169811231336179&donnee_appel=GOOGL

    http://www.cairn.info/revue-multitudes-2007-3-page-177.htm (article in extenso de Charles Wolfe : "Le rire matérialiste")

    http://www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/gely.html

    http://www.univ-paris-diderot.fr/DocumentsFCK/clam/File/Verite_fond_puits.pdf (page 12 sur l'anecdote)

    http://editionsdelabibliotheque.bpi.fr/resources/titles/84240100829810/extras/philobis.pdf (page 21, où J P Faye parle de l'anecdote comme de la première histoire philosophique, signalant le début de la pensée coïncidant avec une erreur)

    et l'on en trouve de nombreuses autres avec Google. Je ne vais pas commenter ces liens, ce n'est pas mon propos, je veux juste m'expliquer sommairement sur mes pensée à propos de cette fable qui m'obsède depuis toujours...

    Thalès personnifie la philosophie comme recherche de la vérité (du Dieu des philosophes) par le biais de la science et donc de la rupture avec le sens commun dans la connaissance du second genre  (la science est née en Grèce). La servante personnifie le sens commun, l'opinion, la connaissance du premier genre de Spinoza.

    Je ne vais donc évidemment pas me joindre au rire de la servante, bien que j'apprécie le plaisir de rire (ainsi que les autres plaisirs d'ailleurs). Mais qu'il me soit permis de dire que je n'ai aucun mépris pour la servante, bien au contraire...en fait, j'ai omis de révéler plus haut la nature exacte de mes rêveries, notamment à l'époque ou je méditais sur Raymond Abellio et ses développements sur la "femme ultime". 

    Selon Abellio (i e Georges Soulès le polytechnicien), par exemple dans "La structure absolue", la femme ultime , qui doit advenir à l'époque de la fin de l'apogée occidentale et du cycle actuel, dépassera l'homme sur le terrain de l'intelligence analytique et sera capable de "jouir sexuellement" dans un orgasme ontologiquement nouveau, "supérieur" à celui de la "femme primitive" (orientale), contrairement à la femme phallique occidentale actuelle qui en est incapable.

    Mais selon Abellio, seul un homme (lui, Abellio ) est capable de "faire advenir" cette femme ultime en la convertissant au nouveau paradigme, alliance de la sexualité véritable et de la pensée véritable.

    J'ai longtemps vu en la servante thrace une possibilité de femme ultime : donc elle épouse Thalès, elle le convertit aux joies du sexe et de la famille, mais lui en échange la convertit à la "conscience intellectuelle" et donc à la rupture avec la mentalité commune, obnubilée par les "Mystères" et soumise aux superstitions religieuses (païennes, "astrobiologiques"). Pour le dire sommairement : il la convertit de l'astrologie à l'astronomie ! de la mentalité orientale, soumise aux prestiges des rites et des Mystères, à la sagesse occidentale naissante à cette époque..

    comme on le voit : il y a encore du travail (si j'en crois la place laissée de nos jours aux astrologues et aux horoscopes)! Thalès a dû échouer...

    Mais quittons là ce terrain dangereux car politiquement-sexuellement incorrect !

    de toutes façons Abellio ne m'obsède plus du tout...depuis que j'ai fait la connaissance de Brunschvicg grâce à la lecture de Badiou, et que j'ai quitté les sombres parages de la Kabbale et de l'arithmosophie pour la clarté intellectuelle de la mathématique et de la théorie des nombres...

    le second lien que j'ai cité plus haut ("Le rire matérialiste") cite Spinoza :

    "Si ce célèbre Ancien qui riait de tout vivait de notre temps, il mourrait de rire, sans doute. Pour ma part, ces troubles ne m'incitent ni au rire, ni, non plus, aux larmes ; ils m'engagent plutôt à philosopher et à mieux observer ce qu'est la nature humaine. Car je n'estime pas avoir le droit de me moquer de la nature, et bien moins encore de m'en plaindre, quand je pense que les hommes, comme les autres êtres, ne sont qu'une partie de la nature..."
     
    Spinoza, lettre XXX, à Oldenbourg
     
    Il y a quand même un paradoxe, sinon un mystère, dans cette histoire : c'est que la servante thrace symbolise la superstition commune, plus habituée à craindre (les dieux, les esprits, les astres) qu'à rire....c'est plutôt le philosophe qui rit des superstitions du vulgaire ...
     
    mais la citation de Spinoza est là pour nous garder, et nous éviter de tomber dans l'aporie comme dans un puits. Le seul sens possible de cette petite histoire doit être de nous convier à philosopher, c'est à dire à quitter l'Egypte du sens commun et de la superstition du vulgaire...et l'on ne peut philosopher , en évitant les perplexités du gouffre (du puits sans fonds) et de la désorientation que si la philosophie science de l'UN, de l'Absolu, est UNE, malgrès et même en raison de ses divergences et "différences".
    Or voici comment le livre de Blumenberg est résumé dans l'un des liens que j'ai cités plus haut :
     
    «Il arrive ainsi à saisir l'exceptionnel succès de l'anecdote comme forme de la conscience que la philosophie a d'elle-même : "En fait, on ne peut rire des philosophes que si on se considère soi-même comme leur faisant exception. Et dans cette discipline chacun se considère apparemment comme l'exception de tous les autres." »
     
    On ne peut donc rire des philosophes (si l'on est un "traitre", c'est à dire quelqu'un qui a en apparence quitté le sol natal et tribal du sens commun pour de mauvaises raisons, liées à l'orgueil et au mépris des autres) que si l'on commet le péché contre l'esprit et contre la philosophie : tenter de détruire l'unité de la philosophie en se considérant comme un novateur génial, qui va enfin fonder la "vraie philosophie".
     
    Mais la vraie philosophie, elle est déjà là, et depuis toujours ! c'est à dire qu'elle est depuis toujours "en train de se faire" ! c'est celle des présocratiques, Xénophane en particulier, de Socrate, Platon, Descartes, Spinoza, fichte, Brunschvicg...
     
    Et Brunschvicg, notre Maitre, ne cesse de nous mettre en garde contre le danger d'être imbu de soi même et de son individualité, de sa spécificité. Si nous voulons réellement philosopher, alors nous devons absolument renoncer aux fanfares médiatiques ou à leurs succédanés !
     
    mais c'est aussi un autre article de Brunschvicg, "Spiritualisme et sens commun", qui nous  invite à philosopher, et qui nous réconcilie aussi avec la servante thrace et avec nos semblables, nous mettant en garde contre ce qui serait "antiphilosophique" par excellence : le mépris des autres, qui n'est jamais que le signe de la crainte des autres, et une attitude vaniteuse...et donc vaine.
    Cet article est paru dans la Revue de métaphysique et de morale (fondée par Brunschvicg et Xavier Léon en 1893) de 1897, A5, pages 531 à 545, voici le lien sur Gallica :
     
     
    cet article admirable mérite un commentaire plus long (qui de toutes façons n'arrivera pas à sa hauteur, quasiment infinie), je me bornerai aujourd'hui à préciser ceci :
    si nous voulons éviter le péché par excellence, qui jamais ne sera pardonné, selon les paroles même de Notre Seigneur , contre l'esprit et la philosophie, qui est de matérialiser l'esprit en l'assimilant à une "chose", à un objet, nous devons reconnaitre que l'esprit ne peut être que parcours (infini), passage, processus, acheminement de l'âme vers Dieu, "progrès de la conscience dans l'histoire"...
    or, pour qu'il y ait acheminement réel, il faut bien partir de quelque part, du sol natal, et le quitter.
    Il faut donc bien que le sens commun existe pour que l'on puisse le dépasser. Et celui ci est ainsi réhabilité à jamais. Comme le rire de la servante thrace est beau !
    sinon l'esprit serait....sur le mode d'une "substance". C'est là le péché, le "puits" d'où l'on ne remonte pas. Et nous n'y tomberons pas. Pas aujourd'hui tout au moins. Et demain est un autre jour....
    Je terminerai sur cette explicitation par Badiou (au début de "l'Etre et l'évènement") du Parménide de Platon , qui pourrait d'ailleurs résumer toute la philosophie de Brunschvicg, c'est à dire toute la philosophie :
     
    "L'UN n'est pas"

    60 commentaires
  • La guerre s'embrase de nouveau à Gaza, sans que l'on sache bien encore si ce sera un nouvel épisode qui prendra fin (après d'horribles tueries) au bout de quelques temps, où s'il s'agit de l'étincelle qui allumera l'incendie final, où parait il, d'après les anciens poètes, doit s' abîmer le monde...

    Il serait absurde, politiquement et humainement parlant, de renvoyer les deux camps dos à dos dans une même exécration de "l'extrémisme" : d'un côté un Etat fragile, vieux de 60 ans, qui joue sa survie, et de l'autre une mouvance d'illuminés qui certes exploite de justes colères, mais vise , bien au delà de la défense des "opprimés, humiliés et offensés", à la "victoire" eschatologique d'une religion.

    Ce serait absurde mais c'est pourtant ce que l'on va faire ici, dans l'optique de ce blog qui cherche à s'élever au dessus des contingences historiques et ethniques (et , donc, religieuses).

    Car, en définitive, quelle est l'origine de cette inimitié séculaire entre , non pas juifs et arabes comme on le dit très souvent et trop vite, mais entre juifs israéliens d'une part, chrétiens arabes et musulmans (arabes ou non arabes) d'autre part ?

    La réponse est dans la question : cette origine, c'est évidemment la différence de religions. Et pas de n'importe quelles religions, mais de ces trois religions, visant à l'universalité exclusive et jalouse (ce qui est d'ailleurs une contradiction dans les termes).

    Et pourtant, disent les simplets, juifs, chrétiens et musulmans sont tous "fils d'Abraham" (cher Marek Halter), ils sont les "trois anneaux" d'une même chaîne unique (la parabole de l'anneau dans "Nathan le Sage" de Lessing), ou encore : ils adorent le même Dieu ... forcément, si ce "Dieu" est le Dieu unique, par opposition aux dieux du panthéon païen.

    Là encore, c'est Brunschvicg qui dans "De la vraie et de la fausse conversion", a trouvé la formule qui fait mouche : ce Dieu prétendûment "unique", commun aux trois religions du Livre , c'est le Dieu des guerres de religion ! notons d'ailleurs qu'il apparait dans la Bible, sous l'appellation de "Dieu des armées" (Elohim Tsebaoth).

    Ce Dieu "UN" exclusiviste, Peter Sloterdijk le caractérise, dans "La Folie de Dieu", comme le Dieu des zélotes (et il y a des zélotes aussi bien parmi les juifs que parmi les chrétiens ou les musulmans..... ainsi d'ailleurs, reconnaissons le, que parmi les hindouistes, les bouddhistes, les athées, et même parmi les philosophes, ou plutôt ceux qui se prétendent philosophes).

    Il vaut la peine de citer complètement le passage de Brunschvicg, il se trouve dans le chapitre "Transcendance et religion", qui est paru originellement dans la Revue de métaphysique et de morale , année 1932, A39 N1, pages 17 à 46, lisible sur Gallica ici :

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11278w/f19.table

    (la citation incriminée se trouve pages 18-19).

    "nous voyons tous les jours de graves théologiens appliquer à un écrivain les qualificatifs de croyant ou d'incroyant,dans cette même acception d'absolu où, à huit ans, les sujets de M. Piaget, péripatéticiens sans le savoir, emploient les mots de léger et de lourd, comme si un prédicat pouvait exprimer autre chose qu'une relation, comme si leur propre crédulité pouvait s'ériger immédiatement en critère objectif des valeurs et leur donnait droit à décider, selon leur fantaisie, du sentiment religieux et de la destinée spirituelle d'autrui en s'attribuant les bénéfices contradictoires d'une élection particulière et d'une vérité universelle"

    Dans les années 30, Brunschvicg, en parlant de "théologiens graves", entendait : des théologiens lourds, imbus de leur importance et de leur sérieux....mais on pourrait tout aussi bien employer ce qualificatif au sens des "jeunes" de maintenant, quand ils disent de quelqu'un : "il est grave", ou bien au sens des guignols de l'Info quand ils parlent d'un "candidat grave" à l'élection présidentielle.

    D'autre part il serait malvenu d'attribuer aux juifs seulement une "élection particulière", ou plutôt le sentiment d'être élus.... mais poursuivons..

    "il semble bien que nous nous heurtons ici à un stade de mentalité archaïque, exactement celui d'où a surgi jadis un débat comme la querelle des antipodes.Et dès lors, nous devons nous demander ce qui arriverait à l'adepte d'un culte déterminé s'il entreprenait un voyage de circumnavigation autour des religions terrestres.il pourrait encore se servir de sa montre,à condition qu'il la remît sans cesse à l'heure sur le soleil. De l'autre côté de la Mediterranée on entend parler d'infidèles et de fidèles, de schismatiques et d'orthodoxes; seulement, la distribution des rôles est inverse comme inverse apparaît, une fois franchie la ligne de l'Equateur, la relation des mois et des saisons. L'application du vocabulaire aura donc changé mais non le vocabulaire lui même, qui se rapporte à un même niveau d'évolution psychique. Quand ils cherchaient à s'exterminer parce qu'ils niaient leurs antipodes religieux, Croisés et Mahométans, plus tard Catholiques et Protestants, comme à l'heure actuelle, si on les laissait faire, Hindous et Musulmans, se sont révélés voués à un même Dieu : le Dieu des guerres de religion"

    ces lignes ont été écrites vers 1930, mais nous qui vivons après 1947, nous savons que finalement "on a laissé faire" Hindous et Musulmans, et que cela s'est traduit par des massacres effrayants, et par la partition entre Inde et Pakistan qui n'a d'ailleurs rien réglé, comme en témoignent les récents évènements de Bombay et la guerre larvée à propos du Cachemire.

    "On", c'est à dire l'Angleterre puissance coloniale, sur laquelle pèse et pèsera encore très longtemps la culpabilité de ces atrocités, ainsi d'ailleurs qu'une partie de celles qui se déroulent en Palestine. Mais, en élargissant un peu la perspective, nous pouvons sans mauvaise foi aucune mettre en accusation les "puissances" victorieuses en 1945, à savoir l'URSS communiste et l'Occident sous tutelle américaine, en y ajoutant l'ONU, avec un chef d'accusation déroulant une longue liste de crimes contre l'humanité : partition de l'Inde, abandon irresponsable de la Palestine en 1948 (par l'Angleterre là aussi), complicité dans la shoah puisque les photos aériennes permettaient de savoir ce qui se passait dans les camps d'extermination dès 1942-1943, holocauste nucléaire du Japon en 1945 alors qu'il aurait été possible de s'entendre avec la Russie pour une victoire "classique" , refus d'ouverture des frontières européennes et américaines pour les réfugiés juifs en provenance des camps après 1945, etc... la liste est longue !

    Le stade de mentalité archaïque où en sont restés les attardés qui ont sans arrêt à la bouche les mots de "fidèles" et "infidèles", "croyants" et "incroyants", est finalement le même que celui qui prévalait avant la révolution scientifique du 17 ème siècle européen, avec son géocentrisme, son "système du ciel" orienté par les sphères et leurs "archanges", les "fixes" , le Premier moteur, bref l'aboutissement de l'astrobiologisme qui a été relégué aux oubliettes par la science moderne et sa cosmologie

    en définitive, quelle est elle, cette différence , cette incompatibilité radicale dont parle Brunschvicg entre le Dieu des philosophes et des savants et le Dieu d'abraham, entre le Dieu de la raison et le Dieu de la foi ? peut elle être explicitée, comme on le fait couramment, comme celle qui sépare un Dieu théorique, un Dieu qui se définit, c'est à dire un dieu mort, et le Dieu vivant ? entre le Dieu des croyants, et le Dieu des métaphysiciens, qui d'après Badiou n'est qu'une "machine de guerre" contre le Dieu de la foi ? et certes Badiou parle au nom d'un athéisme radical , et entend réécrire la formule nietzchéenne : "Dieu est mort". Mais seul un Dieu vivant peut mourir, et le Dieu de la métaphysique est donc "immortel", puisqu'il n'a jamais été vivant...

    mais ce n'est aucunement notre manière de voir....

    les religions, toutes les religions, datent de l'époque d'avant la science, caractérisée par cette mentalité archaïque dont parle Brunschvicg. Et le Dieu des philosophes, qui est le thème des travaux de ce blog, n'est certes pas le "Dieu de la science", mais il est la source de la vie spirituelle, qui ne "coule" vraiment qu'à partir de l'époque où la science véritable est née, soit le 17 ème siècle. Sans se confondre bien sûr avec la science.

    C'est en ce sens que Brunschvicg parle de l'émergence de la physique mathématique (venant prendre la place de la physique aristotélicienne) comme d'un "changement d'axe de la vie religieuse". Expression qui se situe dans le même registre que l'image des antipodes et de la "circumnavigation autour des religions" décrite plus haut.

    Au fond, la science (et la philosophie, d'ailleurs) ne vaut pas une heure de peine si elle se borne à nous donner plus de pouvoirs techniques, plus de richesses, si elle n'aboutit pas à une amélioration, un progrès de la conscience qui est aussi  d'ordre moral. Ce progrès moral se rattache à l'éthique de la connaissance dont parle Monod.

    Le Dieu des philosophes et la religion philosophique est aussi attaché de manière absolue à la liberté de conscience. Là réside aussi sa différence radicale d'avec le Dieu des religions, qui s'hérite par la naissance.

    Car il est bien facile de parler de la "liberté de croyance religieuses", mais où est cette liberté pour le petit enfant à qui l'on impose des croyances ou des rites qu'il n'a pas encore l'âge d'examiner par sa libre raison ?

    Ces observations assez simples nous permettent de situer dans sa  juste portée la suite du texte de Brunschvicg:

    "ainsi se précise le point où apparaissent aux prises, depuis des siècles, théologiens et philosophes : le Dieu des guerres de religion peut il être le Dieu de la religion ?

    pas plusque des sacrifices joyeusement consentis, héroïquement offerts, dans l'exaltation de la foi, nous n'avons à détourner les yeux des souffrances violemment imposées par ce que cette même exaltation a impliqué, en contrepartie, de fureurs sanglantes, de crimes soi-disant charitables. Et là dessus va t'on bâtir une théorie de la Providence divine ?"

    Nous répondrons quant à nous sans hésitation aucune, et nous n'avons plus besoin à ce propos des "confirmations" que sont les épisodes de Gaza ou de bombay, que le Dieu de LA religion (philosophique) ne peut être ni avoir rien de commun avec le "Dieu" DES religions.

    Et, contrairement à ce que croit le sens commun, le Dieu des philosophes n'est pas le Dieu qui se prouve ou qui se définit dans un concept ; c'est plutôt le Dieu d'Abraham qui cherche à devenir le Dieu des preuves,( "fides quaerens intellectum").

    Mais la seule "preuve", si l'on peut dire, du Dieu qui est la source intime de la vie spirituelle et unitive, ce ne peut être que le jaillissement ininterrompu de celle ci (la "joie ininterrompue" de Spinoza).

    Et c'est à l'approfondissement de cette "vie intime de la conscience", qui est liberté absolue, que nous voulons nous consacrer ici....


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires